Intervention de Jean-Claude Fruteau

Réunion du 17 juin 2014 à 17h00
Délégation aux outre-mer

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Claude Fruteau, président :

Mes chers collègues, notre ordre du jour appelle aujourd'hui l'examen du rapport sur la déclinaison outre-mer du pacte de responsabilité. Les deux rapporteurs désignés étaient M. Daniel Gibbes et moi-même. Je vous propose de présenter les deux premières parties du rapport qui forment un tout ; M. Gibbes présentera la troisième partie, c'est-à-dire l'ensemble de nos propositions, sauf celle qui concerne le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) – proposition dont j'aurai parlé au sein de mon exposé.

La première partie du rapport analyse les différentes aides aux entreprises contenues dans la loi du 27 mai 2009 pour le développement économique des Outre-mer (LODEOM) et en particulier les exonérations de charges sociales.

Les exonérations de charges sociales peuvent se combiner, ou non, avec le CICE.

Ainsi, actuellement, outre-mer, en dehors du système lié au crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, il existe trois dispositifs d'exonération de cotisations sociales :

– Le dispositif qui concerne les entreprises de moins de 11 salariés (exonération totale des charges sociales jusqu'à 1,4 SMIC ; entre 1,4 et 2,2 SMIC, le montant de l'exonération est calculé sur la base de 1,4 SMIC ; au-delà de 2,2 SMIC, l'exonération est dégressive et elle s'annule à 3,8 SMIC).

– Le dispositif qui concerne les entreprises de plus de 11 salariés (exonération totale jusqu'à 1,4 SMIC ; au-delà, l'exonération est dégressive et elle s'annule à 3,8 SMIC).

– Le dispositif renforcé pour certains secteurs comme l'hôtellerie, le tourisme ou l'agroalimentaire (exonération totale jusqu'à 1,6 SMIC ; entre 1,6 et 2,5 SMIC, l'exonération est limitée à 1,6 SMIC ; au-delà de 2,5 SMIC, l'exonération est dégressive et elle s'annule à 4,5 SMIC).

Par ailleurs, indépendamment de ce système, il est possible de cumuler le CICE et les exonérations fiscales prévues par la LODEOM. En ce cas, les exonérations sont calculées – à nouveau – sur la base d'un triple dispositif :

– Le dispositif qui concerne les entreprises de moins de 11 salariés (exonération totale des charges sociales jusqu'à 1,4 SMIC ; entre1,4 SMIC et 1,8 SMIC, le montant des exonération est calculé sur la base de 1,4 SMIC ; ensuite, le montant des exonérations décroît de manière linéaire et il devient nul lorsque la rémunération est égale à 2,8 SMIC).

– Le dispositif qui concerne plus de 11 salariés (exonération totale jusqu'à 1,4 SMIC ; le taux d'exonération décroit ensuite de manière linéaire jusqu'à 2,6 SMIC).

– Le dispositif renforcé (exonération totale jusqu'à 1,6 SMIC ; de 1,6 SMIC à 2 SMIC, le montant des exonérations est calculé sur la base de 1,6 SMIC ; à partir de 2 SMIC, le montant des exonérations décroît de manière linéaire et devient nul lorsque la rémunération est égale à 3 SMIC).

Pour apprécier cet ensemble de mesures, nous avons buté sur la question des statistiques. Il n'existe pas actuellement de statistiques précises et exhaustives sur les exonérations de charges liées à la LODEOM.

Il est possible, cependant, de donner les éléments d'information suivants :

– Actuellement, on peut penser, en accord avec la FEDOM, que les exonérations (cumulées ou non avec le CICE) concernent 180 000 salariés, c'est-à-dire 75 % des emplois du secteur industriel et agricole des quatre DOM que sont la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane et La Réunion.

– Les entreprises les plus petites (moins de 3 salariés) ne doivent pas demander à bénéficier de ces exonérations faute d'une bonne information ; en revanche, les entreprises plus importantes appliquent systématiquement cette réglementation.

– L'essentiel des bénéficiaires (plus de 80% des entreprises) sont des entreprises de moins de 11 salariés (très vraisemblablement des entreprises qui disposent d'un effectif compris entre 3 et 11 salariés).

– Enfin, le secteur renforcé, par exemple le secteur de l'hôtellerie ou, plus généralement, celui du tourisme, sollicite très peu le bénéfice de ces exonérations.

