Intervention de Kader Arif

Séance en hémicycle du 12 juin 2014 à 9h30
Maintien d'une administration et de politiques publiques dédiées aux français rapatriés d'outre-mer — Discussion d'une proposition de résolution

Kader Arif, secrétaire d’état chargé des anciens combattants et de la mémoire :

Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, M. Aboud a eu raison de rendre hommage au rapprochement franco-algérien qui s’opère depuis quelques années. Je tiens moi-même à saluer les efforts de notre pays en faveur du renforcement de la relation bilatérale qui s’inscrit dans le cadre d’une ouverture euro-méditerranéenne que nous appelons de nos voeux. Cette relation s’est consolidée ces derniers mois autour de quelques moments forts de la coopération franco-algérienne. J’ai essayé de la consolider aussi autour de la question mémorielle. C’est pourquoi j’ai tenu à ce que les cycles commémoratifs du centenaire de la Grande guerre et du soixante-dixième anniversaire de l’année 1944 soient pour la France une occasion de dire toute sa reconnaissance à l’égard des soldats de ce que l’on appelait alors l’Armée d’Afrique. Parmi eux, il y avait des pieds-noirs : 110 000 Européens composaient cette armée entre 1914 et 1918, sur un total de 300 000 hommes ; ce sont plus de 175 000 Européens d’Afrique du Nord qui furent intégrés en 1942 dans l’Armée d’Afrique réarmée : 12 000 pieds-noirs ont payé de leur vie les combats de la campagne de Tunisie, de la campagne d’Italie et de la libération de la France. Et 2014 nous offre cette belle opportunité de rappeler que l’histoire commune franco-algérienne ne s’est pas écrite qu’entre 1954 et 1962, lors du drame de la guerre d’Algérie.

Au-delà des seuls aspects mémoriels, la coopération franco-algérienne a connu un nouvel élan à l’occasion du déplacement du Président de la République en décembre 2012, soit cinquante ans après l’indépendance de l’Algérie. François Hollande a alors inauguré une relation renouvelée et plus forte entre les deux pays. Il a prononcé un discours appelant à l’apaisement des mémoires, comme vous-même, monsieur Aboud, l’avez fait à cette tribune. Un discours dans lequel il n’oubliait pas les rapatriés, dont il a rappelé les souffrances mais dont il a souligné aussi la richesse humaine qu’ils représentent pour les deux pays. Je le cite : « Il y a aussi tous ces Français nés en Algérie et qui sont partis dans les conditions que chacun connaît et avec le déchirement dont ils ne se sont pas remis mais qui portent toujours, je vous l’assure, l’Algérie dans leur coeur. Je ne vais pas faire de comptabilité mais il y a des millions de mes concitoyens en France qui ont vis-à-vis de l’Algérie un fonds commun de références, de passion, d’émotions et qui loin d’affaiblir la France, renforce encore cette passion d’être ce qu’elle est aujourd’hui ».

À l’occasion de cette visite d’État, plusieurs accords ont été signés, ainsi qu’un document cadre de partenariat pour la période 2013-2017. Une feuille de route bilatérale est désormais partagée pour progresser dans l’ensemble des domaines d’intérêts communs. Cette feuille de route commune prévoit notamment que soient facilités la recherche et l’échange d’informations pouvant permettre la localisation des sépultures de disparus algériens et français, question qui vous préoccupe, je le sais, et qui est inscrite dans la proposition de résolution qui nous réunit aujourd’hui.

Le document cadre prévoit de manière générale que la France et l’Algérie engagent des efforts communs dans plusieurs secteurs, de l’éducation et la formation des jeunes à la santé en passant par les questions économiques, énergétiques et sécuritaires. Il établit, en outre, des axes de concertation privilégiés que le ministre des affaires étrangères a rappelés à l’occasion de son déplacement les 8 et 9 juin derniers.

Au sein de la coopération franco-algérienne, la question des rapatriés n’est pas oubliée. Le rapprochement qui s’opère entre les deux pays offre aussi l’opportunité de progresser sur cette question. Avant toute chose, permettez-moi de vous rappeler l’action de l’État en leur faveur. Elle s’inscrit dans l’histoire des politiques publiques. Depuis 1961, plus de 38 milliards d’euros ont été dépensés, dont 17,53 milliards pour l’accueil et la réinstallation des rapatriés. Cette action s’inscrit aussi dans la reconnaissance de l’histoire des rapatriés.

