Intervention de Sébastien Huyghe

Séance en hémicycle du 4 juin 2014 à 15h00
Prévention de la récidive et individualisation des peines — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSébastien Huyghe :

Mais vous omettez de dire que la France est l’un des pays d’Europe qui recourt le moins à l’incarcération ! Et ces chiffres ne sont pas une invention, mais ceux de la statistique pénale du Conseil de l’Europe. La prison ferme représente en France seulement 17 % des condamnations pénales.

La surpopulation carcérale ne tient pas au trop grand nombre d’incarcérations, mais au nombre trop faible de places de prisons. Face à la surpopulation carcérale, la majorité précédente avait pris le parti de faire construire plus de place de prisons : c’était l’objet la loi du 27 mars 2012 de programmation pour l’exécution des peines. Plutôt que de lancer un vaste plan de construction, la gauche, elle, conclut qu’il faut faire sortir les détenus de prisons, et éviter de recourir, par principe, à l’incarcération.

Venons-en à votre deuxième mesure phare : la création d’une peine en milieu ouvert, dite contrainte pénale, qui pourrait s’appliquer pour les délits passibles de cinq ans d’emprisonnement – mais rappelons que la commission a adopté un amendement controversé permettant son application aux délits punis jusqu’à dix ans d’emprisonnement. Or nombre des condamnations de cinq ans ou moins concernent des délits graves comme les violences volontaires, les agressions sexuelles, le harcèlement moral, les homicides involontaires, les vols, l’escroquerie, la fraude ou encore la constitution de groupe armé. Pour ce genre de délits, la contrainte pénale est une réponse insuffisante qui va, une fois de plus, vers un plus grand laxisme de la justice.

À tous les stades, pour le justiciable, c’est la loterie. Cette réforme bâclée n’est qu’une succession d’incertitudes. Qui pourra bénéficier d’une contrainte pénale plutôt que d’un sursis avec mise à l’épreuve ou d’une peine de prison ferme ? Rien ne le dit, vous ne retenez que des critères contextuels, donc subjectifs.

L’incertitude pèse aussi sur la durée de la peine de contrainte pénale, de six mois à cinq ans, puisque cette durée ne dépend pas de la gravité de l’infraction, mais de l’appréciation subjective du tribunal quant à la personnalité de l’auteur de l’infraction. Mais elle pèse aussi sur le contenu de la peine car les obligations et interdictions dépendent entièrement du contexte : personnalité de l’auteur, infraction, victime.

Le contenu de la peine est totalement incertain non seulement avant le prononcé de la peine, mais pire encore, pendant son exécution, puisqu’il appartient au juge d’application des peines de procéder à toute modification qu’il jugerait utile, en contradiction manifeste avec le principe de légalité des délits et des peines.

Parce que vous persistez dans votre aveuglement idéologique et dans votre philosophie déresponsabilisante qui prétend rééduquer les hommes plutôt que de modestement juger les faits, le citoyen sera abandonné à l’arbitraire, conduisant à une rupture manifeste d’égalité devant la loi.

Et comme si cela ne suffisait pas, vous abîmez encore plus la notion de sanction pénale en prévoyant de rendre automatique l’examen d’une libération conditionnelle aux deux tiers de la peine, vous qui partez prétendument en guerre contre les automatismes. Soulignons que les crédits de réductions de peines automatiques n’étant pas supprimés pour autant, votre mécanisme d’examen automatique aura lieu non pas aux deux tiers, mais à la moitié de la peine prononcée.

Pardonnez-nous d’avoir à rappeler la réalité : 40 % des prisonniers qui bénéficient d’une libération conditionnelle et 45 % des personnes condamnées à une peine alternative à la prison récidivent.

Le rapporteur du projet de loi, Dominique Raimbourg, a eu cette formule stupéfiante : « l’objectif n’est pas de vider les prisons, mais cela sera l’une des conséquences ». Voilà toute l’ambiguïté de cette réforme pénale qui entend régler le problème de la surpopulation carcérale en faisant de la prison, non plus la règle, mais l’exception.

La réalité, c’est que les victimes sont les grandes oubliées, et comme le précise l’étude d’impact, environ 20 000 détenus sortiront dans l’année suivant l’entrée en application de la loi. Un détenu sur trois se retrouvera donc en liberté.

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