Intervention de Jérôme Guedj

Réunion du 30 avril 2014 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJérôme Guedj, rapporteur :

Nous sommes réunis ce matin pour examiner le rapport la MECSS sur le financement de la branche famille, rapport que la mission a adopté hier. Je tiens à rappeler avant tout les conditions particulières dans lesquelles nous avons conduit nos travaux. En effet, compte tenu des réformes nombreuses qu'a connues la branche famille, nous avons décidé de procéder en deux temps. En premier lieu, la Cour des comptes a remis un état des lieux du financement de la branche famille à la MECSS en novembre 2012.

Dans un second temps, la MECSS a précisé ses demandes et saisi la Cour des comptes d'une demande d'étude relative à l'impact sur la croissance et l'emploi d'une suppression des cotisations familiales et de leur remplacement par différentes taxes : la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), la contribution sociale généralisée (CSG), une taxe environnementale ou une cotisation sur la valeur ajoutée. À la demande de la Cour, la direction générale du Trésor a effectué, sur la base du modèle MESANGE, plusieurs simulations permettant d'appréhender les effets macroéconomiques de la substitution de ces quatre taxes à tout ou partie des cotisations famille. Un second rapport sur ces simulations a été transmis à la MECSS par la Cour des comptes en mai 2013.

Les réformes intervenues depuis lors – notamment la mise en place du Pacte de responsabilité – ont nécessité des auditions complémentaires et expliquent le calendrier atypique de cette mission. Alors que la MECSS prévoyait un travail prospectif et technique, le sujet a été très vite au coeur de l'actualité avec la mise en place du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, la réforme du quotient familial et la mise en place du Pacte de responsabilité.

Des vingt-huit auditions menées depuis un an et demi, la mission a tiré plusieurs réflexions, que le rapport – qui vous est soumis aujourd'hui – s'attache à détailler.

Le financement de la branche famille a connu, depuis les années quatre-vingt-dix, deux évolutions notables. La première est une diversification de ses ressources – destinée à mieux mettre en cohérence sa structure de financement avec l'universalisation des prestations versées – avec l'affectation, à compter de 1991, d'une fraction de la CSG. La seconde est la fiscalisation accrue de son financement sous forme d'attribution d'impôts et de taxes affectés qui apparaît comme la conséquence des allégements de cotisations sociales.

Ces évolutions ont cependant fragilisé le financement de la branche famille. En premier lieu, parce qu'elles ont renforcé la dépendance de la branche aux revenus d'activité et donc l'ont rendue plus sensible aux évolutions de l'économie française : en prenant en compte la CSG et la taxe sur les salaires, plus de 80 % des ressources de la branche sont directement tributaires de ces revenus. En second lieu, les allégements généraux de cotisations patronales ont été compensés par l'attribution d'un « panier » de recettes fiscales qui connaissent une progression peu dynamique pour certaines d'entre elles. C'est le cas, notamment, des trois recettes fiscales affectées à la branche famille en compensation de la perte de 0,28 point de CSG transféré de la branche famille à la caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES) par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2011. Ces réformes ont donc conduit, à la fois, à une augmentation de la part des impôts et taxes affectés – qui est passée de 0,8 % des recettes de la branche famille en 2005 à 12,1 % en 2013 – mais aussi à une fragilisation de ses recettes.

Ainsi, la branche famille connaît depuis 2008 une dégradation continue de ses comptes. Étant donné la progression dynamique des dépenses de la branche ces dernières années, il apparaît aujourd'hui nécessaire de lui garantir un financement pérenne et compatible avec ce dynamisme.

Le second constat est que les personnalités auditionnées par la MECSS, à l'exception notable des organisations patronales, ont unanimement considéré que la participation des entreprises au financement de la branche famille est justifiée par l'objectif de conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle. Dans le rapport transmis à la MECSS, la Cour des comptes estime que les dépenses relatives à la conciliation entre la vie professionnelle et la vie familiale représentent entre 10 et 15 milliards d'euros, soit entre 25 et 38 % des prestations légales et d'action sociale servies par la branche. En termes de financement, ces montants représentent de l'ordre de 1,4 à 1,8 point de cotisation patronale « famille ».

La participation des entreprises au financement de la branche famille pose aussi la question de la gouvernance de la branche. Je trouve ainsi étonnant que les organisations professionnelles d'employeurs se sentent trop peu impliquées dans la politique familiale pour en assurer une partie du financement tout en considérant que cette politique les concerne assez pour qu'ils participent à sa gestion et à sa gouvernance…

Le troisième constat est que la politique actuelle d'allégement des cotisations patronales familiales s'inscrit dans une évolution engagée depuis plus de trente ans et visant à atténuer la part de ces cotisations dans les coûts salariaux. Le sujet des allégements de cotisations patronales est aussi vieux que la branche famille elle-même !