Je ne reviendrai pas en détail sur les différentes déclarations qui ont été faites ces dernières années mais je tiens à rappeler les initiatives prises depuis plus de deux ans pour que vive et survive cette mémoire : d’abord, la mise en place d’un comité scientifique pour engager, avec le soutien du Gouvernement, un véritable travail de recherche sur l’histoire des harkis et rapatriés ; ensuite, la création, pour que les harkis soient indépendants dans leur réflexion, d’un groupe de douze associations, à l’image du G12 qui existe dans le monde combattant, avec lequel je travaille très régulièrement ; le recueil de témoignages en partenariat avec le service historique de la défense ; la mise en ligne d’un site internet, « Chemins de mémoires », dédié aux harkis et rapatriés ; enfin, même si cela peut paraître symbolique – mais le symbole a sa force dans cette histoire-là –, l’exposition de l’ONAC-VG inaugurée le 25 septembre 2013 aux Invalides, qui, au-delà des parcours singuliers qu’elle mettait à l’honneur, a montré aux rapatriés qu’ils n’étaient pas oubliés.

Non seulement les aides et réformes en cours sont maintenues mais les rapatriés pourront désormais bénéficier de l’expérience de l’Office national en matière administrative et dans le domaine de la politique mémorielle. Ce transfert des missions d’aides aux rapatriés de la MIR et de l’ANIFOM à l’ONAC-VG est la première des préoccupations que vous avez formulées, monsieur Aboud, dans la proposition de résolution que l’Assemblée nationale est invitée aujourd’hui à examiner. J’avais rappelé dès 2012 la nécessité de renforcer le dialogue entre les associations de harkis et rapatriés et l’ONAC-VG. C’est un engagement que j’ai honoré. La gestion de l’ensemble des dispositifs relatifs aux harkis et rapatriés est aujourd’hui recentrée sur cet Office.

Je dois rappeler aussi que l’ONAC-VG est la maison du monde combattant et que l’intégration des rapatriés au conseil d’administration que vous proposez tendrait à brouiller le message que l’Office national envoie à ses ressortissants mais aussi à lui faire perdre sa vocation première, même si les anciens combattants d’Afrique du Nord sont, à travers leurs associations, membres de son conseil d’administration. De plus, la dénomination de « ressortissants » de l’ONAC-VG n’est pas une condition sine qua non à une reconnaissance des souffrances endurées. Comme je l’ai rappelé tout à l’heure, l’État a reconnu les préjudices subis par les rapatriés et a agi en leur faveur dès 1961.

Toutefois, au regard des nouvelles attributions de l’Office national, qui devient un guichet unique pour les rapatriés, je souhaite que leurs représentants y soient associés et puissent nouer des contacts réguliers avec l’ONAC-VG. Nous sommes en train d’étudier le format que cela pourrait prendre avec sa directrice générale. Nous sommes en voie de trouver une issue favorable.

Le projet de résolution exprime aussi le souhait que soit poursuivie l’action de l’Office national en faveur des harkis et que des actions similaires soient mises en place pour les rapatriés. Les aides spécifiques apportées aux harkis leur sont versées principalement par l’ONAC-VG en leur qualité d’anciens combattants mais aussi en raison de certaines spécificités. Ils ne bénéficièrent que de très peu des mesures prises après 1961 et beaucoup connurent l’hébergement dans des camps fermés jusqu’en 1975. Je tiens aussi à rappeler que certains rapatriés, au titre de leur participation aux combats dans lesquels la France s’est engagée, sont ressortissants de l’ONAC-VG. De plus, les aides attribuées aux rapatriés, qui s’élèvent à 540 000 euros dans le budget pour 2014, seront intégralement maintenues.

À côté de la reconnaissance engagée depuis plusieurs mois à travers des actions mémorielles rappelées tout à l’heure, je tiens aussi à ce que l’État exprime sa solidarité avec la communauté harkie à travers la mise en place de dispositifs sociaux et professionnels.

