Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du 16 avril 2014 à 16h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Jean-Yves le Drian, ministre de la Défense :

Je commencerai par traiter de la situation au Mali. Même si l'actualité médiatique n'est plus centrée sur notre engagement dans ce pays, notre mission se poursuit dans le cadre d'opérations de contre-terrorisme. J'insisterai sur les points suivants : l'amélioration de la situation sécuritaire globale ; la stagnation préoccupante du processus politique au Mali ; la réorganisation en cours de notre dispositif à l'échelle des cinq pays de la bande sahélo-saharienne.

Le bilan sécuritaire de ces derniers mois montre une stabilisation qui conforte la pertinence de nos choix opérationnels. Depuis l'automne dernier, comme vous le savez, Serval a amorcé la réorganisation de son dispositif par la diminution progressive de ses effectifs au Mali, l'extension de son action dans un ensemble géographique plus vaste et la spécialisation de ses modes d'action vers le contre-terrorisme.

Aujourd'hui, au Sud du pays, sous la boucle du Niger, la situation sécuritaire est globalement normalisée. Au Nord, les groupes armés terroristes, bien que durement frappés et pour certains entièrement déstructurés, continuent de faire peser une menace en poursuivant des opérations de harcèlement contre la coalition. Des roquettes visent régulièrement des implantations militaires et, ces dernières semaines, à Tessalit, dans la région de Kidal et d'Ansongo, nos forces ont été la cible d'engins explosifs, parfois radiocommandés.

Face à ces groupes terroristes mobiles, nous avons adapté nos modes d'action. Grâce aux drones Reaper, nos forces peuvent désormais intervenir de façon plus ciblée, en ménageant l'effet de surprise et en agissant dans toute la profondeur de notre zone d'opération. La combinaison d'un renseignement très fin et d'une capacité de frappe brutale produit des effets significatifs.

Ces résultats sont le fruit d'une manoeuvre d'ensemble conduite par les forces conventionnelles et spéciales françaises, les forces maliennes et la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA).

L'opération Jorasses, qui a pris fin la semaine dernière, en est une excellente illustration. Cette opération, conduite pendant trois semaines dans le quart Nord-Est du Mali avec les forces armées maliennes et la MINUSMA, a permis d'opérer sur une certaine durée au coeur des zones-refuges potentielles des groupes armés terroristes. Les fouilles de caches d'armes dans la région de Tessalit, les missions de reconnaissance dans l'Adrar des Ifoghas, les opérations de contrôle de zone à l'Ouest de la vallée de l'Ametettai, toutes opérations menées en commun, attestent de la maturité de la collaboration entre les différentes forces.

Pour la première fois, des forces maliennes ont pu être engagées à nos côtés de manière autonome. Cela montre la qualité du travail fourni par la mission européenne de formation de l'armée malienne (EUTM), dont je dirai quelques mots.

La première étape a consisté, vous vous en souvenez, en la formation de quatre bataillons de combat au siège de Koulikouro. C'est désormais chose faite, le quatrième bataillon étant sorti de formation. Tout le monde constate avec satisfaction que la méthode et le mécanisme de formation opérationnelle mis en place en février 2013 fonctionnent bien. Plusieurs ministres européens dont les forces sont représentées au sein des équipes de formateurs se sont rendus à Koulikouro.

La meilleure illustration de cette appropriation européenne est la décision que mon homologue allemande et moi-même avons prise de déployer une partie de la brigade franco-allemande au sein de la mission EUTM pour en assurer l'ossature. C'est à ce titre que le général français Marc Rudkiewicz, commandant la brigade franco-allemande, a pris le commandement d'EUTM au début du mois d'avril. Par ailleurs, ma collègue néerlandaise a décidé d'affecter 400 hommes au sein de la MINUSMA, qui seront en place dans les jours qui viennent, autre témoignage d'une prise de conscience européenne très positive.

