Intervention de Meyer Habib

Séance en hémicycle du 5 mai 2014 à 16h00
Droit à l'information dans le cadre des procédures pénales — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMeyer Habib :

« Entre la découverte d’une infraction à la loi et son jugement s’écoule un temps plus ou moins long pendant lequel l’affaire doit être mise en état d’être jugée ». Ainsi Mireille Delmas-Marty, professeur au Collège de France, définit-elle la phase préparatoire du procès, étape essentielle de la chaîne d’une procédure pénale, qui commande bien souvent l’issue du procès. Elle est ce que les fondations sont à une maison. Les malfaçons qui l’affectent entraînent généralement l’effondrement du dossier et sont très difficilement réparables. Elle constitue aussi une étape cruciale, qui mêle la conciliation entre la défense des intérêts de la société et l’exigence d’une répression aussi efficace que dissuasive, d’une part, et d’autre part la protection des droits des personnes, présumées innocentes jusqu’au prononcé du jugement.

Sur la forme, tout d’abord, l’exercice qui nous est soumis aujourd’hui est relativement limité. En effet, nous devons suivre la route tracée par la directive du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 dans l’un des domaines les plus sensibles de notre droit, la procédure pénale. Ce n’est pas la première fois que notre assemblée est appelée à se prononcer sur les mesures de transposition nécessaires à l’application de la feuille de route de Stockholm, programme de travail que s’est donné l’Union européenne en 2009 sur la base du traité de Lisbonne. Son objectif consiste bien à rapprocher les systèmes judiciaires des États membres en renforçant les droits de la défense et le respect du débat contradictoire dans les procédures pénales. Pour autant, une tendance prend corps au fil des ans. Elle consiste à faire prévaloir une procédure accusatoire inspirée du modèle anglo-saxon, privilégiant le rôle des parties, sur notre traditionnel modèle français, fondé sur une procédure inquisitoire privilégiant la position de surplomb d’un juge représentant l’intérêt général, chargé de diriger l’enquête en vue de la manifestation de la vérité.

Nous devons donc aborder aujourd’hui avec prudence cet exercice périlleux de transposition d’une directive. Bien entendu, il ne s’agit pas de dénigrer les avancées majeures visant à garantir les droits de la défense. La réforme de la garde à vue, par exemple, constitue une refonte nécessaire du système judiciaire français. Mais les innombrables lois pénales adoptées au cours des dernières années se sont empilées, superposées et imbriquées pour former une masse confuse sans qu’aucune réflexion sur l’ensemble de la chaîne pénale n’ait été proposée, hormis des travaux demeurés de simples rapports comme le rapport Léger et les rapports Delmas-Marty.

Dès lors, n’est-il pas temps de proposer une modernisation approfondie de notre procédure pénale et de la repenser globalement, plutôt que de poursuivre dans la tendance consistant à transposer une directive en urgence à quelques mois de l’échéance ? Cette manière d’aborder une réforme par touches pointillistes, pas à pas, mesure par mesure, et de se contenter de débats techniques et de lois votées à la hâte me semble regrettable.

Rappelons-nous : Alain Vidalies lui-même, ancien ministre délégué auprès du Premier ministre chargé des relations avec le Parlement, affirmait au Sénat que « la préoccupation du Gouvernement est de sécuriser les procédures afin d’avancer de façon concertée et réfléchie sans être contraints de réagir en urgence ». Or nous sommes ici tenus par un délai relativement bref, la transposition devant être faite avant le 2 juin 2014. Par ailleurs, comment ne pas regretter la tentative du Gouvernement d’insérer dans le projet de loi un cavalier législatif ? Vous avez voulu, madame la garde des sceaux, traiter d’un sujet primordial qui est de surcroît un droit constitutionnel, l’asile, par le biais d’un article 10 subrepticement intégré au texte. Cet article avait pour seul objectif l’application du règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, sans lien avec la directive qui nous occupe aujourd’hui. Il est donc heureux que le Sénat l’ait abrogé. Incontestablement, l’instauration d’une politique commune d’asile incluant le régime d’asile européen commun doit être débattue dans des conditions respectueuses du travail parlementaire.

Quant au fond, nous reconnaissons que ce projet de loi a le mérite de créer un véritable statut des personnes suspectées en encadrant les modalités selon lesquelles elles pourront être entendues librement sans être placées en garde à vue. Notre commission des lois a opéré un distinguo clair entre les statuts des personnes auditionnées au cours de l’enquête pénale. L’audition libre a donné lieu à de nombreux débats, en particulier lors de l’adoption de la loi du 14 avril 2011 relative à la garde à vue, mais aucune disposition encadrant les conditions d’une telle audition n’avait été prise. Seul le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 18 novembre 2011, a imposé qu’une personne suspectée soit expressément informée de la faculté dont elle dispose à tout moment de quitter les locaux du service d’enquête et de la nature et la date de l’infraction pour laquelle elle est mise en cause. En instaurant une notification de ses droits au suspect libre, le projet de loi se conforme à la décision des Sages. Il va néanmoins au-delà de la directive en y ajoutant le droit à l’assistance d’un avocat en cas de crime ou de délit puni d’une peine d’emprisonnement.

Le groupe UDI formule cependant une réserve au sujet de l’article 3 du projet, qui instaure le droit d’une personne gardée à vue d’accéder elle-même à certaines pièces de son dossier, comme les procès-verbaux d’audition ou le certificat médical. Auparavant, ce droit était exclusivement réservé aux avocats, qui sont soumis à des règles très strictes de confidentialité et de déontologie. N’allons-nous pas trop loin dans la refonte de notre procédure pénale avec une telle disposition ? Quelle en sera la valeur ajoutée ? À ce stade de l’enquête, il n’est pas possible de placer une personne sous contrôle judiciaire ni de prendre des mesures visant à protéger les témoins. Il est donc essentiel de préserver l’identité d’un certain nombre de personnes qui auraient pu être amenées à témoigner contre le gardé à vue.

À l’initiative de notre collègue écologiste des Français de l’étranger Sergio Coronado, la commission a conféré à l’avocat d’une personne gardée à vue la possibilité de consulter l’ensemble des pièces du dossier utiles à la manifestation de la vérité et indispensables à l’exercice des droits de la défense dès le début de la garde à vue de son client. Le groupe UDI s’oppose fermement à cet amendement, adopté d’ailleurs contre l’avis de Mme la rapporteure. Le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, a lui-même fait savoir ce matin son hostilité à une telle mesure qui risque d’alourdir les procédures.

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