Intervention de Raphaël Claustre

Séance en hémicycle du 11 juin 2014 à 15h00
Débat sur les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique — Table ronde

Raphaël Claustre, directeur du cler, réseau pour la transition énergétique :

Je vous remercie de me donner la chance d’être entendu. Je suis le directeur du comité de liaison énergies renouvelables (CLER), Réseau pour la transition énergétique, qui est une association de protection de l’environnement rassemblant un peu plus de deux cents acteurs territoriaux en contact avec les citoyens, les entreprises et les collectivités qui travaillent à la transition énergétique, par des entrées sociales, environnementales ou économiques. Avant de vous dire ce qui nous semble nécessaire à la réussite de cette transition énergétique et combien elle est essentielle, je voudrais vous donner quelques chiffres prouvant que nous avons déjà obtenu des résultats. Il ne s’agit pas de vous promettre des merveilles et 680 000 emplois supplémentaires en 2030, car vous connaissez déjà ce discours. Au contraire, je veux insister sur ce qui a été déjà fait et non pas vous vendre du rêve.

Une vraie attente citoyenne existe autour de ce sujet. Il y a eu un débat sur la transition énergétique que certains parmi vous ont suivi de près, d’autres d’un peu plus loin. Celui-ci a produit des résultats très intéressants, notamment une impressionnante pile de littérature que vous n’allez pas compulser maintenant. S’il ne faut lire qu’un document, ce serait la synthèse de la journée citoyenne, laquelle a eu pour objet de faire s’exprimer les citoyens, hors militants – militants professionnels ou « émotionnels ». Il s’agissait de citoyens non concernés. À la question « Pour vous qu’est-ce que la transition énergétique ? », les deux tiers ont répondu : « une chance de s’engager dans un modèle de société plus sobre, avec une meilleure qualité de vie plus respectueuse de l’environnement ». L’engagement citoyen est beaucoup plus fort et beaucoup moins frileux que ce que l’on pourrait a priori penser.

S’agissant des emplois offerts par la transition énergétique, si l’on parle des emplois à venir, je rappelle qu’entre 2006 et 2012, ce sont 95 000 emplois qui ont été créés. Certes, on a rencontré des difficultés ces dernières années et on a pu observer une légère baisse des recrutements en 2012. Pour un tiers, il s’agit d’emplois dans les énergies renouvelables et pour deux tiers, dans l’efficacité énergétique. Ces emplois ne sont donc pas des fantasmes. De plus, dans le rapport sur la sécurité de son approvisionnement énergétique que vient de produire la Commission européenne, on peut lire que la principale source de sécurité de l’approvisionnement en Europe, c’est l’efficacité énergétique. Un chiffre est avancé : en 2012, les énergies renouvelables ont fait baisser de 30 milliards d’euros la facture énergétique de l’Union européenne. Ce chiffre impressionnant n’est pas celui des lobbies ou des militants, mais un constat fait par la Commission européenne.

Concernant les questions territoriales, il faut savoir que notre vision, au CLER, se fonde principalement sur les territoires puisque, par nature, les énergies renouvelables sont un gisement diffus, ce qui représente une force, étant donné qu’elles sont disponibles pour tous de manière relativement équitable. Avec les collectivités locales les plus actives, essentiellement des collectivités rurales, nous avons mis en place un réseau « Territoires à énergie positive ». Ce sont des collectivités qui se donnent un objectif, reposant autant sur l’efficacité énergétique que sur les énergies 100 % renouvelables, à une échelle qu’elles déterminent. Il faut qu’elles aient autant de plans d’action que d’objectifs. Nous avons commencé il y a trois ans avec sept collectivités ; désormais elles sont une vingtaine, ce qui correspond à environ 500 élus. La fédération des parcs naturels régionaux, qui représentent 15 % de la surface de notre pays, vient de s’engager à atteindre l’autonomie énergétique d’ici à 2030. Il existe un mouvement de fond qui est très fort du côté des territoires.

Après toutes ces remarques positives, j’en viens à un point négatif concernant la précarité énergétique. C’est un phénomène de société dont la gravité est reconnue. Il y a besoin de traiter de vraies urgences, en aidant une partie de la population à avoir accès à l’énergie. Mais, si l’on considère la définition d’une passoire énergétique – un logement consommant 300 kWh par mètre carré par an ou la moyenne des logements construits avant 1975 –, 50 % de la population sont en précarité énergétique, en consacrant plus de 10 % de leurs revenus à l’énergie. Seulement 5 % de la population vivent dans un logement bien rénové, c’est-à-dire consommant moins de 100 kWh par mètre carré par an. L’efficacité énergétique n’est sans doute pas une solution unique, mais c’est une solution extrêmement importante dans la lutte contre la précarité énergétique.

