Intervention de Jacqueline Fraysse

Séance en hémicycle du 22 mai 2014 à 15h00
Modulation des contributions des entreprises — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacqueline Fraysse :

L’idée d’appliquer des taux différenciés d’impôt sur les sociétés en fonction de la taille des entreprises est également une proposition de bon sens. Nous avons bâti une fiscalité des entreprises illisible et inefficace, organisée autour d’un taux unique assorti d’une myriade d’exceptions, d’exonérations, de minorations et de majorations.

Un rapport publié en 2010 par le Conseil des prélèvements obligatoires soulignait combien ces dispositifs dérogatoires aboutissent à une situation absurde : l’impôt sur les sociétés rapporte chaque 36 milliards d’euros, tandis que les mesures dérogatoires dont il fait l’objet coûtent chaque année plus de 50 milliards d’euros à l’État ! De plus, les grands groupes tirent profit de cet empilement de dispositifs qui leur permet de recourir à des techniques – légales ou frauduleuses – d’optimisation fiscale, afin de réduire le montant de leur imposition, avec les conséquences que l’on sait.

Notre architecture fiscale est profondément déséquilibrée. Non seulement elle est illisible, mais elle tient insuffisamment compte de la situation des entreprises, pénalise les plus petites d’entre elles et favorise les plus grandes. C’est un comble !

Il nous faut engager un vaste mouvement de réforme de notre fiscalité des entreprises pour qu’elle soit mieux adaptée aux différentes situations des entreprises, et pour qu’elle les incite plus à adopter des comportements économiquement et socialement vertueux. De la même manière, il nous faudrait refonder le financement de la protection sociale. Les revenus financiers des entreprises et des banques sont aujourd’hui exemptés de toute contribution sociale : les faire participer au même taux que les cotisations sociales payées par les salariés représente une première piste.

Nous proposons, dans le cadre de cette proposition de loi, une réforme structurelle du financement de la Sécurité sociale. Celle-ci serait toujours financée par des prélèvements assis sur les salaires, mais le dispositif comporterait un ratio rapportant les salaires versés par chaque entreprise à sa valeur ajoutée.

Ce dispositif a des limites, que beaucoup de nos collègues ne manqueront pas de souligner : il rivalise en complexité avec certains passages du code des impôts. L’essentiel, pour nous, est de proposer une autre forme de « donnant-donnant ». Avec notre dispositif, plus une entreprise chercherait à réaliser des profits contre l’emploi, plus elle serait pénalisée par une augmentation du taux de cotisation patronale. Elle serait encouragée à se comporter de manière inverse par une modulation révisable à la baisse du taux de cotisation.

Pour développer et orienter la production dans le sens de l’intérêt général, nous ne saurions nous en tenir aux seuls enjeux de financement. Nous devons garantir une plus grande participation des salariés à la gestion de leur entreprise. Nous devons aussi développer des outils comme la Banque publique d’investissement et mobiliser l’épargne populaire pour soutenir les secteurs industriels stratégiques.

Vous le voyez, beaucoup de voies méritent d’être explorées ensemble.

Nous voulons, avec cette proposition de loi, ouvrir la porte à la recherche de solutions dans lesquelles la gauche, dans la diversité de ses composantes, puisse se reconnaître.

Le tournant libéral opéré récemment par le Gouvernement comporte le risque d’un abandon de ce qui constituait jusqu’ici la colonne vertébrale de la social-démocratie française, à savoir l’idée que l’État a pour mission de corriger les excès du marché et de veiller à ce que se réalise un compromis entre le capital et le travail. Ce compromis a volé en éclat avec la crise financière de 2008 et le nouveau « compromis social » proposé par le chef de l’État n’a plus de compromis que le nom.

Désormais, on tente de nous faire admettre que le rôle de l’État se limite à s’assurer du respect des règles qui gouvernent l’économie de marché, en espérant que les entreprises voudront bien, un jour, relancer l’emploi, la production et l’investissement en France.

Nous récusons cette approche, car nous demeurons convaincus qu’il incombe à l’État d’être le garant et le levier d’un juste partage des richesses et d’un développement économique socialement et écologiquement responsable.

Voilà la démarche qui sous-tend cette proposition de loi, et c’est dans cet esprit que nous vous invitons tous, chers collègues, à l’adopter.

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