Intervention de Ségolène Neuville

Réunion du 30 avril 2014 à 9h30
Commission des affaires sociales

Ségolène Neuville, secrétaire d'état chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion :

C'est pour moi un grand honneur d'être auditionnée par cette commission que je connais bien ; c'est aussi beaucoup d'émotion et un réel plaisir.

Certains d'entre vous siégeaient déjà au Parlement et se souviennent bien des débats précédant le vote de la loi du 11 février 2005 – grande avancée dans le domaine du handicap puisque ce texte dispose que l'ensemble des établissements recevant du public, des installations ouvertes au public, des lieux de travail, doivent être accessibles à tous, y compris aux personnes handicapées, quel que soit leur handicap : physique, sensoriel, cognitif, mental ou psychique. La loi donnait dix ans aux différents acteurs concernés pour organiser l'accessibilité des établissements publics, des logements, des transports… Or l'application du dispositif a pris du retard. Il faut dire que si la loi fixait une échéance – le 1er janvier 2015 –, elle ne prévoyait pas de suivi organisé.

Il a fallu attendre 2012 pour que soit publié un premier rapport parlementaire, rédigé par les sénatrices Claire-Lise Campion, aujourd'hui rapporteure de ce texte au Sénat, et Isabelle Debré. Le rapport conclut que la loi ne pourra pas être appliquée dans les délais prévus.

En septembre 2012, un travail conjoint de l'IGAS, du Conseil général de l'environnement et du développement durable et du Contrôle général économique et financier, a constaté de même les difficultés et retards dans la mise en oeuvre des obligations fixées par la loi de 2005.

À la suite de ces deux rapports, le Premier ministre a confié en octobre 2012 une mission parlementaire à Claire-Lise Campion sur l'accessibilité en France, lui demandant un état des lieux et des solutions concrètes.

En ce qui concerne l'état des lieux, nous disposons d'un certain nombre de chiffres. Ainsi, pour un total d'environ 2 millions d'établissements recevant du public, qu'ils soient privés ou publics, on compte 298 000 établissements communaux, dont 56 % ont été diagnostiqués et 18 % sont en cours de diagnostic.

Dans les communes de moins de 3 000 habitants, où trois ou quatre établissements, le plus souvent, reçoivent du public – la mairie, l'église, l'école et la salle polyvalente –, le coût de la mise en accessibilité avoisine 10 000 euros par établissement. Ce coût moyen, pour les communes de plus de 3 000 habitants, qui disposent d'établissements plus grands nécessitant davantage de travaux, est de 73 000 euros par établissement.

Aux termes de la loi de 2005, les communes sont tenues de se doter d'un plan de mise en accessibilité de la voirie et des aménagements des espaces publics (PAVE). En 2012, 13 % seulement d'entre elles avaient adopté le leur. Chiffre un peu plus optimiste : un PAVE était en cours d'élaboration dans 51 % des communes.

En dehors du domaine public, sur presque 34 millions de logements, 80 % sont soit dotés d'un ascenseur soit situés au rez-de-chaussée. Reste que cette donnée n'indique pas les dimensions de ces logements et que la présence d'un ascenseur ne garantit pas nécessairement l'accessibilité aux personnes handicapées.

Alors qu'en matière de transports urbains, les avancées ont été très importantes, puisque 90 % des autobus sont adaptés, les chiffres restent bien inférieurs pour les transports interurbains et le transport public ferroviaire. Je rappelle qu'on compte quelque 3 000 gares en France dont 400 sont considérées comme prioritaires pour la SNCF. Parmi ces dernières, cinquante sont totalement accessibles et une centaine le seront en 2015. La difficulté, en l'espèce, est de savoir qui doit porter la responsabilité des travaux d'aménagement puisque plusieurs acteurs sont impliqués : SNCF, Réseau ferré de France (RFF), régions.

Même si ces données ne sont pas exhaustives, elles montrent bien qu'il ne sera pas possible de parvenir à l'accessibilité universelle le 1er janvier 2015.

Il faut donc agir, ce qu'a décidé le comité interministériel du handicap de septembre dernier en organisant une vaste concertation avec l'ensemble des acteurs concernés – associations de handicapés, collectivités locales, SNCF, fédérations de professionnels, artisans, professions libérales… – afin de proposer des solutions. C'est la première concertation de ce type en France ; elle a duré d'octobre à février pour une durée totale de 140 heures. Dans la continuité du rapport de Claire-Lise Campion, il est ainsi proposé, d'une part, l'établissement d'agendas d'accessibilité programmée (Ad'AP) et, d'autre part, le réajustement et la simplification des normes imposées au bâti et aux transports, dans le but d'aboutir à une accessibilité concrète.

La loi de 2005 reste en vigueur et les délais prévus ne sont pas repoussés. Ainsi, à partir du 1er janvier 2015, qui n'aura pas réalisé les travaux d'accessibilité ou qui n'aura pas adopté un agenda d'accessibilité programmée restera passible de sanctions pénales.

L'agenda d'accessibilité programmée donne la possibilité de dépasser la date du 1er janvier 2015 sans encourir de sanction pénale. Il s'agira donc de déposer, avant le 31 décembre 2014, un dossier à la fois technique et financier. D'ici au 31 décembre 2014, l'ensemble des établissements et des autorités de transports devront déposer soit l'agenda complet, soit une intention de le déposer – cas dans lequel la date limite est fixée à un an après le dépôt des ordonnances, qui devraient être publiées au cours du mois de juillet prochain.

Cet agenda, déposé auprès du préfet et de la commission départementale des personnes handicapées (CDPH), déterminera un certain nombre de périodes en fonction du type d'établissement. Les établissements de 5e catégorie – soit 80 % du total –, par exemple, devront établir un agenda n'excédant pas trois ans. Au bout d'un an, tous les établissements devront quoi qu'il en soit rendre des comptes.

