Intervention de Bernard Bigot

Réunion du 27 mai 2014 à 17h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Bernard Bigot :

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, je suis heureux de l'occasion que vous m'offrez d'apporter à votre débat sur la dissuasion nucléaire, l'éclairage du CEA, acteur clé depuis plus de cinquante ans des programmes nucléaires de défense conduits par notre pays, qu'il s'agisse des têtes nucléaires ou des réacteurs de la propulsion navale, et je vous en remercie.

Je veux tout d'abord saluer, comme l'ont fait tous les intervenants éminents qui m'ont précédé, la pertinence de votre initiative d'entendre l'ensemble des parties prenantes, ce qui, dans le contexte difficile actuel, doit vous permettre de disposer d'avis éclairés sur la réalité et les enjeux de notre dissuasion nucléaire, sous ses différents aspects. C'est avec un profond intérêt et une grande satisfaction que j'ai pris connaissance de la plupart des interventions remarquables de ceux qui m'ont précédé devant vous et des débats qu'elles ont suscités.

Les hauts responsables du ministère de la Défense se sont largement exprimés, avec précision, clarté et profondeur, sur la nécessité pour la France de disposer de manière durable d'une dissuasion nucléaire souveraine, crédible et strictement suffisante. Je partage totalement leurs arguments et leurs convictions. Je considère que la dissuasion nucléaire est l'instrument essentiel pour garantir la défense des intérêts vitaux des citoyens d'un pays qui, à l'occasion des célébrations du 100e anniversaire du début de la première guerre mondiale et du 70e anniversaire du débarquement sur les côtes normandes lors de la seconde guerre mondiale, se souvient qu'il a été envahi trois fois en un siècle et qu'il a dû ensuite payer un prix considérable pour retrouver sa liberté.

Je vais focaliser mon propos sur trois points.

Le premier point concernera le positionnement et le mode d'intervention du CEA au sein de la chaîne des responsabilités qui garantissent la permanence de notre capacité nationale de dissuasion, pour reprendre l'expression très juste du chef d'état-major des armées, le général de Villiers ; ces aspects sont en effet souvent méconnus.

Le second point aura trait à l'effet d'entraînement induit par la dissuasion sur notre économie, du fait de l'excellence technologique portée par les exigences des programmes correspondants, et je vous donnerai quelques exemples éclairants, directement corrélés avec l'action du CEA.

Je terminerai enfin par le programme « simulation » conduit par le CEA depuis le milieu des années 1990, pour garantir la sûreté et les performances de nos têtes nucléaires, sans essai nucléaire nouveau. Le chef d'état-major des armées et le directeur général de l'armement ont tenu des propos remarquablement pertinents à son sujet, à la différence d'autres intervenants, dont les propos m'ont profondément interpellé ainsi que l'ensemble des personnels de la direction des applications militaires du CEA (CEADAM), du fait de leur décalage par rapport à la réalité. Je compléterai votre information pour vous éclairer sur cette réalité.

Premier point, au moment de parler de l'action du CEA en matière de nucléaire de défense, je souhaite vous dire combien j'ai été sensible à ce que le chef d'état-major de l'armée de l'air, le général Mercier, à l'occasion de son audition, ait salué la mémoire de Roger Baleras, qui nous a quittés récemment. Je ferai de même pour rappeler que Roger Baleras, avec ses collaborateurs du CEA, a consacré toute son énergie à oeuvrer pour que la France puisse disposer d'une dissuasion nucléaire performante, crédible et adaptée à son environnement stratégique.

Roger Baleras a rejoint la Direction des applications militaires du CEA en 1958, l'année où celle-ci a été créée et, comme l'a écrit très justement le ministre de la Défense, il a été « en première ligne depuis la réalisation du premier essai nucléaire Gerboise Bleue jusqu'au lancement du programme de simulation ».

C'est lui qui a su communiquer à l'ensemble des salariés du CEADAM son enthousiasme et son engagement indéfectibles au service de son pays, en particulier pour que ceux-ci puissent relever les immenses défis posés par la conception et la réalisation d'une tête nucléaire aux caractéristiques techniques exceptionnelles, répondant aux besoins de dissuasion de la France, je veux parler de la TN 75, garantie sur la base des résultats d'un nombre conséquent d'essais nucléaires.

