Intervention de Jean-Marie le Guen

Séance en hémicycle du 22 mai 2014 à 15h00
Modulation des contributions des entreprises — Présentation

Jean-Marie le Guen, secrétaire d’état chargé des relations avec le Parlement :

Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, le groupe GDR propose aujourd’hui à votre assemblée d’encourager l’investissement, la création d’emplois, les qualifications, l’augmentation des salaires et la préservation de l’environnement et d’éviter la confiscation de la richesse par la finance. Ce sont des objectifs qui rassemblent toute la gauche. Peut-être même rassemblent-ils, par certains aspects, au-delà. Je pense qu’à l’ouverture de ce débat il est important de pouvoir reconnaître mutuellement, d’où que l’on s’exprime, cette orientation commune et la sincérité de chacun en la matière.

Toutefois, si nous nous retrouvons sur les fins, nous différons dans les options retenues pour y parvenir. C’est ce qui me conduit à évoquer maintenant le contenu de la proposition de loi examinée ce jour, qui compte, vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, neuf articles, celui de gage inclus.

Les trois premiers ont pour objet de réformer l’impôt sur les sociétés en créant un barème de cet impôt qui soit fonction du chiffre d’affaires, en prévoyant un taux majoré de l’impôt sur les sociétés lorsque les dividendes versés aux actionnaires représentent plus de 10 % du bénéfice imposable et enfin en changeant la logique du plafonnement de la déductibilité des charges financières pour adopter le modèle en vigueur en Allemagne. Entre autres effets, ces articles aboutiraient à taxer davantage une entreprise au seul motif que son chiffre d’affaires serait plus important, sans considération de son bénéfice net, qui est pourtant le bon indicateur de sa capacité contributive.

Ainsi, une entreprise réalisant 100 000 euros de bénéfice pour un chiffre d’affaires de deux millions d’euros serait imposée à hauteur de 25 %, mais une entreprise réalisant les mêmes 100 000 euros de bénéfice pour un chiffre d’affaires de 50 millions d’euros serait imposée au taux de 40 %. Une telle différence de traitement ne répond à aucune rationalité économique ou fiscale. Cette modulation aboutirait, dans bien des cas, à taxer plus lourdement des entreprises moins profitables, et plus légèrement des entreprises très rentables, et à favoriser certains secteurs dans lesquels le taux de marge est structurellement élevé.

Ces articles conduiraient par ailleurs à rendre procyclique, comme disent les économistes, le mécanisme général de plafonnement de la déductibilité des charges financières avec le passage à un plafonnement fonction du résultat courant avant impôt corrigé d’un certain nombre de réintégrations – le fameux EBITDA, pour employer un jargon financier et, au surplus, anglo-saxon, c’est-à-dire le bénéfice avant intérêts, impôts, amortissements et provisions sur immobilisations. Comme cette assemblée l’avait relevé à l’occasion de la création de ce plafonnement en 2012, dans un tel modèle, la limitation de la déductibilité des charges financières est d’autant plus forte que le résultat de l’entreprise est faible. Autrement dit, une baisse du résultat opérationnel de l’entreprise limite ses possibilités de déduction des intérêts et augmente donc son imposition au titre de l’impôt sur les sociétés, ce qui réduit son résultat après impôt et la fragilise gravement. C’est en quelque sorte un cercle vicieux ! Adopter de tels articles reviendrait donc à fragiliser beaucoup d’entreprises, J’observe d’ailleurs que la plupart des préoccupations exprimées dans ces articles ont déjà été prises en compte puisque cette majorité, vous le savez, mesdames et messieurs les parlementaires, a instauré une contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés de 3 % sur la distribution de dividendes par les grandes entreprises. Nous avons ainsi atteint un équilibre entre l’incitation à réinvestir les profits et le non-découragement de l’actionnariat, qui est indispensable au financement pérenne de nos entreprises.

Et – je l’évoquais à l’instant – la majorité a instauré un dispositif de plafonnement de la déductibilité des intérêts d’emprunt, qui n’autorise à déduire qu’une fraction du montant total de ces intérêts. Renforcé à partir de 2014, ce mécanisme a permis de réduire effectivement l’écart de taux réel d’imposition entre les grandes et les petites entreprises, et de majorer de plus de 3 milliards d’euros les recettes de l’impôt sur les sociétés.