Au sein du budget du ministère des Outre-mer, il figure une dotation destinée à faire face au remboursement des exonérations de charges en faveur des organismes de sécurité sociale. Cette dotation a été abondée, pour l'année 2014, à hauteur d'un peu plus d'un milliard d'euros. Il s'agit là d'un crédit évaluatif, c'est-à-dire susceptible d'être ajusté, en plus ou en moins, à la dépense effectivement constatée.

Les exonérations ont joué leur rôle pour atténuer les effets de la crise économique qui a frappé les Outre-mer, précisément à partir de l'année 2009.

Néanmoins, en dépit de ce rôle de « stabilisateur économique » que jouent les exonérations de charges sociales, il convient d'observer que le niveau du chômage reste préoccupant dans les départements d'outre-mer.

En 2013, le taux de chômage est de 29 % à La Réunion, de 26,2 % en Guadeloupe, de 22,8 % en Martinique et de 21,3 % en Guyane, quand il est de 10,5 % dans l'hexagone.

Par suite, le Gouvernement a décidé des actions de « relance » en faveur de l'économie, en 2012 et en 2014.

La deuxième partie du rapport étudie ces actions qui sont au nombre de deux : l'institution du CICE et la mise en place du pacte de responsabilité.

J'aborderai, tout d'abord, l'analyse du CICE.

Parallèlement au dispositif applicable aux Outre-mer, le Gouvernement, pour accroître la diminution structurelle du coût du travail au niveau national, a pris la décision, à la fin de l'année 2012, dans le cadre de la discussion de la loi de finances initiale pour 2013, de la création du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi ou CICE (article 244 quater C du CGI).

Le CICE s'adresse à toutes les entreprises et leur permet de réaliser une économie d'impôt substantielle. Pour 2013, cette économie équivaut à 4 % de la masse salariale, hors salaires supérieurs à 2,5 fois le SMIC. Pour 2014, le taux est porté à 6 %.

On remarque ainsi que la portée du CICE est moins large que celle des exonérations de charges de la LODEOM. En effet, le CICE est plafonné aux salaires atteignant 2,5 SMIC. En revanche, les exonérations de la LODEOM peuvent aller jusqu'à 4,5 SMIC.

Par contre, les salariés concernés par le CICE sont plus nombreux que ceux concernés par les exonérations de la LODEOM. En effet, la LODEOM, sauf pour les petites entreprises de moins de 11 salariés, vise seulement le secteur industriel ou agricole, tandis que le CICE concerne aussi les secteurs du commerce, de la distribution, des assurances, des banques, etc.

Par suite, l'effectif des salariés visés dans les DOM est plus important pour le CICE que pour la LODEOM (520 000 salariés pour tout le secteur marchand des DOM contre 260 000 salariés pour le seul secteur industriel ou agricole). Et, mécaniquement, le nombre des salariés qui devraient être effectivement concernés par la mesure est plus vaste.

C'est ainsi que la FEDOM évalue à 300 000 le nombre des salariés qui pourraient bénéficier du CICE en 2013. À noter qu'il s'agit là de la seule statistique dont nous disposions sur cette question. Nous ne disposons malheureusement pas de statistiques publiques.

En termes de débours, la dépense fiscale correspondant au coût du CICE pour les DOM s'élève à 480 millions d'euros en 2014, avec un CICE à 6 %. Bien entendu, il s'agit – ici encore – d'un montant évaluatif qui sera reconsidéré en fonction des charges réelles.

J'en viens maintenant à l'étude du pacte de responsabilité.

Le pacte de responsabilité a été annoncé par le Président de la République, M. François Hollande, le 31 décembre 2013.

Les mesures constitutives du pacte de responsabilité sont inscrites, d'une part, dans le projet de loi de finances rectificative pour 2014 et, d'autre part, dans le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, également pour 2014.

Les mesures du pacte de responsabilité sont les suivantes :

– Diminution dégressive des cotisations des salariés pour s'arrêter à 1,3 SMIC ;

– Suppression des cotisations patronales au niveau du SMIC et allègement dégressif des charges sur les salaires inférieurs à 1,6 SMIC ;

– Diminution de 1,8 % des charges correspondant à la branche famille de la sécurité sociale pour les salaires compris entre 1,6 et 3,5 SMIC ;

– Baisse de 3 % des cotisations familiales des artisans et des commerçants ;

– Suppression progressive de la cotisation sociale de solidarité payée par les entreprises dont le chiffre d'affaires dépasse 760 000 euros, cette cotisation devant disparaître en 2017 ;

– Diminution progressive de l'impôt sur les sociétés, cet impôt devant passer de 33,33 % aujourd'hui à 28 % en 2020.

