Intervention de Fanélie Carrey-Conte

Séance en hémicycle du 13 mai 2014 à 15h00
Économie sociale et solidaire — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFanélie Carrey-Conte, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, messieurs les rapporteurs pour avis, monsieur le président de la commission des affaires économiques, chers collègues, c’est avec une émotion certaine que je prends la parole cet après-midi, alors qu’un débat de plusieurs jours va se tenir à l’Assemblée nationale sur l’économie sociale et solidaire.

Je fais en effet partie, avec d’autres députés, de celles et ceux qui attendaient ce projet de loi et travaillaient sur ce sujet depuis plusieurs années.

De fait, ce texte est, à mon sens, porteur d’un enjeu majeur : celui de réinventer une politique publique de l’ESS dans notre pays. Je dis « réinventer » car je n’oublie pas qu’en 1981 – je n’en ai certes pas le souvenir précis, mais on me l’a raconté – une délégation de mission à l’ESS voyait le jour dans le gouvernement de Pierre Mauroy, actant la spécificité des entreprises que l’on a qualifiées de sociétés de personnes pour les distinguer des sociétés de capitaux.

Mais cette reconnaissance s’est progressivement effacée : force est de constater que, depuis plus de dix ans, il n’existe plus en France de politique publique organisant le soutien et l’appui au développement de ce secteur.

Ce texte est donc aujourd’hui une forme de consécration pour tous les acteurs, militants et soutiens de cette économie. Je salue, à cet égard, Mme la secrétaire d’État Valérie Fourneyron, que nous sommes ravis de voir au banc du Gouvernement. J’ai également une pensée pour Benoît Hamon, au regard de l’immensité du travail accompli.

Avant d’en venir aux travaux de la commission des affaires sociales, je ferai quelques réflexions préalables.

Pourquoi devons-nous nous féliciter de l’arrivée de ce projet de loi ? À mon sens, il est important de rappeler que l’économie sociale et solidaire n’est pas une juxtaposition d’entreprises fonctionnant à partir de principes de gestion communs. Elle est aussi, du fait de son histoire, de son apport à la société, de son organisation militante, un mouvement d’idées porteur d’un projet politique : la primauté de la personne sur le capital ; la promotion d’un entreprenariat collectif au service d’un projet, et non pas de la recherche du profit ; la démocratisation de la sphère économique.

Ce projet, on ne le niera pas, n’a pas toujours été idéalement incarné partout – on sait les dérives qu’ont pu connaître des structures se revendiquant de cette économie – mais je crois qu’il est important néanmoins de rappeler en permanence les idées qui le sous-tendent. Il est en effet au coeur de cet autre modèle de développement que nous appelons de nos voeux : un modèle qui, à l’inverse du système économique capitaliste libéral dominant dont on connaît les dérives, envisage autrement la finalité de l’économie et a en permanence le souci du durable, dans sa gestion comme dans son rapport au territoire.

Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui doit donc faire franchir à l’ESS une nouvelle étape, lui permettre de ne pas demeurer marginale, de ne pas être cantonnée au rôle de supplément d’âme du modèle dominant.

La commission des affaires sociales a été saisie de quinze articles. Elle a donné un avis favorable au présent projet de loi, après avoir adopté plusieurs amendements qui visaient à améliorer certaines de ses dispositions et qui ont été ensuite adoptés en commission des affaires économiques. Je ne reviendrai donc pas en détail sur chacun d’entre eux.

À l’article 1er, la commission a permis de renforcer les principes de gestion applicables aux entreprises de l’ESS, et de prévoir plus explicitement un contrôle de la conformité des statuts des sociétés commerciales lors de leur dépôt au greffe du tribunal de commerce.

À l’article 2, qui définit l’utilité sociale, la commission a proposé de mettre en avant la lutte contre les inégalités, de faire figurer parmi celles-ci les inégalités culturelles, et enfin d’introduire la notion d’éducation à la citoyenneté, en mentionnant notamment l’éducation populaire.

À l’article 7, qui rénove l’agrément solidaire, la commission a complété la liste des bénéficiaires de plein droit de l’agrément « entreprise solidaire d’utilité sociale » ou ESUS par la mention des organismes d’accueil communautaire et d’activités solidaires ou OACAS, dont font partie notamment les communautés Emmaüs.

La commission a enfin précisé la rédaction de l’article 33 sur les coopératives d’activité et d’emploi et enrichi l’article 49 en élargissant les missions des éco-organismes à la prévention des déchets.

Je voudrais enfin évoquer plusieurs défis auxquels nous devrons répondre, car l’adoption d’un nouveau cadre législatif est non pas un aboutissement mais un levier pour la suite.

Certains d’entre eux sont posés à la puissance publique, à nous, législateurs, au Gouvernement : il va falloir faire vivre cette loi. Il faudra évidemment pour cela mobiliser des moyens humains, financiers et administratifs. Il faudra aussi de la cohérence : on ne peut pas revivre l’épisode du CICE, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi. Les stratégies d’aides aux entreprises, indépendamment des débats qu’elles suscitent, ne peuvent faire abstraction de la spécificité des entreprises de l’ESS. Quel paradoxe que de laisser de côté celles qui se fixent pour règle le réinvestissement de leurs bénéfices dans le projet collectif plutôt que dans la distribution des dividendes !

Des défis s’adressent aussi aux acteurs de l’économie sociale et solidaire. Le fait qu’ils soient reconnus par la loi ne doit pas nuire à leur capacité à faire vivre l’autonomie de l’ESS, qui en est un élément constitutif. Les actes doivent être en accord avec les principes et le projet émancipateur de l’ESS doit être porté, voire approfondi, si l’on souhaite que ce mouvement continue demain à innover, à se renforcer, à susciter des questionnements nouveaux sur le fonctionnement du champ de l’économie, le rapport au pouvoir, le développement des territoires.

Je conclurai par une citation de Paul Eluard qui m’a immédiatement fait penser à l’ESS le jour où je l’ai découverte : « Il y a un autre monde, mais il est dans celui-ci ». Tel est l’enjeu que nous nous fixons : faire vivre et prospérer cet autre monde qu’est l’ESS pour qu’elle contribue pleinement à transformer notre quotidien, à dessiner de belles perspectives pour notre avenir collectif.

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