Les deux articles suivants prévoient de faire varier les cotisations patronales par la mise en place d’un dispositif de modulation des cotisations sociales, en fonction, notamment, de la part de leurs dépenses consacrées aux salaires, ainsi que par la création d’une majoration de 10 % des cotisations sociales pour les entreprises de plus de vingt salariés dont le nombre de salariés à temps partiel ou d’intérimaires est au moins égal à 20 % du nombre total de salariés.

Ces articles conduiraient à pénaliser par construction toutes les entreprises qui, du fait de l’importance qu’elles doivent conférer à l’investissement, ne peuvent consacrer aux salaires la même part que d’autres. Le recours à la classification de l’INSEE ne permet en effet pas d’appréhender la très grande diversité des situations. En outre, si l’on raisonne de façon non plus statique mais dynamique, on constate que votre proposition aboutit à augmenter les prélèvements des entreprises au moment où elles entament leur cycle d’investissement. C’est, vous en conviendrez, un curieux moyen d’encourager celui-ci alors même que personne ne doute de votre souhait d’inciter à l’investissement, et c’est d’ailleurs un souhait tout fait partagé. Ensuite, ces articles conduiraient à faire varier la contribution de chaque société en fonction d’éléments qu’elle ne maîtrise pas et qu’elle ne peut en réalité même pas prévoir, comme l’évolution de la part de la masse salariale dans la valeur ajoutée au niveau national. Voilà qui fragiliserait encore la confiance économique. Ils conduiraient, en outre, à pénaliser non seulement le temps partiel subi, mais aussi le temps partiel choisi. Je rappelle que la DARES estime à 70 % la proportion de salariés à temps partiel qui choisissent cette situation. Enfin, ils conduiraient à pénaliser également les cas d’entreprises recourant à l’intérim dans le cadre d’une reprise d’activité ou pour faire face à un besoin temporaire.

L’article 6 de cette proposition de loi prévoit, quant à lui, une augmentation de 20 % à 40 % du taux du forfait social, qui porte principalement sur les dispositifs d’épargne salariale – l’intéressement et la participation. Son taux actuel, de 20 %, est proche du taux de cotisation des risques non contributifs, qui est de 19 % environ, cotisations maladie et famille comprises. Rien ne justifie donc d’augmenter le taux de dispositifs qui ne donnent pas droit à des prestations.

Enfin, les deux derniers articles de cette proposition de loi prévoient, pour l’un, la suppression du dispositif du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, pour l’autre, la suppression du dispositif dit « Fillon » de réduction des cotisations patronales de Sécurité sociale applicable aux salaires inférieurs à 1,6 fois le SMIC. Cela revient à augmenter les prélèvements sur les entreprises de près de 40 milliards d’euros.

Si j’ai ainsi évoqué tous les articles de cette proposition de loi, ce n’est pas pour anticiper leur discussion. Si j’ai énuméré les difficultés posées par chacun de ces articles, c’est pour rendre manifeste ce que M. le rapporteur a déjà eu l’occasion d’indiquer, notamment en commission, à savoir que cette proposition de loi est moins une loi en puissance qu’un support pour le débat – une proposition de loi d’appel, en quelque sorte. Quelle est donc la question posée par le groupe GDR au moyen de cette proposition ? Elle n’a rien de nouveau : c’est celle de l’opportunité de diminuer la fiscalité et les prélèvements sociaux sur les entreprises. Puisque cette question est posée, j’y répondrai bien volontiers.

Ce qui guide la politique économique du Gouvernement, c’est le combat contre le chômage. C’est aussi la conviction que ce combat ne pourra pas être gagné sans restaurer durablement la compétitivité de notre économie, qui a tellement souffert depuis le début des années 2000 – je vous rappelle que notre balance commerciale, qui était à l’équilibre en 2002, était en déficit de 80 milliards d’euros en 2012. C’est enfin la conviction que ce travail de redressement de notre compétitivité ne peut pas s’appuyer exclusivement sur des éléments d’ordre qualitatif – même si cette dimension est, bien évidemment, présente dans l’ensemble des politiques menées par le Gouvernement. Notre politique de compétitivité doit avancer sur ses deux jambes, c’est-à-dire associer la compétitivité-coût à la compétitivité hors-coût.