Le coût de l'ensemble des mesures, tant fiscales que liées à l'exonération des charges sociales, est fixé à 20 milliards d'euros, mobilisés sur une période qui s'étend de 2014 à 2017.

En revanche, le problème crucial qui se pose aujourd'hui est que le pacte de responsabilité risque de ne profiter que très partiellement aux Outre-mer. En effet :

– La suppression des cotisations sociales patronales prévue par le pacte de responsabilité à hauteur du SMIC existe déjà outre-mer ;

– Le barème dégressif national jusqu'à 1,3 SMIC procure un gain qui est totalement neutralisé outre-mer où, jusqu'à 1,4 ou 1,6 SMIC selon les cas, l'exonération est totale et non dégressive ;

– La réduction des cotisations sociales des indépendants existe déjà dans les DOM (ces travailleurs sont exonérés pendant 24 mois de toutes cotisations de sécurité sociale puis ils disposent ensuite, de manière pérenne, d'une assiette de cotisation réduite de moitié pour la partie de leurs revenus qui est inférieure au plafond de la sécurité sociale) ;

– La suppression de la CSS ne va profiter qu'à environ 10 % des entreprises des DOM, c'est-à-dire à un nombre très restreint de redevables ;

– Enfin, un taux réduit d'impôt sur les sociétés existe déjà dans les Zones franches d'activité (ZFA).

Au total, nous avons évalué le gain du pacte de responsabilité pour les Outre-mer à une somme variant entre 90 et 110 millions d'euros. Rapportée aux 20 milliards d'euros qui correspondent à l'ensemble de la dépense fiscale pour le pacte, on conviendra que cette somme n'est pas très élevée.

Aussi, pour éviter que le pacte de responsabilité ne s'apparente à une coquille presque vide, conviendrait-il de lui donner une déclinaison particulière outre-mer.

Notamment – et c'est là notre première proposition – il serait très certainement possible d'améliorer le dispositif du CICE dans les DOM, puisqu'il s'agit, comme je l'ai indiqué plus haut, d'un mécanisme prometteur, dans la mesure où il vise un ensemble très large d'entreprises et de salariés.

Le dispositif pourrait ainsi être conçu de la manière suivante :

– On pourrait faire passer le taux du CICE de 6 à 9 % pour toutes les entreprises ultramarines ;

– En outre, dans le cas du secteur renforcé tel qu'il est prévu dans la LODEOM, on pourrait le faire passer de 6 à 13 % ;

– Enfin, à l'intérieur du secteur renforcé, on pourrait prévoir un taux spécifique de 19 % pour le secteur du tourisme.

Le secteur du tourisme, comme on l'a vu précédemment en examinant les statistiques concernant les exonérations de charges sociales instituées par la LODEOM, est en effet très faiblement concerné par ces exonérations. Cela provient du fait que ce secteur marque le pas dans les DOM.

Car le tourisme outre-mer souffre de trois handicaps principaux : une forte concurrence régionale (par exemple, Cuba concurrence la Martinique ou la Guadeloupe) ; un coût plus élevé pour la main d'oeuvre par rapport aux autres pays compétiteurs ; et enfin, des structures hôtelières plus anciennes.

Par contre, le tourisme est aussi un secteur riche de perspectives. La croissance du tourisme dans le monde dépasse celle de l'économie mondiale avec une augmentation de 4 % des voyages internationaux en 2013. Et d'autre part, on note la libéralisation de l'octroi des visas dans un certain nombre de pays où la demande de déplacements touristiques est forte, comme la Chine.

Il ne paraît donc pas anormal de vouloir soutenir ce secteur dans les Outre-mer. D'où ce taux à 19 %.

Je souhaite enfin qu'au cours des débats qui suivront cette présentation, nous évoquions la possibilité de mettre en oeuvre un certain nombre de contreparties et que nous fassions des propositions en ce sens.

Considérant le fait que, dans nos territoires, il existe peu de structuration par branche, il conviendrait, pour assurer ces contreparties, de mettre en oeuvre des outils de concertation, sous l'égide du représentant de l'État. Ces outils, qui pourraient être formalisés dans une convention tripartite réunissant l'État, les syndicats patronaux et les syndicats salariés, porteraient sur trois points : la création d'emplois, la revalorisation du pouvoir d'achat et l'investissement locatif.

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