Ainsi, si un établissement de 5e catégorie – qui ne reçoit pas énormément de public – décide qu'il n'a qu'une rampe extérieure à installer, il ne disposera pour cela que d'une période d'un ou deux ans. Mais on peut, dans le cas de plusieurs locaux municipaux, imaginer plusieurs périodes : d'abord la réorganisation de l'accessibilité des locaux estimée à deux ans ; ensuite, l'aménagement d'ascenseurs pour une durée elle aussi estimée à deux ans. L'agenda couvrira donc ici quatre années mais avec des comptes à rendre au terme de chacune des deux périodes. Autre exemple : une chaîne de magasins peut prévoir une première période d'un an pour organiser le cheminement des personnes aveugles, une deuxième période, plus longue, pour installer un élévateur, et une troisième pour aménager l'accessibilité des caisses.

Les projets d'agenda seront validés par le préfet après avis de la commission consultative départementale de sécurité et d'accessibilité (CCDSA). L'Ad'AP débutera à compter de la décision du préfet. Le silence de ce dernier vaudra acceptation implicite – sauf pour les établissements de première et deuxième catégorie, qui reçoivent plus de mille personnes et devront obtenir l'avis conforme de la CCDSA. Cet accord implicite constitue une simplification importante.

Le responsable de l'agenda, en général l'exploitant de l'établissement ou le maire s'il s'agit d'une commune ou encore le président de l'exécutif, transmettra au préfet un bilan à la fin des périodes intermédiaires mais aussi en fin de première année. Enfin, une attestation sera délivrée à la fin de l'agenda.

Les sanctions pénales prévues par la loi de 2005 ne s'appliqueront que pour les acteurs qui n'auront pas déposé d'agenda. Et ceux qui, à la fin de leur agenda, n'auront rien réalisé, redeviendront pénalement sanctionnables. Aux termes de la loi de 2005, le non-respect des obligations d'accessibilité est passible de 45 000 euros pour les personnes physiques, de 225 000 euros pour les personnes morales et d'une peine d'emprisonnement de six mois en cas de récidive. Si l'on dépose trop tardivement le dossier d'agenda et si l'on ne transmet pas les bilans d'avancement et les attestations finales de celui-ci, on encourt une pénalité dont le montant alimentera les caisses de l'État. En cas de non-respect de l'agenda, le produit de la sanction financière alimentera un fonds, créé par la réforme, dédié à l'accessibilité. Le montant de ces amendes sera déterminé par les ordonnances.

Je sais combien il est désagréable pour un parlementaire d'avoir à voter une loi habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnances. C'est du reste dès le mois de septembre dernier que le Premier ministre d'alors avait annoncé qu'il soumettrait au Parlement un tel projet de loi. En effet, cette méthode est la seule qui nous permette d'être prêts pour le 1er janvier 2015. Ensuite, nous ne remettons en rien en cause la loi de 2005 ; l'objectif est donc de nous donner les moyens de l'appliquer. Pour cela, également, on l'a dit, nous voulons simplifier certaines normes.

Cette simplification relève du domaine réglementaire mais le moins est tout de même de vous donner des éléments d'information. Elle est issue de la concertation dont vous pourrez trouver les résultats en ligne sur le site du Gouvernement. Il a été décidé de reprendre l'ensemble des mesures proposées sans modification.

Par exemple, il était jusqu'à présent prévu que toutes les entrées des établissements publics soient accessibles pour tous. S'il est impossible ou trop coûteux de réaliser des travaux sur la première entrée, il sera désormais possible de créer une deuxième entrée répondant à cette condition. De la même façon, les sanitaires existants devaient tous être accessibles ; or certains ne sont pas du tout adaptables ; aussi sera-t-il possible d'installer de nouvelles toilettes accessibles à tous. Autre exemple, il sera envisageable pour les petits commerces, en dernier ressort, d'installer une rampe non plus définitive mais amovible. Dans les hôtels, plutôt que d'exiger qu'on puisse faire le tour du lit avec un fauteuil roulant, il suffira qu'un seul côté du lit offre la largeur nécessaire. Dernier exemple : les restaurants pourvus d'une mezzanine seront dispensés de sa mise en accessibilité pour les personnes en fauteuil, à condition qu'elle représente moins de 25 % de la surface d'accueil de l'ensemble du restaurant.

L'esprit de ces simplifications est donc de rendre pratique l'accessibilité universelle. Notre objectif est de trouver les moyens d'appliquer la loi de 2005 avec une programmation précise. Le fait que ce texte n'ait pas prévu le suivi de son application explique le retard auquel nous sommes confrontés.

Je vais signer très prochainement une convention avec la Caisse des dépôts et consignations et avec Bpifrance afin que des prêts bonifiés puissent être attribués aux collectivités locales et aux acteurs privés pour qu'ils envisagent sereinement leurs travaux. Ensuite, pour sensibiliser tous les acteurs concernés, une campagne de communication va être lancée dans les jours qui viennent, ainsi qu'une campagne de terrain, des services civiques devant être formés pour servir d'« ambassadeurs de l'accessibilité ».

L'accessibilité concerne 12 millions de personnes en France – des centaines de millions dans le monde – et, du fait du vieillissement de la population, ils seront de plus en plus nombreux. Or bien plutôt qu'une charge supplémentaire, l'accessibilité est un investissement. C'est aussi une façon de faire venir plus de monde dans son établissement. De nombreux touristes, désormais, se renseignent pour savoir si un site est accessible ou non. On se prive, en France, de facteurs de croissance, notamment via le tourisme, en se privant de l'accessibilité universelle, qui est donc un atout.

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