Cette réflexion nous a conduits à engager la démarche de confiance que constituent le CICE et le pacte de responsabilité. Est-ce à dire, comme on l’entend parfois, que ces mesures sont des cadeaux aux entreprises, voire à leurs patrons ? Évidemment non ! Sur ce sujet comme sur les autres, le Gouvernement est particulièrement attaché au bon usage des deniers publics. Il est donc évident que ces mesures doivent se traduire par des résultats concrets, en particulier en matière d’emploi, conformément à l’accord signé par les partenaires sociaux en mars dernier.

C’est pour moi l’occasion de rappeler une autre des convictions qui guident ce Gouvernement : la confiance dans le dialogue social, c’est-à-dire dans le dialogue entre les salariés et leurs employeurs par l’intermédiaire de leurs représentants. Certes, je peux comprendre que cette conception ne rallie pas tous les suffrages, mais elle n’en est pour autant illégitime ; elle est au contraire approuvée par nos compatriotes.

Cette exigence de résultats a deux corollaires : d’une part, il est nécessaire de procéder à des évaluations ; d’autre part, nous devons être capables de remettre en cause les orientations que nous avons prises quand nous n’obtenons pas les résultats attendus. C’est pourquoi le Gouvernement ne peut que se réjouir de la décision, prise par la Conférence des présidents sur proposition du président de l’Assemblée nationale, de créer une mission d’information sur la mise en oeuvre du CICE.

Cette exigence me conduit également à préciser devant vous certaines modalités de mise en oeuvre du pacte de responsabilité. Le Gouvernement a en effet choisi une montée en puissance progressive du pacte : les allégements prévus n’atteindront pas leur plein effet dès 2015, mais ultérieurement. Afin de pouvoir mesurer à chaque étape la capacité des entreprises à s’intégrer dans cette dynamique, le Gouvernement a décidé que les collectifs – aussi bien le collectif budgétaire que le collectif social – qui seront soumis prochainement à votre Assemblée ne mettront en oeuvre que les dispositions du pacte relatives à l’année 2015. Ce choix a pour but de concilier le besoin de visibilité des entreprises – qui pourront savoir dès l’été sur quelles dispositions compter l’année prochaine – avec la capacité de la puissance publique à doser les mesures qu’elle prend au regard de celles qu’elle a déjà prises.

En procédant ainsi par étapes, nous pourrons mener cette nécessaire évaluation dans de bonnes conditions. À l’évidence, celles-ci ne sont pas encore réunies. Je rappelle que pour nombre d’entreprises, le CICE vient tout juste de devenir une réalité tangible : en effet, ce n’est que depuis le 15 mai que la direction générale des finances publiques est en situation de verser aux PME et aux jeunes entreprises innovantes dont elle a instruit les demandes les restitutions auxquelles elles ont droit.

Mesdames et messieurs les députés, tels sont éléments que je souhaitais porter à votre connaissance. On peut résumer en quelques phrases les raisons pour lesquelles le Gouvernement n’est pas favorable à cette proposition de loi. D’abord, son adoption ne serait pas compatible avec le monopole fiscal des lois de finances, auquel le Gouvernement est très attaché en raison de sa vertu protectrice pour les finances publiques. En l’espèce, je le reconnais volontiers, votre proposition ne vise pas à dégrader les finances publiques ; elle n’en reste pas moins incompatible avec ce principe.

Ensuite, sur certains sujets, le texte proposé par le groupe GDR modifie des équilibres auxquels nous sommes parvenus par un large consensus – je pense par exemple au plafonnement de la déductibilité des charges financières. En outre, il causerait de nombreux effets pervers : j’ai évoqué les problèmes posés par le fait d’imposer différemment un même montant dans deux entreprises aux chiffres d’affaires différents.

Enfin, cette proposition de loi vise à ouvrir le débat sur la politique menée par le Gouvernement en matière économique et financière. J’espère vous avoir rassuré tant sur ses objectifs que sur les modalités de sa mise en oeuvre.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement ne pourra que soutenir les amendements de suppression déposés par le groupe socialiste.

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