Le mandat d'EUTM ayant été prolongé de deux ans, quatre bataillons supplémentaires seront formés au cours des deux prochaines années. À cela s'ajoutera la remise à niveau ponctuelle des bataillons déjà formés, pour garantir le maintien du niveau opérationnel des unités. Il y a quelques jours, le bataillon Waraba, le premier formé par EUTM il y a un an, a débuté sa phase de remise à niveau. Parallèlement, la mission de conseil auprès des états-majors maliens se poursuit. Les formateurs français représentaient près de 40 % de l'effectif de la première relève d'EUTM ; dorénavant, avec 70 hommes, ils ne représentent plus que 12 % des militaires déployés dans cette mission. L'appropriation européenne du dispositif est donc manifeste. La mission EUTM fonctionne bien et je pense à titre personnel qu'il faudra, le moment venu, songer à une initiative semblable en RCA.

J'en viens à la MINUSMA, dont j'avais évoqué devant vous la difficile montée en puissance. Elle s'accélère, même si la mission ne dispose toujours que de quatre bataillons d'infanterie – bientôt cinq – sur les sept bataillons prévus, et si les hélicoptères de transport, pourtant essentiels à la manoeuvre, font toujours cruellement défaut.

Avec le déploiement des compagnies de génie népalaise et cambodgienne, la MINUSMA vient de franchir la barre des 6 000 soldats. L'arrivée prochaine de contingents bangladais et néerlandais devrait porter son effectif à 8 000 soldats. Je me rendrai sur place avant l'été avec ma collègue néerlandaise.

Il y a donc tout lieu d'être optimiste, même si la pleine capacité opérationnelle de la MINUSMA, initialement prévue pour le 31 décembre 2013, sera finalement atteinte à l'été 2014 ; six mois de retard, donc, mais une mise en oeuvre satisfaisante.

De notre côté, comme je vous l'avais indiqué, nous avons progressivement réduit nos forces, avec l'objectif de parvenir à un millier de soldats cet été. Ils seront déployés dans des conditions différentes, sur lesquelles je reviendrai. Pour l'instant, l'effectif français compte environ 1 800 hommes, employés principalement dans les opérations de contre-terrorisme – il aurait été dangereux de relâcher la pression sur les groupes armés terroristes au moment où ils sont en train de se reconstituer.

Telle est la situation pour ce qui concerne les opérations militaires, qui se poursuivent même si l'on n'en parle pas. La vigilance et les nouvelles capacités dont j'ai fait état sont plutôt satisfaisantes.

Le deuxième point sur lequel je souhaite appeler votre attention est la nécessaire relance du processus de réconciliation nationale. J'ai eu l'occasion de le dire dans une récente interview à l'hebdomadaire Jeune Afrique : je considère que, pour l'instant, la dynamique de l'indispensable réconciliation nationale avec les populations du Nord n'est pas engagée. Les blocages n'ont pas été surmontés. Pourtant, les financements existent pour accompagner le processus, et les Nations unies, sous l'égide de M. Koenders, sont mobilisées, mais la dynamique politique fait défaut. Je le regrette. Cependant, le remaniement gouvernemental qui vient d'avoir lieu ouvre de nouvelles perspectives avec l'arrivée à la tête du ministère de la Réconciliation nationale de M. Sidy Mohamed, qui est touareg. D'autre part, M. Maïga, le ministre de la Défense, a la volonté d'aboutir. Je pense que l'accord de défense entre le Mali et la France pourra être signé dans les prochains jours. Ce sera un signe d'avancée dans le domaine politique.

J'en viens aux perspectives de notre action militaire. Comme je vous l'ai indiqué, j'ai pris la décision, à la demande du Président de la République, d'organiser différemment notre présence militaire dans la bande sahélo-saharienne pour nous permettre, à partir de pôles d'intervention régionalisés, de mutualiser dans la durée une force d'environ 3 000 soldats sur place. Notre présence s'articulera autour de quatre pôles : Gao, au Mali, N'Djamena, au Tchad ; Niamey, au Niger ; Ouagadougou, au Burkina Faso. L'ensemble sera placé sous un commandement unique positionné au Tchad. Cette réorganisation, une fois achevée, nous conduira à changer le nom de l'opération, puisque nous ne sommes plus dans la logique qui a présidé à Serval, Epervier ou Sabre, mais dans des opérations de contre-terrorisme, en partenariat avec la MINUSMA, les forces armées maliennes et les forces des pays qui nous accueillent. La réorganisation servira aussi à mettre en place des bases avancées. La base logistique sera, quant à elle, à Abidjan. Nous avons construit avec les pays concernés des partenariats solides qui nous permettront de poursuivre cette action dans le temps.

La semaine dernière, le général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées, s'est rendu à une réunion des chefs d'état-major du « G5 du Sahel » – Mauritanie, Mali, Niger, Tchad et Burkina Faso – qui ont rédigé un communiqué commun soulignant « la nécessité d'apporter une réponse régionale et coordonnée aux défis sécuritaires actuels ». Ce développement positif témoigne d'une prise de conscience et d'une volonté effective de coopération. Il s'agit d'une démarche entièrement nouvelle pour des pays dont les relations se caractérisaient plutôt, il n'y a pas si longtemps, pour certains d'entre eux en tout cas, par la méfiance et la tension.

J'en viens au deuxième volet de notre débat, la situation en Centrafrique. On constate d'une part une situation sécuritaire et politique qui demeure fragile et incertaine, en raison de la profondeur de la crise et de la faiblesse, sinon l'inexistence, des institutions, et, d'autre part, le début de la concrétisation du soutien international à notre action, soutien qui permet la mise en place des outils de sortie de crise.

La situation sécuritaire est la suivante. À Bangui, exception faite de quelques zones localisées – les quartiers musulmans PK5 et PK12 –, le calme est globalement revenu et la vie économique reprend son cours, mais la tension demeure vive et des incidents peuvent éclater à n'importe quel moment, principalement sous l'effet de la radicalisation du mouvement anti-balaka. Une partie de ce mouvement est manipulée par le clan de l'ex-président Bozizé, qui mène une stratégie du chaos dans l'espoir d'obtenir la chute de la présidente Catherine Samba-Panza et de faire échouer la période de transition. Ce mouvement exploite également un sentiment de revanche après le retrait des ex-Séléka vers l'Est du pays.

J'en veux pour preuve les violences qui ont eu lieu le 29 mars dernier à PK12 au passage d'un convoi tchadien de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine (MISCA). À la suite d'une provocation armée des anti-balaka, les Tchadiens ont riposté à l'arme lourde, causant vingt morts et une soixantaine de blessés dans la population. Cette réaction disproportionnée a été condamnée par la communauté des ONG et des agences des Nations unies, ce qui a conduit le Président Déby à retirer en quelques jours le contingent tchadien de la MISCA. Ce départ n'est pas une bonne nouvelle car chacun sait le rôle central que joue le Tchad – par ailleurs actuel membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations unies – dans le règlement de cette crise.

En province, la route reliant Bangui à la frontière camerounaise est de nouveau ouverte et fluide, ce qui a permis la reprise progressive du trafic routier. Cette normalisation permet en particulier d'acheminer l'alimentation et les soins humanitaires indispensables pour rétablir une situation qui demeure très précaire pour un bon nombre de Centrafricains ; la saison des pluies qui débute ne fera qu'aggraver la fragilité des populations déplacées ou victimes de cette crise.

La partie Ouest du pays reste plutôt calme, à l'exception de la ville de Boda ou les tensions confessionnelles restent fortes : nous maintenons un dispositif solide sur place pour éviter toute confrontation. Au centre du pays, une zone contestée entre les ex-Séléka qui se replient vers le Nord-Est et les anti-balakas qui occupent progressivement le vide, la situation reste très tendue. Le triangle formé par Sibut, Kaga-Bandoro et Bambari constitue une zone de fortes tensions sur laquelle la MISCA et Sangaris exercent toute leur vigilance. Enfin, nous n'avons qu'une faible visibilité sur la Vakaga, région située au Nord-Est, près de la frontière avec le Tchad.

Notre dispositif est désormais organisé en trois groupements tactiques : l'un se situe à Bangui, un autre contrôle l'axe logistique avec le Cameroun, le troisième se déploie à Ndélé au Nord et, à Bambari et Bria, à l'Est, où nous sommes depuis peu de temps. La décision prise par le président de la République de porter l'effectif à 2 000 hommes nous permet de mener de front ces trois missions malgré les élongations logistiques – 850 kilomètres séparent les points les plus éloignés de la présence française en RCA – et le début de la saison de pluies.

L'élargissement de notre périmètre d'action est aussi rendu possible par le travail effectué par les Burundais et les Rwandais dans Bangui, qui nous a permis de relancer notre action hors de la capitale.

En dépit de difficultés logistiques et de commandement, la MISCA tient son rang dans Bangui. En province, le déploiement est aux trois-quarts terminé. Le départ des Tchadiens, qui avaient la responsabilité de la zone Nord, constitue un vrai défi pour la MISCA, qui cherche une solution de remplacement ; un autre bataillon africain devrait prochainement venir compléter les effectifs.

Enfin, la mission EUFOR RCA, qui comptera 800 hommes, a été lancée officiellement le 2 avril dernier, non sans mal. Elle permet d'envisager une première capacité opérationnelle à la fin du mois d'avril. Les précurseurs, dirigés par le général français Thierry Lion, sont sur place ; les 800 soldats de la mission EUFOR prendront progressivement leur place dans les missions assurées aujourd'hui par Sangaris et la MISCA à Bangui.

Pour terminer, je voudrais insister sur les quatre défis qu'il faudra prioritairement relever dans les mois à venir. Il s'agit d'abord de la sécurité des communautés musulmanes. Si la majorité des musulmans a déjà quitté le Sud du pays pour se réfugier dans le Nord-Est, des populations musulmanes sont encore présentes à Bangui et dans l'Ouest et nous avons pour mission de les y maintenir, même si nous subissons de fortes pressions des ONG et de certaines agences des Nations unies pour accompagner leur évacuation. Notre position est très difficile, puisqu'il faut inciter cette population à rester afin de ne pas aggraver une partition du pays qui ne dirait pas son nom, tout en la protégeant des agressions des anti-balakas. Il y faut tout le sang-froid du général Soriano et de son équipe.

Le deuxième défi consiste à poursuivre rapidement le déploiement de Sangaris et de la MISCA sur le territoire centrafricain avant la saison des pluies, afin que la présence physique des forces internationales dans la majeure partie du pays soit un facteur de dissuasion pour les ex-Séléka qui ont la tentation de provoquer la partition du pays.

Le troisième défi consiste à concrétiser le renfort international à notre action. La bonne nouvelle est l'adoption à l'unanimité, le 10 avril, de la résolution 2149 du Conseil de sécurité des Nations unies. Elle permet le déploiement d'une opération de maintien de la paix formée à partir d'une partie de l'actuelle MISCA et de nouveaux contingents ; son effectif cible est de 10 000 militaires, 1 800 policiers et 200 civils. La MISCA deviendra donc la MINUSCA, et le défi sera de préparer son arrivée. Les civils arriveront rapidement, l'ensemble de la force progressivement.

Il faudra enfin obtenir la relance du processus politique en RCA, actuellement à l'arrêt. Faute de soutiens et de dynamique, Mme Catherine Samba-Panza incarne aujourd'hui davantage l'impuissance que l'espoir. Au cours du 4e sommet Union européenne-Afrique des 2 et 3 avril, le président de la République s'est entretenu à ce sujet, comme je l'ai fait, avec plusieurs chefs d'État africains. En effet, une initiative politique urgente est indispensable pour remettre la transition sur les rails, et elle ne peut être mise en oeuvre que dans un cadre régional.

Voilà ce que je souhaitais vous dire à propos de la situation au Mali et en RCA – des questions qui, en dépit de la crise ukrainienne, m'occupent beaucoup.

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