Les performances de cette tête nucléaire ont pu être acquises en particulier parce que le CEADAM exerce sa responsabilité sur l'ensemble des composants d'une tête nucléaire, qu'il s'agisse de la charge nucléaire elle-même, de l'enveloppe externe ou corps de rentrée pour une tête océanique, ou des équipements annexes indispensables à son fonctionnement, sa fiabilité et sa sûreté. Ce corps de rentrée, c'est ce sous-ensemble qui pour remplir sa fonction, doit satisfaire des exigences extrêmes de comportement assurant par là même sa mission dissuasion.

Cette maîtrise d'oeuvre d'ensemble permet au CEADAM de concevoir et de réaliser des têtes nucléaires particulièrement optimisées. Il se démarque sur ce plan de ses homologues, américain ou britannique, dont le périmètre de responsabilité ne porte pas sur le corps de rentrée, mais seulement sur la charge nucléaire.

La Direction des applications militaires du CEA apporte ainsi depuis bientôt 56 ans le meilleur d'elle-même au programme national de dissuasion nucléaire, cette « oeuvre commune » comme nous l'appelons entre nous, qui réunit au service de la France, les talents et les énergies de tous ceux, personnels militaires, chercheurs, ingénieurs, techniciens, qui lui confèrent cette crédibilité essentielle à sa raison d'être.

Vous le savez, notre outil de dissuasion nucléaire s'est continûment adapté aux évolutions stratégiques internationales et de façon très marquée depuis deux décennies, et les programmes du CEADAM se sont inscrits pleinement dans ce mouvement d'adaptation, au travers d'une optimisation technique et économique permanente.

Le format de notre dissuasion, que l'on considère les porteurs, les vecteurs ou les têtes nucléaires, a été réduit de façon significative depuis vingt ans, en lien direct avec l'évolution du contexte stratégique, conduisant la France à disposer aujourd'hui d'un arsenal de moins de 300 armes nucléaires, en application du principe de stricte suffisance.

Pour ce qui concerne directement le CEA, en dehors des décisions d'arrêt de production des matières fissiles utiles aux armes, et de mise en oeuvre du démantèlement des installations de production correspondantes, la décision, prise au milieu des années 1990, d'arrêter définitivement les essais nucléaires a été structurante sur sa façon d'appréhender la démonstration de garantie de fonctionnement et de sûreté des armes nucléaires.

Dans la mesure où le démantèlement irréversible du Centre d'expérimentation du Pacifique avait été décidé, démantèlement qui était devenu une réalité en 1997, les ingénieurs du CEADAM n'avaient pas d'autre choix que de se remettre totalement en question et de définir, seuls, une nouvelle méthode pour concevoir et fabriquer des armes nucléaires fiables et sûres, dont la garantie ultime ne pourrait plus reposer, comme par le passé, sur des essais nucléaires.

La France d'ailleurs, vous le savez, est le seul État doté à avoir pris unilatéralement cette décision de démantèlement de son centre d'expérimentations, puisque les États-Unis, la Russie et la Chine disposent toujours d'une capacité de réalisation d'essais nucléaires.

Le CEADAM s'est ainsi engagé avec détermination dans le programme de simulation, un programme ambitieux, au sens où nous étions les seuls au monde à adopter une démarche aussi structurée et surtout un programme très innovant où l'échec n'était pas permis, puisque le renouvellement en temps opportun des têtes nucléaires aéroportées et océaniques de notre force de dissuasion en dépendait totalement. La démarche conduite alors par le CEADAM s'est appuyée, d'une part, sur ce que l'on appelle le « concept d'arme robuste », concept original au plan international qui a été validé lors de la dernière campagne d'essais nucléaires de 1995–1996, et, d'autre part, sur les acquis enregistrés progressivement dans le cadre du programme de simulation.

Vingt ans plus tard, la tête nucléaire robuste aéroportée TNA, garantie par la simulation, ce qui est une première mondiale encore inégalée aujourd'hui, est opérationnelle et la tête nucléaire océanique TNO, robuste également, garantie par la simulation, le sera bientôt ; les résultats sont là et je peux affirmer devant vous que ce programme de simulation est une totale réussite, quant aux objectifs que notre pays s'est donné, il y a 18 ans, en 1996. Cette réussite est à mettre à l'actif des physiciens, ingénieurs et techniciens du CEADAM, mais aussi de tous nos partenaires industriels français qui nous ont accompagnés dans cette démarche.

