Intervention de Alain Tourret

Séance en hémicycle du 5 mai 2014 à 16h00
Droit à l'information dans le cadre des procédures pénales — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Tourret :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, chère Christiane Taubira, madame la rapporteure, alors que nous parlons de garde à vue, j’ai en tête l’un des moments les plus douloureux de ma vie d’avocat. J’ai en effet été amené à défendre Yves Bonnet, préfet de la République, ancien directeur de nos forces de sécurité, député de la Manche et rapporteur du budget au conseil général, qui fut arrêté, placé en garde à vue, fouillé d’une façon que je n’ose évoquer et interrogé d’une manière absolument invraisemblable, en l’absence de son avocat bien évidemment. À la suite de tout cela, il dût subir un triple pontage coronarien.

En la matière en effet, on revient de loin. Pendant bien longtemps, la garde à vue a été un concentré de non-droit. Pendant bien longtemps, on a refusé la présence d’un avocat, avant de l’admettre progressivement – après la vingtième heure, rappelons-nous ! Petit à petit, on s’est préoccupé de renforcer les droits de la défense. C’est une bonne chose. Ce qu’il faut avoir en tête en effet, c’est d’abord de renforcer la procédure contradictoire, ensuite d’assurer un jugement équitable, le tout sans attenter à la dignité de la personne interrogée. Car cela peut être vous, moi – n’importe qui : combien de personnes sont-elles ainsi placées en garde à vue chaque année ? Presque un million ! Cela peut donc arriver à tout instant.

La garde à vue constitue l’un des moments les plus importants de rencontre entre un individu et la justice, moment au cours duquel il faut lui assurer les droits les plus étendus possibles. Je dis souvent qu’il faut un bloc des libertés essentielles. Peut-être les deux transpositions qui nous occupent aujourd’hui renforceront-elles le droit des gens, et ce que l’on pourrait appeler le Bill of rights. En effet, ces deux directives seront transposées, et c’est tout à notre honneur, dans des délais parfaitement raisonnables, alors même que la France a toujours été l’un des mauvais élèves de l’Europe, condamnée 135 fois en 2005 pour retard ou refus de transposition. Dès lors, félicitons-nous de ce nouvel État de droit.

Ce texte renforce les droits des personnes aux moments de l’enquête, de l’information et du jugement. Au moment de l’enquête, c’est nouveau. Certes, le Conseil constitutionnel avait rendu deux décisions, le 18 novembre 2011 et le 18 juin 2012, relatives aux obligations incombant aux enquêteurs d’informer les personnes entendues de la nature et de la date de l’infraction et de la possibilité de prendre un avocat. Mais nous arrivons aujourd’hui à la création d’une sorte de statut du suspect libre.

Mais à ce sujet, l’historien et président de l’amicale des admirateurs de l’Incorruptible que je suis tient à vous dire, madame le garde des sceaux, qu’il faut faire très attention à ce terme de « suspect ».

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion