Intervention de Antoine Bouvier

Réunion du 16 avril 2014 à 17h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Antoine Bouvier, président de MBDA :

Quelles sont les valeurs ajoutées de la composante nucléaire aéroportée à la posture de dissuasion française ? J'en vois principalement deux. La première est de renforcer la crédibilité de la posture de dissuasion. Le principe à l'oeuvre en la matière est celui de stricte suffisance. Cela signifie que la marge de manoeuvre par rapport à une situation où nous ne serions plus suffisants doit être gérée, alors qu'elle est la plus étroite possible. À terme, tout un ensemble de facteurs pourrait venir dégrader cette marge de manoeuvre entre ce qui est suffisant et ce qui ne le serait plus : évolutions technologiques, évolution de la menace, évolution des scénarios stratégiques ou de la doctrine de dissuasion.

Pour renforcer cette crédibilité, il faut être robuste à ces différents changements et assurer un certain nombre de redondances par rapport à ces évolutions. La composante aéroportée, qui apporte une chaîne totalement différente de la chaîne océanique en termes de porteurs, de vecteurs, d'effecteurs ou de mise en oeuvre apporte cette redondance et cette robustesse. Elle peut en outre l'apporter à un coût inférieur à ce que serait le coût de maintien d'une seule composante – la composante océanique – si l'on voulait investir afin de rendre cette unique composante robuste à ces évolutions.

Seconde valeur ajoutée, la composante aéroportée élargit considérablement l'éventail des options stratégiques. Ainsi que le général Bentégeat l'a rappelé devant vous, qu'il s'agisse de frappes ciblées, d'ultime avertissement, etc., tout un ensemble de scénarios stratégiques est assuré par la composante aéroportée et ne pourraient l'être dans les mêmes conditions par la composante océanique.

Toutefois notre responsabilité d'industriel n'est pas de nous prononcer sur les deux valeurs ajoutées que je viens d'exposer. Elle est, le jour où la décision politique sera prise de poursuivre ou non la composante aéroportée, de garantir que la décision ne soit pas contrainte par des éléments financiers ou technologiques. Plus précisément, notre responsabilité est que cette décision de nature politique puisse être prise avec le niveau de contrainte financière et technologique le plus bas possible en assurant, d'une part, le maintien de la composante aéroportée au coût le plus bas possible sur le long terme et, d'autre part, le maintien d'un haut niveau de performance et de pénétration.

À cet égard, je tiens à souligner que les capacités dont nous disposons en France sont au meilleur niveau mondial. Depuis plusieurs décennies nous avons investi sur la propulsion sur statoréacteur avec l'ASMP puis l'ASMP-A. Par ailleurs, au sein du MBDA, nous disposons de capacités de défense anti-aérienne qui nous permettent de comprendre les évolutions technologiques et les enjeux en termes de pénétration. C'est ainsi que l'ASMP-A, que nous avons livré à l'armée de l'air et à la marine, suscite plus que l'intérêt de la part des forces américaines.

On pourrait s'interroger quant à l'utilité de développer un missile dont les performances sont, précisément, uniques et se situent à un niveau probablement supérieur à celles dont disposent les forces de certains grands pays, notamment les États-Unis. J'apporterai une réponse à cette question en faisant un parallèle avec le F 22, le JSF et le B2. On constate que, depuis plusieurs décennies, les États-Unis ont principalement investi sur les plates-formes et ce pour des montants considérables – plusieurs dizaines de fois ce qui aurait été nécessaire pour investir sur les missiles et l'armement. Or les objectifs techniques de ces plates-formes, notamment en termes de furtivité, se sont révélés largement surestimés. Les États-Unis sont donc aujourd'hui en difficulté car les performances de ces plates-formes ne sont pas au niveau attendu, en particulier en termes de pénétration, et que les performances des missiles qui les arment – F 22 et JSF – ne sont plus cohérentes avec les missions. Ceci explique l'intérêt des forces américaines pour un missile comme le Meteor.

Ce que je viens de décrire pour l'armement conventionnel s'applique également à l'armement nucléaire. Les États-Unis ont investi des montants énormes dans des porteurs, des environnements de guerre électronique active et des environnements de support, mais pas sur ce qui aurait été le levier le plus efficace quant au rapport budgetperformance : le missile et l'effecteur. Ne nous trompons donc pas sur le constat : le missile dont nous disposons en France n'excède pas les besoins mais reflète une optimisation de l'investissement entre les porteurs et l'environnement d'une part, et les effecteurs d'autre part.

La France est aujourd'hui le seul pays à disposer d'un vecteur nucléaire supersonique, les autres ne possédant que des vecteurs subsoniques qui associent manoeuvrabilité et furtivité. À l'exception du Royaume-Uni, tous les pays qui disposent de l'arme nucléaire aéroportée développent de nouvelles versions et des technologies de type supersonique.

