Intervention de Jeanine Dubié

Séance en hémicycle du 7 juillet 2014 à 16h00
Agriculture alimentation et forêt — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJeanine Dubié :

N’oublions pas que, aujourd’hui, un jeune diplômé en agriculture trouve rapidement du travail, ce qui n’est pas le cas dans beaucoup d’autres secteurs de notre économie. L’agriculture est un secteur en quête de main-d’oeuvre qualifiée et porteur d’emplois. Lors du salon de l’emploi et de l’alternance des métiers agricoles organisé par la chambre d’agriculture de Tarbes en juin 2014, on constatait d’ailleurs que les projets de recrutement avaient augmenté de 8,2 % en 2013.

Pourtant, l’agriculture a trop souvent été le parent pauvre des débats stratégiques sur l’avenir de la France. Aujourd’hui, à l’heure où elle traverse une crise difficile dans de nombreuses productions et alors que nous allons débattre ensemble sur ce projet de loi d’avenir pour l’agriculture, les députés du groupe RRDP pensent qu’il est temps de remettre à la place qu’elles méritent les questions agricoles. Oui, il est temps de renouer ce lien intime entre la société française et son agriculture, afin de redonner à celle-ci les moyens de se moderniser et d’être performante sur les plans économique, environnemental et social.

C’est le sens du concept d’agro-écologie. Il nous faut sortir de la posture clivante, de l’opposition stérile entre performance économique, c’est-à-dire la faculté pour les paysans de vivre correctement de leur travail en favorisant l’amélioration des rendements, et exigences environnementales, notamment s’agissant de l’utilisation des produits phytosanitaires, à la fois pour répondre aux attentes des consommateurs et pour protéger la santé des agriculteurs eux-mêmes.

En s’inspirant de nombreuses expériences observées sur le terrain dans tous les départements, le projet de loi propose de sortir de cette opposition et de promouvoir la désormais fameuse double performance économique et écologique. Nous saluons cette méthode qui consiste à se nourrir des retours d’expériences pour tenter de les généraliser, notamment grâce à l’outil des GIEE, les groupements d’intérêt économique et environnemental.

Monsieur le ministre, si vous avez choisi de partir de la base pour bâtir des outils au service d’une agriculture modernisée, il vous fallait aussi tenir compte des engagements français à l’échelle de l’Union Européenne, pour lesquels vous avez porté haut les couleurs de la France. Ce projet de loi s’inscrit en effet directement dans le cadre européen bâti après la dernière réforme de la PAC en juin 2013. Il n’y aura pas d’agriculture française moderne et compétitive sans une politique agricole commune forte et ambitieuse. C’est le niveau pertinent d’action pour avoir les moyens d’intervenir efficacement.

Vous avez réussi à imposer, avec plusieurs alliés, le principe de la dégressivité des aides, notamment la revalorisation de 10 % d’ici à 2015 du paiement redistributif au titre des cinquante-deux premiers hectares et le couplage des aides pour l’élevage.

Ensuite, conformément aux engagements de campagne du Président de la République sur la diversité des modes de production agricole dans tous les territoires, vous avez défendu et obtenu – enfin ! – la revalorisation à hauteur de 15 % des indemnités compensatrices de handicaps naturels. Très attachée au maintien de la vitalité des territoires ruraux, et en particulier de montagne, je tiens à vous remercier personnellement de ce combat, remerciements auxquels j’associe mon collègue Joël Giraud, élu des Hautes-Alpes. Si nous avons conscience de l’enjeu de la compétitivité économique, nous défendons la nécessité de produire sur tous les territoires, sans laisser sur le bord de la route les agriculteurs en zone de montagne.

Je voudrais enfin insister sur l’impérieuse nécessité de travailler à l’harmonisation des exigences environnementales et des normes sociales à l’échelle européenne. C’est un combat long et difficile, mais qu’il nous faut mener sans relâche pour réduire autant que possible les phénomènes de concurrence déloyale au sein de l’Union européenne, car ils sont une des causes des difficultés que rencontre l’agriculture française.

S’il nous faut tenir compte des contraintes européennes, il nous reste toutefois des marges de manoeuvre à l’échelle nationale pour améliorer la situation de l’agriculture.

