Intervention de Hugues Fourage

Séance en hémicycle du 5 mai 2014 à 16h00
Droit à l'information dans le cadre des procédures pénales — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHugues Fourage :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, la transposition de la directive 201213 du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012, relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales, est fondamentale et urgente. En effet, le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui améliore sur de nombreux points, aux différents stades de la procédure pénale, les droits des personnes suspectées ou poursuivies : j’y reviendrai.

Fondamentale, cette transposition arrive à un moment particulier : nous sommes en effet à quelques jours des élections européennes, qui auront lieu le 25 mai prochain. Il me paraît utile de le rappeler. C’est l’occasion de montrer l’intérêt de l’Europe et d’adopter des règles communes aux citoyens européens. L’Europe apparaît trop souvent éloignée aux yeux de nos concitoyens : cette transposition constitue, au contraire, un exemple de proximité, de l’implication de l’Europe dans leur vie quotidienne. Elle permet – et cela aussi est important – de traiter chaque Européen de la même manière en matière de procédure pénale. Il me paraît fondamental de rappeler, dans le cadre du débat actuel sur l’Europe, que cette dernière est également un espace de protection garant des libertés.

Cela étant, harmoniser au niveau de l’Union des règles en matière de procédure pénale n’est pas chose aisée, tant les histoires de nos pays sont différentes, tant les procédures pénales peuvent être inspirées par des logiques radicalement opposées : cela a été souligné tout à l’heure. Je pense aux traditions orale et écrite, mais aussi aux modes accusatoire et inquisitoire.

Le mérite de cette transposition est d’aller vers cette harmonisation. Pour autant, les parlementaires français que nous sommes sont-ils dessaisis ? Je ne le crois pas. Notre assemblée va pleinement jouer son rôle, en ajoutant des dispositions spécifiques. Harmonisation ne signifie pas conformité, mais plutôt compatibilité.

J’évoquais à titre liminaire le caractère urgent de ces mesures ; cela a d’ailleurs été rappelé par plusieurs orateurs. De fait, cette transposition, qui s’impose à tous les États membres, doit s’effectuer au plus tard le 2 juin. En cas de retard, la France est susceptible d’être condamnée au versement de pénalités financières. Elle l’a été trop souvent par le passé, et je sais que le Gouvernement, comme les parlementaires, sont soucieux des deniers publics, comme on l’a vu lors du débat sur la stabilité budgétaire. Il convient de rappeler combien il est important de mettre en oeuvre les transpositions le plus rapidement possible : la France se doit de montrer l’exemple en la matière.

J’en viens aux principales dispositions. Le projet de loi qui nous est soumis instaure en premier lieu un statut en faveur des personnes suspectées lors de l’enquête, en définissant les modalités selon lesquelles elles pourront être entendues sans être placées en garde à vue. J’ai bien noté les différences sémantiques, soulignées par un certain nombre de nos collègues, entre « soupçonné » et « suspect ».

Cela étant dit, le progrès introduit par les dispositions en discussion tient au fait que, pour l’heure, dans notre législation, aucune disposition ne définit les modalités de l’audition, de la part des services d’enquête – police, gendarmerie, douanes – d’une personne soupçonnée d’avoir commis ou tenté de commettre une infraction pénale sans la placer en garde à vue, dans le cas où cette personne accepte de se présenter sans contrainte, et qu’elle n’est à aucun moment privée de la liberté d’aller et venir. Cette absence de statut, ce vide juridique, a pour conséquence de priver cette personne des droits de la défense fondamentaux. Sur ce point, le texte en discussion permet une avancée : la transposition vise non seulement à combler ce vide, mais aussi à compléter le droit des suspects libres. Il s’agit, je le répète, d’une avancée importante, qui confère aussi de la souplesse aux services d’enquête, avant même une éventuelle procédure de garde à vue.

Il convient de mentionner en particulier, s’agissant des infractions constitutives d’un crime ou d’un délit puni d’une peine d’emprisonnement, le droit d’être assisté par un avocat. À cet égard, j’ai bien noté que certains représentants d’avocats ou de magistrats auraient préféré que cette assistance soit possible systématiquement, quelle que soit la nature de l’infraction pénale dont la personne entendue librement est suspectée. Mais cette restriction est à mon sens pleinement conforme à l’article 2, paragraphe 3, de la directive 201348.

Le deuxième point sur lequel je veux insister est celui de la communication des pièces du dossier à l’avocat, à sa demande, dès le début de la garde à vue. Cette question importante a déjà été l’occasion d’un débat entre nous. Un amendement adopté en commission des lois, présenté par nos collègues Coronado et Molac, prenant appui sur la directive elle-même et deux décisions de justice, vise à ce que soient prises en compte « l’ensemble des pièces du dossier utiles à la manifestation de la vérité et indispensables à l’exercice des droits de la défense. » Notre rapporteure considère – je cite son rapport dont je salue la qualité – que « la question de l’accès au dossier doit être réexaminée dans le cadre d’un projet de loi revisitant l’ensemble de la procédure pénale pour tirer les conséquences du rapport de la mission Beaume » que Mme la ministre a lancée le 3 février dernier.

La question est complexe et un équilibre doit être trouvé entre les droits de la défense, la protection des victimes et la mise en oeuvre efficace, par les services concernés, de leurs investigations.

Mon cher collègue Coronado, je ne suis pas sûr que la position du ministre de l’intérieur soit « martiale » : elle me paraît au contraire parfaitement compatible avec celle de la ministre de la justice. Il convient de se féliciter de cette cohérence gouvernementale. Pour ma part, un retour au texte du Sénat me paraîtrait judicieux, dans l’attente des conclusions du rapport Beaume et de la vision globale que vous avez évoquée, madame la ministre, et qui me paraît effectivement souhaitable.

Au demeurant, ce projet de loi contient indéniablement des dispositions novatrices et de progrès pour l’ensemble de nos concitoyens.

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