L'approche de MBDA en matière de nucléaire aéroportée est la suivante. Notre objectif est de réduire au niveau minimal le coût pour les forces françaises du maintien en condition opérationnelle (MCO) du missile nucléaire aéroporté, du développement des technologies – à travers les programmes d'études amont (PEA) – qui seront nécessaires pour développer les nouvelles versions, et des activités de développement et de production qui s'appliquent à la composante nucléaire aéroportée comme aux autres vecteurs.

Je citerai deux chiffres particulièrement révélateurs. Lorsque, comme aujourd'hui, nous connaissons une phase sans développements, les activités de MCO et d'études amont correspondent à environ 5 % des effectifs du bureau d'études de MBDA en France. Lorsque nous travaillons sur un développement significatif de type ASMP-A, l'activité nucléaire aéroportée correspond à 20 % de ces effectifs. Contrairement à mes collègues de DCNS et d'Airbus, cette activité ne représente donc pas une part majeure en termes de charge de travail ou de maintien de compétences. Notre problématique est davantage le maintien de ces compétences à coût minimal en utilisant au mieux les synergies que nous avons avec les autres activités de l'entreprise, qu'il s'agisse des programmes tactiques pour le client français ou des programmes export.

Pour ce faire nous recourons à une allocation dynamique des ressources. Au sein de la direction des missiles longue portée de MBDA France, entre le Missile de Croisière Naval (MDCN), l'Exocet, les travaux sur le Scalp et ses versions futures, nous disposons de la taille critique nécessaire au maintien de l'activité nucléaire aéroportée à un coût minimal. En effet, nous sommes parfaitement conscients du fait qu'il s'agit d'un enjeu de performance mais également de coût. Les transferts entre programmes et entre directions permettent de garantir que les effectifs consacrés à cette activité ne sont à aucun moment supérieurs en termes de charge – et donc de coût pour le client français – à ce qui est strictement nécessaire pour l'honorer. Dès que nous sommes confrontés à un problème de sous-charge et afin de maintenir les compétences, nous réallouons donc nos ingénieurs sur les programmes MDCN, Exocet ou Scalp. Au sein du bureau d'études nous gérons les grandes compétences par métiers, qui sont par définition multi-programmes. Nous gérons nos réseaux d'experts de la même manière. De fait, la composante nucléaire aéroportée peut bénéficier, à coût marginal, de l'ensemble de ces compétences.

Nous continuons en outre à créer et renforcer un certain nombre de synergies entre le nucléaire aéroporté et les activités conventionnelles à travers le développement de chaînes fonctionnelles communes – guidage, navigation – ou la maîtrise de technologies innovantes communes également – le traitement thermique par exemple, qui est un enjeu majeur pour la chambre de combustion et pour l'extérieur des missiles, notamment pour les nouvelles versions des missiles nucléaires aéroportés.

De la même façon, opérant sur un marché extrêmement concurrentiel, nous développons nos efforts afin de maintenir notre structure de coût la plus efficace possible sur nos missiles traditionnels – Exocet, MILAN, MISTRAL, MMP –, efforts qui bénéficient directement à notre activité nucléaire aéroportée.

Notre problématique n'est donc pas, à titre principal, le maintien de compétences génériques, mais le développement de technologies spécifiques au secteur nucléaire aéroporté ayant, par la suite, vocation à être utilisées directement ou indirectement pour nos autres activités. Notre souci premier est de maintenir cette activité et ce niveau technologique à un coût minimal en utilisant au mieux la taille critique et nos autres activités.

Quelles sont les prochaines étapes ? L'ASMP-A est désormais en service opérationnel sur Mirage 2000 et sur Rafale. Il y a quelques années déjà, nous avons lancé des PEA pour préparer son successeur. Je rappelle que les études sur l'ASMP-A avaient été lancées avant que l'ASMP ne soit en service. Les enjeux principaux sont des enjeux de pénétration. Il s'agit de déterminer le bon compromis entre la vitesse, la manoeuvrabilité et la furtivité. Ces questions sont au coeur du développement du successeur de l'ASMP-A. Nous travaillons aujourd'hui sur deux grandes solutions techniques à travers deux PEA : le haut supersonique et l'hypersonique. L'ensemble des activités développées au travers de ces deux PEA seront directement ou indirectement réutilisées pour la frappe dans la profondeur et pour les nouvelles versions – probablement supersoniques – de la frappe antinavires. Les successeurs du Scalp et de l'Exocet, aujourd'hui subsoniques, seront sans doute supersoniques. Les enjeux relatifs aux versions futures de l'ASMP-A, du Scalp et de l'Exocet sont donc très liés et forment un ensemble cohérent qui a pour objectif de permettre de disposer de la technologie au bon niveau et au juste coût. Ainsi, le jour où la décision de lancer les développements préparant le successeur de l'ASMP-A sera prise, l'industriel que nous sommes aura fait son travail en apportant dans les éléments de décision le niveau technologique permettant de maintenir les capacités et la crédibilité, ainsi que les éléments de coûts permettant de rendre cette décision la plus facile possible.

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