Intervention de Jacques Bompard

Séance en hémicycle du 3 juin 2014 à 21h30
Prévention de la récidive et individualisation des peines — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacques Bompard :

Devant l’armature purement idéologique de votre texte, il convient d’analyser avec soin ce projet de loi. On pourrait à son sujet parler d’enquête sur l’anarchie, puisque le désordre s’annonce bien comme le maître mot de l’individualisation des peines et de la prévention de la récidive.

Cette enquête nous conduit immanquablement à l’étude de la théologie socialiste de la justice. Elle a ses prêtres avec le Syndicat de la magistrature, ses chapelles rendant gloire au laxisme, mais aussi ses parias, les victimes, recluses dans un obscur chapitre du texte. Nous sommes devant notre premier indice : ce texte procède bien d’une vision parfaitement déconnectée des enjeux primordiaux de l’économie des peines et des réparations dans le système judiciaire français.

Notre sujet refuse coupablement de prendre en compte la montée de l’insécurité en France. En 2012, officiellement, plus d’un Français de plus de quatorze ans sur cent avait été victime de violences physiques, 5 017 vols à main armée avaient été commis, les vols liés aux résidences des ménages progressaient encore quant à elles de 3,8 %. En 2010, enfin, quatre condamnés sur dix avaient des antécédents judiciaires. C’est donc une société malade de la délinquance et de la liberté de nuire accordée aux récidivistes hors de prison qui fait encore les frais des utopies dépassées de la théocratie permissive.

En matière de laxisme, il faut admettre que vous suivez le cheminement de certains de vos prédécesseurs. En 2007 déjà, le Gouvernement établissait que la prison ne pouvait plus être que l’ultime recours dans le traitement des délinquants. D’autres, militants de la Manif pour tous, ne devaient étrangement pas bénéficier de ces fabuleux élans de clémence permettant à la France de renouer avec un arbitraire que d’aucuns espéraient disparu.

Fin 2012, près de 100 000 peines de prison étaient en attente d’exécution, 20 000 à 30 000 places de prison attendaient d’être construites et 22 % des Français déclaraient se sentir en insécurité.

Cette enquête est complexe : le millefeuille procédural déjà en place n’est hélas qu’aggravé par ce projet de loi. Alors que la presse nous alertait le 15 mai dernier sur l’impossibilité pratique d’appliquer en Île-de-France le dispositif du bracelet électronique en raison du manque d’effectifs, vous cherchez encore quelques préciosités laxistes afin d’éviter l’application normale des sentences. Alors que la loi Dati multipliait déjà les alternatives à la prison, un nouvel épisode législatif vient faire de l’incarcération une option hautement improbable dans le traitement des délits.

Au sujet de ces sentences, il faut dire que j’ai été confronté à des déclarations contradictoires. Quelques éléments m’ont paru troublants : comment la volonté de lutter contre les sorties sèches peut-elle justifier des procédures de libération des condamnés ayant purgé les deux tiers de leur peine ? Pourquoi ne pas plutôt mettre en oeuvre ces procédures après exécution de l’intégralité de celle-ci ? Comment faire de cette réforme un moment de réconciliation des Français avec leur appareil judiciaire quand 75 % des Français la rejettent et que le président de la commission des lois Jean-Jacques Urvoas lui-même regrette que ce texte encombre l’agenda parlementaire ? Comment peut-on légiférer sans croire à un nouvel attentat contre la morale publique quand le rapporteur du texte déclare : « Il y a des infractions sexuelles [sur mineurs] qui ne signalent pas un ancrage dans une délinquance particulière » ?

Les témoignages sont accablants. À la fin de cette enquête, madame la garde des sceaux, j’ai fini par découvrir vos aveux. Vous déclariez ainsi : « la sévérité de la peine ne réduit pas la récidive », cherchant sans doute à faire passer l’inapplication des peines de prison pour un accent rigoriste inconvenant. En revanche, l’iniquité de l’absence de droit d’appel de la victime, le refus incroyable de l’associer au processus de décision, notamment dans l’application des peines, ou encore l’ignorance du sentiment d’abandon si souvent exprimé sont un nouvel aveu de mépris pour le statut de la victime dans la procédure pénale.

Il faut admettre que le dossier est à charge : ce projet de loi est un crime contre la sécurité des citoyens et mérite d’être décrit comme tel. La France risque encore de se faire la complice objective des Mehdi Nemmouche et autres Mohamed Merah, que la prison n’a certainement pas conduits sur la route du terrorisme, mais qui, à force de laxisme, de remises de peine et de sentiment d’impunité, ont développé des personnalités prédatrices et antisociales.

Marcel Aymé a écrit La Tête des autres, une superbe pièce sur les malheurs d’une déconnexion entre les citoyens et le monde judiciaire ; c’est finalement l’histoire d’idéologues bavards peu soucieux des conséquences concrètes de leur traitement de la justice.

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