Pour autant, et à l'image de l'outil national de dissuasion, le CEADAM s'est lui aussi profondément transformé depuis 20 ans.

Il a totalement revu son organisation et réduit de façon substantielle son format qui avoisinait 6 700 personnes au début des années quatre-vingt-dix, pour atteindre aujourd'hui moins de 4 500 personnes, en tenant compte de l'intégration au sein du CEADAM, d'une part en 2000 des responsabilités de maîtrise d'ouvrage en matière de propulsion nucléaire, et d'autre part en 2010 du centre DGA de Gramat dans le Lot. Cette réduction d'effectif a été rendue possible par la fermeture de trois sites du CEADAM en région Île-de-France, Vaujours, Limeil et Monthléry, et plus récemment par la fermeture en 2013 du site de Moronvilliers en Champagne-Ardenne. Le redéploiement de 1 500 salariés sur les autres centres du CEADAM a été décidé et cette mobilité s'est accompagnée d'une profonde adaptation de l'organisation de nos activités, liée à l'arrêt des essais, à la mise en place du programme de simulation et à l'optimisation de nos processus de conception et de réalisation des armes nucléaires. Les salariés du CEADAM ont mis en oeuvre avec une parfaite discipline ces évolutions majeures pour chacun d'entre eux au plan professionnel et personnel, tout en s'attachant à respecter scrupuleusement les budgets et les calendriers décidés pour le renouvellement des armes nucléaires que je viens d'évoquer.

Pour situer en relatif cet effectif CEADAM de 4 500 personnes, je dirai qu'il est proche de celui de son homologue britannique, l'Atomic Weapons Establishment, qui opère ses activités sur un site principal, intervient sur une seule composante nucléaire et bénéficie du concours des États-Unis pour, par exemple, accéder, au laser américain, le National Ignition Facility, implanté en Californie et proche en capacités de notre Laser Mégajoule. Dans ces conditions, nous avons atteint un haut niveau d'efficacité globale.

Mais au-delà des organisations et des moyens, la crédibilité de la dissuasion, repose, aussi et d'abord, ne l'oublions pas, sur des hommes et des femmes d'une compétence exceptionnelle et unique, fruit d'une patiente formation et d'une longue expérience partagée.

La capacité de notre pays à préserver les instruments de sa souveraineté et de sa sécurité passe par le maintien de ces compétences et de cette expertise, sur lesquelles il convient que nous soyons collectivement très vigilants, car si nous les perdions, il ne serait pas aisé, voire très difficile de les reconstruire ; cela prendrait à coup sûr plusieurs décennies et demanderait un effort considérable.

Pour revenir au CEADAM, je voudrais ajouter que son périmètre d'action s'exerce certes en majeure partie depuis sa création en 1958, au profit de la dissuasion nucléaire de notre pays, mais également, sur la base des compétences spécifiques acquises à cet effet, au profit des capacités de défense nationale hors dissuasion nucléaire et au profit de notre industrie nationale.

Le CEADAM dans le paysage de défense national, c'est d'abord un mode d'action tout à fait original et très performant de mon point de vue.

Le CEA exerce, depuis son origine dans le domaine des têtes nucléaires et des chaufferies nucléaires, et depuis 1996 dans celui de la simulation, une responsabilité de maître d'ouvrage des programmes qui lui sont confiés et pour ce qui est des armes et de la simulation, de maître d'oeuvre d'ensemble, en privilégiant sur ce dernier point l'irrigation du tissu industriel national.

Ce mode d'intervention du CEADAM s'inscrit parfaitement dans la logique de conduite des activités de l'ensemble du CEA ; celle-ci se traduit par une volonté et une nécessité pour nous de mener des recherches propres sur des technologies génériques à fort potentiel susceptibles de diffuser dans l'ensemble du tissu industriel national, de maîtriser en interne l'ingénierie de grands projets, depuis les phases de définition les plus amont jusqu'à leur réalisation et mise en oeuvre, tout en gardant toujours à l'esprit la nécessité d'y associer dès que possible l'industrie, en particulier lorsque la maîtrise de la définition est acquise. C'est ce mode d'action qui donne toute sa force à la notion de partenariat stratégique qui caractérise les relations entre le CEA et les industriels qui concourent à la réalisation des projets dont il a la responsabilité. Les industriels qui nous accompagnent dans nos programmes, ce sont aussi bien des grands groupes que des ETI, des PME voire des TPE. Les responsables industriels que vous avez déjà auditionnés vous ont parfaitement expliqué ces points.

