Intervention de Alain Tourret

Séance en hémicycle du 5 mai 2014 à 16h00
Droit à l'information dans le cadre des procédures pénales — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Tourret :

Quand une personne est mise en garde à vue, de quoi voulez-vous qu’elle discute avec son avocat, si ce n’est de cela ? Si c’est impossible, on en revient au conseil que je donnais aux personnes que j’assistais, à savoir : « Ne dites rien tant qu’on n’a pas les pièces ! » En procédant de la sorte, la personne en garde à vue ne risque pas d’être soumise à contradiction, et rien ne peut donc lui être reproché.

En empêchant l’accès au dossier, on ralentit donc la procédure et on rend impossible un véritable échange avec l’enquêteur. Madame la garde des sceaux, je vous ai entendue exprimer, tout à l’heure, votre souci de réserver des fenêtres de tir à l’instauration d’un échange contradictoire. C’est effectivement indispensable, mais à quel moment peut-on le faire ? Dans le cadre de la garde à vue, cela n’est possible que si la personne concernée sait sur quoi elle va être interrogée, et sur la base de quelles pièces. Quel intérêt y a-t-il à ce qu’elle prenne connaissance de sa propre audition ?

J’ai beaucoup réfléchi à cette question. Durant toute ma vie d’avocat, j’ai entendu mes confrères dire que, si on ne leur permettait pas de prendre connaissance du dossier, ils ne servaient à rien. Les syndicats de magistrats disent la même chose, tout comme la Commission nationale consultative des droits de l’homme. Certains enquêteurs s’inquiètent du fait que l’on mette en cause telle ou telle personne ayant contribué à l’enquête, ce que je peux comprendre. Cela dit, si la personne placée en garde à vue garde le silence, on finira toujours par prendre connaissance du dossier dans les jours qui suivent. En effet, le procureur va faire une citation devant le tribunal – correctionnel, par exemple – qui aura pour effet de permettre l’accès au dossier.

Pourquoi faudrait-il faire une différence, en ce qui concerne l’accès au dossier, entre le moment où une personne est en garde à vue et le moment où le tribunal correctionnel se trouve saisi à la suite d’une citation du procureur ? Je vous le dis très franchement, madame la garde des sceaux, j’estime que l’on se trompe en voulant s’en tenir à une telle distinction. Et pour ce qui est de faire la différence entre les pièces qui pourraient être communiquées et celles qui ne pourraient l’être, si je comprends que l’on puisse souhaiter assurer telle ou telle protection, la mise en oeuvre d’un tel principe me paraît pratiquement impossible, la non-communication de certaines pièces étant de nature à donner lieu à une multitude de recours.

En la matière, faisons plutôt confiance à l’évolution des choses et des gens, à l’évolution du contradictoire et du dossier équitable. Vous disposez aujourd’hui d’une fenêtre de tir, madame la garde des sceaux : le meilleur conseil que je puisse vous donner – à l’éclairage de plusieurs dizaines d’années d’expérience –, c’est de l’utiliser, car c’est le moment. Ne pas le faire entraînerait, à mon sens, un risque de condamnation par la Cour de cassation ou par les juridictions européennes dans les années à venir. C’est là un risque que vous ne pouvez négliger, quelles que soient les garanties que vous aurez pu prendre, car les choses vont toujours dans le même sens : la protection des libertés constitue en effet un socle qui, loin de se déliter, ne fait que se renforcer, jour après jour. Je crains qu’en n’allant pas dans la direction que je vous montre, madame la garde des sceaux, ce texte ne soit finalement qu’une occasion manquée et un recul pour l’ensemble des droits de l’homme.

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