Depuis juillet 2009, 656 enfants de harkis – trop peu à mes yeux – ont été recrutés dans la fonction publique, en grande majorité dans la fonction publique d’État. Dès 2012, je me suis engagé à répondre aux attentes des enfants de harkis en matière d’insertion professionnelle. Les actions menées n’ont pas été seulement maintenues, elles ont été amplifiées. En septembre 2013, un décret a été publié remettant en oeuvre les mesures de soutien à la formation professionnelle des enfants de harkis. Un article inséré dans la loi de programmation militaire permet au Gouvernement de prolonger de trois à cinq ans la durée d’inscription des enfants de harkis sur les listes d’emplois réservés.

Je vais également mener une action de sensibilisation spécifique envers la fonction publique territoriale afin de favoriser dans tous les départements le recrutement d’enfants de harkis inscrits sur les listes d’aptitude.

Les bourses scolaires, universitaires et aides à la formation instaurées par les lois de 1994 et 2005 ont engrangé 113 000 aides pour un coût total de 31 millions d’euros. Le décret du 17 septembre 2013 est venu amplifier les aides en faveur des enfants de harkis pour l’accès à l’emploi : il prévoit une prise en charge spécifique par l’État des formations pouvant aller jusqu’à 90 % du coût du stage. Ce décret prévoit aussi sous forme de subventions un soutien financier aux associations représentatives proposant des projets d’insertion ou des formations qualifiantes en faveur des enfants d’anciens combattants harkis.

La question spécifique de la facilitation des recherches des personnes européennes disparues en Algérie après 1962 a fait l’objet d’un accord signé en décembre 2012. Le comité intergouvernemental de haut niveau du 16 décembre 2013, coprésidé par les premiers ministres français et algérien, est venu confirmer la coopération en la matière entre le ministère des moudjahidines et le ministère français de la défense.

Le service historique de la défense suit cette question de très près. C’est un engagement auquel je tiens. J’ai d’ailleurs reçu récemment les familles des disparus des Abdellys. Je sais que tout est mis en oeuvre entre la France et l’Algérie pour faire la lumière sur cet épisode douloureux.

S’agissant des indemnisations en faveur des rapatriés, je rappelle que, depuis 1961, l’État a versé 17,8 milliards d’euros à ce titre. Quant au gouvernement algérien, il a toujours précisé qu’il s’agissait de mesures dont ne pouvaient bénéficier que les Européens restés en Algérie après les accords d’Évian. Depuis le rapprochement initié par François Hollande en décembre 2012, un groupe de travail consulaire a été mis en place sur ce sujet.

Voilà, mesdames et messieurs les députés, ce que je tenais à rappeler devant la représentation nationale. La complexité de la question des rapatriés ne trouve sa résolution que dans un approfondissement de nos relations avec l’Algérie, auquel il faut donner du temps. Des pas ont été faits des deux côtés. Des dossiers enfouis depuis des années ont refait surface ; ils sont aujourd’hui sur la table, prêts à être discutés. La France et l’Algérie, au nom d’une histoire qu’elles ont en partage, s’engagent aujourd’hui, de manière encore plus forte que par le passé, dans la voie du dialogue.

Croyez-moi, mesdames, messieurs les députés, pour des raisons personnelles, je mesure parfaitement les difficultés rencontrées. Je connais l’histoire qui est celle des harkis et des rapatriés. Nous sommes très peu nombreux, d’ailleurs, à la connaître réellement, à avoir été touchés nous-mêmes dans nos histoires familiales ou dans nos enfances, ce qui a été mon cas. Je connais les souffrances et les souvenirs douloureux que cette histoire renferme. Il peut m’arriver d’être débordé par l’approche émotionnelle que l’on peut avoir sur cette question mais j’essaie de la dépasser, au-delà de la responsabilité qui est la mienne aujourd’hui, parce que la dépasser, c’est permettre que ces souffrances, sans jamais être oubliées, débouchent sur la construction d’un avenir différent, un avenir de paix et de tolérance.

Votre propos était apaisé, monsieur Aboud, et je vous remercie d’avoir initié ce dialogue. Mais je ne peux qu’émettre un avis défavorable au vote de votre proposition de résolution.

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