Si l'on considère, par exemple, un programme de tête nucléaire, le modèle mis en oeuvre par la Direction des applications militaires du CEA se décline de la façon suivante.

Lors des phases initiales de faisabilité et de définition, les travaux qui sont en majorité réalisés au sein du CEADAM, conduisent à mettre au point, en associant les industriels compétents, des technologies très souvent hautement innovantes et aussi à figer les principaux choix de conception et du processus de fabrication correspondant,

Lors des phases suivantes de développement et de fabrication, le CEADAM, tout en conservant la pleine responsabilité du programme, transfère à l'industrie nationale toutes les prestations qui peuvent lui être confiées. Il doit tenir compte des particularités de ce type de produit, dont la maîtrise demande la disponibilité dans la durée de compétences spécifiques, rares et de haut niveau, activées pour un volume de réalisation limité, ainsi que la prise en compte des contraintes nécessaires de protection du secret de défense. De ce fait, le CEADAM ne conserve en propre que la réalisation des pièces nucléaires ou de celles faisant appel à des technologies très spécifiques ou à risque pyrotechnique. Pour toutes les autres pièces, il transfère aux industriels, en phase de développement, les technologies et processus et leur passe commande de la série correspondante.

Ainsi, sur le montant total des ressources qui lui sont allouées, le CEADAM n'en utilise finalement que 20 % pour ses besoins propres de réalisation des programmes, au titre de ses dépenses salariales, 70 % étant transférés à l'industrie nationale, le complément retournant à l'État au titre de la TVA.

Cette approche permet depuis cinquante ans au CEADAM de dimensionner ses effectifs et ses moyens au plus juste besoin et de faire bénéficier l'industrie française de très nombreuses avancées technologiques que certains industriels ont pu valoriser, lorsque cela était possible, hors du domaine de la dissuasion nucléaire.

En termes d'effectif, il en va du CEADAM comme de la dissuasion, notre seule ligne de conduite est de répondre aux besoins, dans un format strictement suffisant.

Ainsi, compte tenu des décisions prises sur les programmes et traduites dans la programmation militaire en cours et de l'action permanente du CEA pour optimiser ses modes de fonctionnement, l'effectif du CEADAM décroîtra de 400 personnes entre 2013 et 2016, soit près de 9 %.

De ce fait, le CEA et plus particulièrement la Direction des applications militaires, par le biais d'une telle réduction de ses effectifs sur une période courte, contribue de manière importante à la maîtrise des budgets de la dissuasion et à la restauration des finances publiques de l'État. Cet effort qui porte à la fois sur des effectifs de soutien et des effectifs « programmes » conduit en toute responsabilité et au plus juste vis-à-vis du maintien de compétences « métiers » difficiles à acquérir et à entretenir, mais indispensables à la dissuasion sur le moyen-long terme ; cet effort contribue par là même indirectement, dans le cadre d'un budget de la Défense particulièrement contraint, au financement d'actions relevant de la défense conventionnelle.

Réduire plus encore les moyens du CEADAM, comme certains ont pu l'évoquer, reviendrait à remettre en cause l'équilibre entre les différentes composantes de notre outil de dissuasion, équilibre qui a été particulièrement difficile à atteindre dans le contexte budgétaire actuel, compte tenu des objectifs assignés à cet outil de la dissuasion. Le chef d'état-major des armées vous a signifié l'effort qui a été demandé à l'agrégat dissuasion nucléaire pour les six années de la LPM actuelle ; le budget que vous avez voté prend en compte, en particulier, une cohérence totale et au plus juste entre les besoins des programmes de têtes nucléaires et le calendrier de mise en oeuvre du programme de simulation, nécessaire à leur garantie.

J'en viens maintenant au second thème que je souhaite développer devant vous, à savoir, l'effet d'entraînement induit sur notre économie par l'activité du CEADAM et par la diffusion des technologies développées par le CEADAM pour les besoins de la dissuasion.