En 1946, le taux des cotisations sociales « famille » s'élevait à 16,75 %, mais leur plafonnement les rendait dégressives. L'évolution du financement de la politique familiale est ensuite marquée par une baisse régulière des cotisations familiales. Cette baisse des taux s'est accompagnée d'un développement des exonérations de cotisations patronales d'allocations familiales prises en charge par le budget de l'État à partir de la loi du 27 juillet 1993. Cette politique a conduit à un taux réel de cotisation des entreprises bien inférieur au taux affiché de 5,4 % en 2013 et 5,25 % en 2014. La Cour des comptes évalue qu'en 2013, ce sont 35 % de la masse salariale et 56 % des effectifs en équivalents temps plein pour lesquels le taux de 5,4 % n'est de facto pas appliqué et pour lesquels le taux des cotisations effectivement payées par les entreprises au titre de la branche famille est d'un point inférieur au taux nominal. Pour les salaires situés entre 1 et 1,6 SMIC, le taux de cotisation moyen effectivement acquitté s'élève à 2,6 %.

La réforme du financement de la branche famille doit prendre en compte les effets relativement limités des baisses de cotisations sociales sur l'emploi et l'impact économique de la nouvelle recette affectée à la branche famille

Un des arguments économiques avancés pour justifier la baisse de cotisations sociales famille est celui d'un excès de « charges » pesant sur les entreprises et d'un impact sur la compétitivité des entreprises. Or, la suppression des cotisations « famille » représente une baisse de 5 % du coût du travail, soit une baisse très limitée de 1,2 % des coûts de production. En outre, le taux des cotisations sociales des employeurs n'est pas un déterminant significatif du coût du travail. Ainsi, le Conseil d'analyse stratégique a montré, dans une note réalisée en 2008, l'absence de corrélation entre le coût du travail et le taux de cotisations patronales et plus généralement le prélèvement socio-fiscal sur les salaires dans les trente pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Trois questions me semblent essentielles aujourd'hui. La première concerne l'impact de la baisse des cotisations sociales sur l'emploi.

Selon la simulation macroéconomique réalisée pour l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) par Éric Heyer et Mathieu Plane en 2012, le nombre d'emplois créés en cinq ans par le dispositif « Fillon » est d'environ 500 000. Il convient néanmoins, selon eux, de relativiser ce chiffre, puisqu'il ne tient pas compte du financement du dispositif. Si la baisse des recettes de cotisations est financée par des recettes supplémentaires, selon le mode de financement, le bilan est plutôt de 250 000 à 300 000 emplois créés en cinq ans. Dans l'hypothèse d'une réaction des partenaires commerciaux qui adopteraient un dispositif similaire, on tombe à une fourchette de 70 000 à 170 000 emplois créés.

La deuxième interrogation concerne la recette de substitution aux cotisations patronales pour la branche famille. Le rapport de la Cour des comptes et l'ensemble des personnes auditionnées ont conclu à l'absence de « recette miracle » pour financer la branche famille.

Une réforme du financement de la branche famille peut consister à maintenir la participation financière des entreprises tout en changeant ses modalités afin que ce financement pèse moins sur l'emploi. Il pourrait prendre la forme d'une cotisation sur la valeur ajoutée. De même, comme l'ont montré les travaux du Haut Conseil du financement de la protection sociale, pourraient être privilégiées certaines réformes tendant à réduire les éléments de revenus du patrimoine qui échappent actuellement à la CSG. C'est le cas notamment de l'appréhension des plus-values mobilières et immobilières au moment du décès du détenteur ou d'une donation.

Vous n'êtes pas sans savoir que je considère qu'une évolution plus pertinente que la hausse de la CSG est de la rendre progressive. Cette mesure permettrait de rendre, de manière substantielle, du pouvoir d'achat aux catégories populaires et moyennes sans accroître le déficit public et garantirait des recettes pérennes à la branche famille. J'ai d'ailleurs déposé un amendement proposant une telle réforme au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014.

S'agissant du Pacte de responsabilité, je continue de penser que le CICE souffre de l'absence de ciblage, en particulier pour les secteurs exposés souffrant d'un déficit de compétitivité avéré. Cette absence de ciblage conduit à des effets d'aubaine importants dans des secteurs tels que la grande distribution, le bâtiment et les travaux publics ou les professions réglementées.

En outre, il est indispensable aujourd'hui de garantir à la branche famille des recettes pérennes, autonomes et suffisamment dynamiques. Trop de lois de financements de la sécurité sociale ont procédé – à l'exemple de celle de 2011 – à des « bricolages » financiers sans garantir à la branche famille des recettes suffisantes et durables.

Enfin, toute baisse du coût du travail ne saurait être avoir d'effet réel sur l'emploi que si elle est accompagnée de véritables contreparties de la part des entreprises. Les engagements pris par les employeurs n'ont été que peu précisés dans l'accord signé le 5 mars dernier entre les partenaires sociaux. La conférence sociale, qui devrait se tenir dès juin 2014, devra être l'occasion de préciser ces engagements.

Le rapport, qui vous est soumis aujourd'hui, est quelque peu atypique car il ne cherche pas à obtenir un consensus comme c'est le cas habituellement des rapports de la MECSS mais à apporter un éclairage nouveau en prenant comme point de départ, non pas le coût du travail, mais les besoins de financement de la branche famille. Ce rapport illustre ainsi la façon dont j'ai vécu mon travail de parlementaire pendant vingt-deux mois et, alors que mes fonctions de parlementaires prendront fin demain soir, je tiens à remercier l'ensemble des parlementaires de la commission des affaires sociales avec lesquels j'ai pris beaucoup de plaisir à travailler.

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