Après ces constats, quels sont les objectifs ? Il faut fixer beaucoup d’objectifs, mais mieux encore les atteindre, en se donnant les moyens de réussir. Un objectif nous semble manquer dans ce qui circule du projet de loi : celui sur l’efficacité énergétique. Elle est le parent pauvre dans la trajectoire qui se dessine, alors qu’elle est beaucoup mise en avant. Il y aura besoin de financements efficaces, adaptés et stables pour donner confiance. Les tarifs d’achat de l’électricité renouvelable sont en permanence attaqués et mis en danger : il faut les renforcer. De même, s’ils doivent coexister avec un autre dispositif, il faut mettre celui-ci rapidement en oeuvre, afin que les deux dispositifs puissent cohabiter le plus longtemps possible et qu’il n’y ait pas de mauvaise surprise. S’agissant de la chaleur renouvelable, il faut renforcer le fonds chaleur, dont on a constaté, notamment grâce à la récente étude de l’ADEME, la très grande efficacité économique. Il faut également engager une simplification administrative.

Beaucoup de choses se passent dans les territoires et il faut leur faire confiance pour que cela se passe bien. Au lieu de leur dire comment trouver des gisements d’économies, il faut leur donner des compétences pour le faire. C’est essentiellement au niveau des régions et des intercommunalités que cela se passe. La maille de la commune est bien souvent trop petite. Les régions – et pourquoi pas les régions renforcées ? – seront parfaitement adaptées pour cette mission. Il faut également avoir du courage, donc assumer que faire un choix, c’est en abandonner d’autres. C’est l’un des reproches que l’on peut faire au Grenelle de l’environnement. Il a certes donné une dynamique et apporté beaucoup d’améliorations, mais il a aussi eu le défaut de ne pas trancher. Si l’on suit les objectifs fixés pour l’électricité renouvelable – autant de fossile, plus de renouvelable, plus de nucléaire et plus d’efficacité énergétique –, on atteint 140 %. Si l’on veut vraiment se donner les moyens d’atteindre nos objectifs, il faut dire comment l’on va faire et si l’on veut aller chercher des emplois supplémentaires, il faut accepter de renoncer à certaines filières.

J’ai vu récemment certains industriels se désespérer que certaines centrales fossiles soient à la peine ; malheureusement, c’est l’un de nos objectifs. Si l’on soutient l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables, c’est pour se passer des énergies qui nous coûtent le plus en termes environnementaux, sociaux et économiques. Il faut donc se réjouir des difficultés de certaines centrales. Par contre, on peut se désespérer que ce soient les centrales gaz qui souffrent avant les centrales charbon. Il faudra des ajustements. On ne peut toutefois pas reprocher aux énergies renouvelables de réussir à diminuer les besoins en énergie fossile. Dans les îles, la situation est parfois complètement ubuesque. L’opérateur unique, qui a le monopole sur l’électricité, a tout intérêt au 100 % fossile. C’est d’ailleurs ce qui est en train de se passer dans certaines îles. Il faut parvenir à changer cette situation. Il est beaucoup question du coût du renouvelable, mais il faut se rendre compte que la péréquation tarifaire dans les îles coûtera, en 2014, 1,8 milliard d’euros à la CSPE, et que cette tendance est chaque année à la hausse. Il est important de prendre cela en compte. Une simplification et une réglementation adaptée pourront faire changer beaucoup de choses.

Il faudra également se rendre compte que vendre de l’efficacité énergétique et vendre de l’énergie peuvent recouper des intérêts contradictoires : les pouvoirs publics, au niveau national et souvent territorial, doivent trancher et être en position de force. Enfin, s’agissant de l’efficacité énergétique, nous avons besoin et de l’actif et du passif. Pour exploiter au maximum tous ces gisements, il sera nécessaire de bien informer le grand public – notamment grâce au dispositif Énergie-info qui fonctionne bien – ; de proposer des aides efficaces, rationalisées et simplifiées ; d’améliorer l’offre, car les particuliers doivent savoir vers qui se tourner pour bénéficier de rénovations énergétiques de qualité ; enfin, d’obliger peut-être, parce qu’il est irresponsable de ne pas dire au ménage qui rénove aujourd’hui un logement sans intégrer les questions énergétiques qu’il rate quelque chose d’essentiel.

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