Concernant l'activité même du CEADAM, son impact économique au-delà des 4 500 emplois directs, a été récemment analysé par le ministère de la Défense. Ce dernier a considéré que près de 17 000 emplois industriels sont engendrés par cette activité, sur l'ensemble du territoire français.

Je reviens sur l'une des critiques fréquemment entendues contre la dissuasion nucléaire française, à savoir qu'elle exercerait un effet d'éviction majeur au détriment de capacités militaires conventionnelles plus nécessaires ou d'investissements scientifiques ou technologiques plus porteurs d'avenir.

Je partage totalement, à ce propos, l'analyse qu'a faite devant vous le chef d'état-major des armées, comme les chefs d'état-major de l'armée de l'air et de la marine, sur le renforcement mutuel de la défense conventionnelle et de la dissuasion.

Je pense pour ma part qu'il convient de mettre plus souvent et plus clairement en lumière les bénéfices essentiels que la France retire d'un effort maintenu dans le temps en faveur de la dissuasion. La valorisation des compétences scientifiques et techniques du CEADAM fait partie intégrante de ses missions, partout où cela est possible dans le respect de la protection du secret et conduit à favoriser l'irrigation du tissu de recherche et du tissu industriel français.

Si l'on revient aux origines du programme nucléaire militaire national, à la fin des années 1950, il convient de se rappeler le rôle majeur joué par les réacteurs plutonigènes de Marcoule et les usines d'enrichissement d'uranium par diffusion gazeuse de Pierrelatte dans le développement de la filière électronucléaire nationale, qu'il s'agisse des combustibles, des réacteurs ou du traitement des déchets.

Je vais maintenant développer trois exemples récents qui illustrent très bien cette valorisation.

Le premier se rapporte aux travaux sur le durcissement des composants électroniques aux rayonnements ionisants, réalisés spécifiquement par le CEADAM pour les besoins des armes nucléaires et qui ont donné naissance à une filière technologique de composants, dénommée SOI ou « Silicium sur Isolant » en français, et mise en oeuvre par la société française SOITEC. Cette entreprise, créée en 1992 en tant que spin-off du CEA, compte aujourd'hui plus de 1 200 salariés pour un chiffre d'affaires annuel voisin de 250 millions d'euros, réalisé essentiellement dans le secteur « non-défense ». Cette technologie de rupture SOI est en passe aujourd'hui de devenir la référence mondiale pour la fabrication de circuits intégrés, à très grande vitesse et énergétiquement efficaces, comme le démontre l'accord récent signé entre Samsung et STMicroelectronics qui bénéficie directement à SOITEC. J'espère que vous pourrez très vite constater le bénéfice majeur que notre pays en tirera dans les prochaines décennies.

Mon second exemple concerne la filière française de calcul haute performance conduite par l'industriel Bull pour laquelle la Défense, par le biais du CEADAM, a donné une impulsion décisive plaçant cet industriel en situation favorable sur le marché international des calculateurs « haute performance ». Dix ans après le démarrage de cette activité, Bull réalise un chiffre d'affaires annuel proche de 200 millions d'euros, impliquant 600 emplois directs hautement qualifiés au sein de cette société, dans un domaine absolument stratégique pour la sécurité, la recherche et l'industrie nationales et européennes.

Dans le cadre d'un partenariat fort entre le CEADAM, concepteur et utilisateur des codes de calcul pour la simulation du fonctionnement d'une arme nucléaire et l'industriel Bull, concepteur de supercalculateurs, ce dernier a livré en 2010 au CEADAM une machine TERA 100 de puissance pétaflopique, à l'époque une des plus puissantes au monde, qui nous donne totale satisfaction.

Au-delà de son centre de calcul secret-défense, pour la garantie des armes nucléaires, le CEA a mis en place à Bruyères-le-Châtel tout un écosystème ouvert dédié au calcul intensif, s'appuyant sur une technopole « Ter@atec », et sur deux centres de calcul mettant en oeuvre des supercalculateurs Bull, qu'il exploite, l'un principalement au profit de l'industrie et l'autre au profit de la communauté académique européenne. En leur permettant de disposer de capacités nationales de calcul « haute performance » au meilleur niveau mondial, le CEA, par le biais de son Centre de calcul recherche et technologie, met les industriels concernés en situation de compétitivité renforcée dans le cadre de leurs projets futurs. Ces projets intéressent principalement les domaines de l'aéronautique avec Snecma et Turbomeca, le spatial avec Astrium au sein d'Airbus Defence & Space et Thales Alenia Space, l'énergie avec EDF et Areva, les équipements automobiles avec Valeo et tout dernièrement la cosmétique avec L'Oréal.

