Intervention de Christiane Taubira

Séance en hémicycle du 5 mai 2014 à 16h00
Droit à l'information dans le cadre des procédures pénales — Article 3

Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice :

L’argumentation de M. Cherki mérite qu’on s’y arrête quelques instants, et je comprends tout à fait sa préoccupation.

J’entends bien l’argument selon lequel une demande peut émaner des enquêteurs, qui ont bien entendu le droit d’en exprimer. Cependant, au ministère de la justice, et je crois vous l’avoir démontré à maintes reprises au cours des deux dernières années, la question se pose en ces termes : comment préserver constamment les libertés individuelles, et à l’occasion les libertés publiques, tout en assurant l’efficacité des enquêtes ? Notre souci est de faire en sorte que les libertés individuelles du citoyen lambda, pris dans les filets de la justice, soient correctement protégées sans que cela nuise aux enquêtes, qui très souvent concernent très peu de personnes mais des personnes engagées dans des actions délictueuses ou criminelles.

C’est la raison pour laquelle nous essayons constamment de concilier la protection des libertés individuelles, la sécurité des procédures et l’efficacité des enquêtes. Je pense que nous y sommes parvenus la plupart du temps, voire même chaque fois, et nous avons également veillé à le faire dans ce texte, comme je le disais tout à l’heure à la tribune, grâce à la diligence de la rapporteure.

En général, je présente ces exigences dans l’ordre suivant : tout d’abord la protection des libertés individuelles, ensuite l’efficacité des enquêtes, et enfin la sécurité des procédures.

En effet, nous le savons tous aujourd’hui : pour qu’une procédure soit valide, il ne suffit pas qu’un acte soit autorisé par la loi. D’abord, il faut faire attention aux actes que l’on autorise dans la loi. Cependant, même lorsqu’un acte de procédure est autorisé par la loi, il peut arriver que cette dernière soit contestée, dans le cadre d’un contrôle de conventionnalité ou d’une question prioritaire de constitutionnalité. Dès lors, nous nous rendons compte que même un acte inscrit dans la loi peut être contesté, parce que la loi elle-même est contestée.

Nous devons donc veiller à la sécurité des procédures, non seulement lorsqu’elles sont en cours, mais aussi après leur achèvement, puisque nous avons vu qu’elles pouvaient être annulées. C’est bien ce qui est arrivé avec les deux arrêts de la Cour de cassation d’octobre 2013 relatifs à la géolocalisation : la procédure n’avait pas été sécurisée, elle a donc été annulée ultérieurement. S’il s’agit du vol de deux grappes de raisin, une annulation n’est pas grave, mais ce n’est pas ce genre d’affaire qui arrive à la Cour de cassation. Les procédures faisant l’objet d’un pourvoi en cassation concernent des trafics de stupéfiants, ou des affaires de criminalité organisée ; or je ne suis pas à l’aise lorsque des procédures de ce genre sont cassées. Je n’avais rien à avoir avec le contentieux relatif aux procédures de géolocalisation, puisque la loi avait été votée lors du quinquennat précédent. Il n’empêche que je suis très vigilante : je veux éviter que nous soyons confrontés à une décision de la Cour de cassation qui annulerait des procédures prévues par le présent projet de loi, et dont nous serions donc responsables.

Voilà pourquoi cette troisième étape est essentielle : outre la protection des libertés individuelles et l’efficacité des enquêtes, nous devons assurer la sécurisation des procédures. Pardonnez-moi pour cette longue digression, mais je crois qu’elle sert à éclairer mes arguments, à défaut d’éclairer le débat.

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