Intervention de Roger-Gérard Schwartzenberg

Séance en hémicycle du 11 juin 2014 à 21h30
Procédures de révision et de réexamen d'une condamnation pénale définitive — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRoger-Gérard Schwartzenberg :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, combien y a-t-il dans nos prisons d’innocents condamnés à tort pour des crimes qu’ils n’ont pas commis ? Il est impossible de le dire, car la révision effective des condamnations pénales est d’une extrême rareté, d’où l’excellente proposition de loi déposée par Alain Tourret au nom du groupe RRDP.

Depuis 1989, seules neuf condamnations criminelles ont été révisées. Neuf révisions en un quart de siècle, comme s’il n’y avait eu que neuf erreurs judiciaires commises par les cours d’assises en vingt-cinq ans ! Cela paraît peu vraisemblable.

Trois éléments font obstacle à la révision des condamnations pénales définitives dans le droit actuel. Le premier, c’est une conception assez abusive de l’autorité de la chose jugée, pour éviter la remise en cause des décisions de justice en prétendant que cela provoquerait incertitude, insécurité et instabilité des situations juridiques. Vous connaissez l’adage du droit romain, Res judicata pro veritate habetur. C’est un postulat. On postule que la décision définitive est vraie. Elle est tenue pour conforme à la réalité, mais cela peut être une fiction.

Le second point concerne la conception du doute qui a prévalu jusqu’à présent, doute sérieux ou doute raisonnable, retenue par la Cour de cassation malgré la loi de 1989. Il est très important, comme l’ont fait Mme la garde des sceaux et Alain Tourret, de répéter que la conception qui domine nos travaux est que le moindre doute doit suffire à justifier une procédure de révision, même si ce qualificatif ne figure pas dans la loi du fait des modifications apportées par le Sénat.

Le troisième élément négatif, c’est l’insuffisante motivation des arrêts de cours d’assises, d’une concision souvent extrême et qui ne permet pas toujours aux autorités de révision d’avoir une connaissance suffisante des éléments ayant provoqué cette décision.

Enfin, le système qui produit les erreurs judiciaires, c’est, le plus souvent, le système de l’intime conviction, c’est-à-dire la liberté d’appréciation des preuves, le fait qu’il n’existe pas de pondération particulière de certaines, et qu’au fond l’on tende à inciter les jurés et les juges à s’en remettre à leurs impressions, leurs intuitions, leur subjectivité plutôt qu’à des faits dûment établis et prouvés. C’est une chose très négative, me semble-t-il, dans notre système judiciaire.

Je termine en rappelant que la révision a été la dernière arme du capitaine Dreyfus. On appelait d’ailleurs ses partisans les « révisionnistes ». Il a fallu un peu plus de onze ans, entre la première condamnation par le conseil de guerre et la décision du 12 juillet 1906, pour que Dreyfus soit enfin réhabilité. Il l’a été car il y avait avec lui des défenseurs ardents de la vérité, comme le lieutenant-colonel Picard, le sénateur Scheurer-Kestner, Clemenceau bien sûr, Zola bien sûr, ainsi que Francis de Pressensé, qui disait ici même, à cette tribune, le 13 juillet 1906 : « Quand on fait confiance à la raison et à la conscience de la France, on n’est jamais vaincu. »

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