Ces industriels sont unanimes pour considérer, que les codes de calcul « haute performance », qui doivent nécessairement être adaptés aux architectures et technologies de calcul intensif disponibles, permettent par simulation la conception d'un produit complexe, avec des délais et des coûts de développement divisés dans un rapport au moins égal à deux par rapport aux pratiques antérieures. La conception d'un produit bon du premier coup, comme le disent les ingénieurs, devient aujourd'hui une réalité accessible.

Je suis convaincu que nous n'en sommes qu'au début et que la simulation numérique est appelée à jouer un rôle encore accru dans les années à venir, aussi bien dans le domaine industriel que de la sécurité ou de la recherche, par exemple, dans le domaine des sciences du climat et de la protection de l'environnement, de la génomique et de la médecine personnalisée, des matériaux, avec une puissance de calcul que l'on entrevoit multipliée par un facteur 1000 d'ici le début de la décennie prochaine.

La Défense, par le biais du CEADAM, a donné une impulsion déterminante permettant à la société Bull d'être performante et reconnue internationalement par la qualité de ses produits dans le domaine du calcul intensif ; l'État a décidé en 2013 d'apporter une contribution importante en matière de R&D en calcul intensif par le biais principalement des investissements d'avenir, mais nous nous devons d'être actifs et convaincants pour obtenir un soutien financier supplémentaire notamment au niveau européen, il en va de la compétitivité de nos industriels qui voient dans le calcul intensif un atout majeur de différentiation.

Mon troisième exemple portera sur les lasers de puissance ou à haute densité d'énergie, où les compétences développées continûment par le CEADAM depuis les années soixante, ont été appliquées à la conception et à la réalisation de cet équipement exceptionnel qu'est le Laser Mégajoule, sur le site du CESTA près de Bordeaux. Sous l'impulsion de l'État, de la région Aquitaine et du CEA, un écosystème s'est progressivement constitué en Aquitaine avec la mise en place du pôle de compétitivité de la Route des lasers, de l'Institut Lasers et Plasma et la création de nombreuses entreprises. Ainsi plus de 50 nouvelles sociétés se sont implantées localement depuis 10 ans, en développant leur action sur des applications civiles porteuses, dans les domaines de l'optique, de la santé, des lasers pour l'industrie. Au total ce sont près de 1 400 emplois directs hautement qualifiés qui ont été créés suite à la décision de réaliser le Laser Megajoule.

Par ailleurs, grâce au financement porté par la région Aquitaine, l'Union Européenne et l'État, d'un laser Petawatt qui sera couplé en 2015 au LMJ, la communauté académique française et européenne disposera d'un outil de recherche exceptionnel de classe mondiale, permettant d'évaluer le comportement de la matière dans des conditions extrêmes de plasma, au profit direct de recherches en astrophysique ou pour évaluer la faisabilité de nouvelles filières de production d'énergie par fusion.

De façon plus générale, les centres du CEADAM, à l'image de l'ensemble du CEA, s'impliquent fortement en régions dans les pôles de compétitivité qui s'y sont constitués, en apportant leur savoir-faire, issu des crédits de la dissuasion nucléaire.

Pour terminer mon propos, je voudrais revenir sur le programme de simulation, qui, après la ratification par la France du Traité d'interdiction complète des essais nucléaires, constitue aujourd'hui l'élément indispensable pour la conception et la garantie de nos armes nucléaires. Je constate qu'il fait régulièrement l'objet de prises de position, y compris devant votre commission, et malheureusement pas toujours par des personnes qui ont pris le soin de s'informer aux meilleures sources.

Depuis l'arrêt des essais nucléaires par la France en 1996, le CEA doit garantir sans aucune équivoque les performances au sens large des armes nucléaires de la dissuasion française. J'utilise à dessein ce terme de garantie qui est indissociable de la notion de crédibilité attachée à notre dissuasion.

Le programme de simulation est désormais l'élément clé pour garantir la fiabilité, la sûreté et les performances des têtes nucléaires sur toute leur durée de vie. Concrètement, il permet de reproduire et donc de garantir par le calcul les différentes phases de fonctionnement d'une arme nucléaire.

Ce programme de simulation comporte trois volets.

Le premier se rapporte à la physique des armes, avec la mise au point, par les scientifiques, des modèles prédictifs permettant d'accéder à une modélisation fine de tous les phénomènes physiques mis en jeu dans le fonctionnement d'une arme ; là aussi, les mots ont tous leur sens et le qualificatif de prédictif est essentiel.

Le second volet a trait à la simulation numérique ; les modèles physiques mettent en oeuvre des équations qui sont transcrites, pour être résolues par les ordinateurs, en codes de calcul qui, à leur tour, pour être développés et utilisés, demandent une capacité de calcul adaptée. Cette capacité, au travers de la machine TERA 100, est, depuis 2010, 20 000 fois supérieure à celle dont le CEADAM disposait en 1995, au moment des essais nucléaires. Ce supercalculateur, qui est capable de réaliser plus d'un million de milliards d'opérations par seconde, a été nécessaire pour garantir la nouvelle tête nucléaire TNO.

Le troisième volet concerne la validation expérimentale ; celle-ci est indispensable pour mesurer le caractère prédictif des codes numériques par rapport à la réalité physique et implique la réalisation d'un grand nombre d'expériences de laboratoire pour valider les logiciels. Deux équipements expérimentaux jouent à ce titre un rôle majeur : l'installation Epure, construite à Valduc en Bourgogne, conjointement avec les Britanniques, qui remplace l'installation Airix, précédemment située en Champagne-Ardenne, et qui permettra de valider en laboratoire les équations numériques relatives au début de fonctionnement non nucléaire de l'arme ; le Laser Mégajoule implanté sur le centre CEA du CESTA, près de Bordeaux, qui est indispensable pour valider les modèles numériques relatifs au fonctionnement nucléaire de l'arme elle-même.

Je vous confirme que tout laisse à penser, conformément aux propos tenus antérieurement devant cette même commission, que les premières expériences sur les installations Epure et LMJ seront réalisées avant la fin de l'année 2014. Elles seront dédiées à la physique des armes.

Vous l'avez compris, la notion de garantie s'applique aux codes de calculs qui doivent représenter au mieux la réalité physique très complexe du fonctionnement d'une arme nucléaire. Mais ces codes, aussi performants soient-ils, ne prennent toute leur valeur que s'ils sont utilisés par des physiciens et des ingénieurs qui appréhendent à tout moment et en toute situation leur domaine de validité. Ainsi la préparation et l'exploitation d'expériences sur les installations Epure et Laser Mégajoule, contribueront à cette garantie qui in fine sera apportée par les scientifiques qui mettent en oeuvre ces codes de calcul.

Ce programme de simulation a été conçu et défini de manière détaillée par le CEADAM il y aura bientôt vingt ans et il a été parfaitement réalisé grâce à la remarquable continuité d'une volonté politique sans faille, conjuguée à l'excellence de nos scientifiques, ingénieurs, militaires et industriels. Outre l'aspect technique de sa réalisation, ce succès se manifeste par le fait qu'en vingt ans, le CEADAM aura renouvelé les armes nucléaires de la dissuasion française sur la base d'une méthodologie totalement nouvelle, apportant une parfaite garantie de leurs performances, de leur sûreté et de leur fiabilité, sans essais nucléaires nouveaux.

Cela vous démontre que pour les ingénieurs du CEADAM, les programmes de têtes nucléaires constituent leur priorité, la simulation n'étant que le moyen, certes indispensable, pour la satisfaire.

Il convient de souligner que les têtes nucléaires TNA et TNO s'appuient sur le concept de charge nucléaire robuste, concept original développé par le CEADAM et expérimenté avec succès lors de la dernière campagne d'essais nucléaires. La définition des têtes nucléaires TNA et TNO repose sur ce concept et sur la mise en oeuvre du programme de simulation, en tirant tout le parti possible des résultats expérimentaux disponibles.

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