Avec ce projet de loi, monsieur le ministre, vous avez choisi de donner la possibilité aux agriculteurs de porter un projet collectif, qui permettra des coopérations avec les acteurs des territoires et des filières dans une approche de développement local intégré. Avec le GIEE, on peut agir plutôt que de subir.

Si la pollution du sol et des cours d’eau par les intrants chimiques est réelle, nous devons, comme cela a été dit à plusieurs reprises, reconnaître les progrès immenses réalisés par les agriculteurs depuis vingt ans. Certificats d’économie de produits phytosanitaires, transparence des contrôles, encadrement de l’utilisation : nous partageons vos objectifs, à condition de rester dans la limite du raisonnable et de ne pas sombrer dans des mesures inapplicables et insupportables pour la survie des exploitations agricoles.

Le projet de loi confirme et améliore la contractualisation instaurée en 2010 par la LMA, afin de renforcer les organisations de producteurs face à la grande distribution. Cependant, les résultats sont assez hétérogènes selon les filières et la contractualisation ne permettra pas à elle seule de mettre fin au captage de la valeur ajoutée par la grande distribution.

Le projet de loi confirme aussi la place du médiateur, qui a fait la preuve de sa grande utilité lors de la crise du lait.

Au rythme actuel, l’équivalent d’un département de surface agricole utile disparaît tous les sept ans. Le projet de loi prévoit de nombreuses dispositions pour redonner enfin aux SAFER les moyens de limiter la disparition du foncier agricole, en élargissant le droit de préemption et en améliorant le contrôle des structures. Mais les contraintes liées à la crise du logement sont telles que, pour réduire l’étalement et le mitage, nous devons aller vers la densification des villes et des centres bourgs.

Sur la question des jeunes, et en cohérence avec les engagements de campagne du Président de la République, le projet de loi est ambitieux. C’est tant mieux. Nous l’avons dit en première lecture, notre agriculture construira son avenir uniquement si elle favorise les jeunes agriculteurs, en encourageant leur installation, notamment hors du cadre familial. Par ailleurs, la loi conforte l’enseignement agricole et nous nous réjouissons de la poursuite de la professionnalisation du métier d’agriculteur.

Il s’agit donc, dans ses grandes lignes, d’un bon projet de loi, qui ouvre des perspectives intéressantes et donne des moyens aux agriculteurs pour se moderniser sur de nombreux aspects.

Pour autant, le texte ne répond pas entièrement aux nombreuses attentes de nos agriculteurs, a fortiori au moment où beaucoup d’entre eux traversent une crise sans précédent. Dans leur immense majorité, ils doivent désormais faire face à la concurrence de leurs voisins européens et des grands pays producteurs dans le monde. Instabilité des prix, fin des quotas en 2015, coût du travail, contraintes administratives, réglementations et normes environnementales de plus en plus exigeantes : sur ces facteurs qui pèsent sur la compétitivité de notre agriculture, nous devons faire plus et mieux. Nos paysans attendent le choc de simplification promis par le Président de la République et veulent pouvoir enfin se battre à armes égales avec leurs concurrents.

Monsieur le ministre, la situation extrêmement contrainte de nos finances publiques ne vous donne pas, pour cette loi, un budget à la hauteur des enjeux de la crise agricole. Au groupe RRDP, nous nous demandons tout de même si certaines actions n’auraient pas mérité de bénéficier de moyens budgétaires nationaux – je pense en particulier aux jeunes et aux filières fruits et légumes, caractérisées par un besoin intensif en main-d’oeuvre.

Enfin, au sujet de la problématique, déjà évoquée et bien connue ici, de l’équité du partage de la valeur ajoutée entre les agriculteurs, les industriels et la grande distribution, nous sommes loin du compte. Les mauvaises pratiques perdurent dans les négociations commerciales, ainsi que l’a rappelé notre collègue et spécialiste Annick le Loch, lors de l’examen du texte en deuxième lecture en commission. Si nous voulons enrayer l’effritement de notre agriculture, il nous faudra revenir sur ce sujet majeur.

Monsieur le ministre, votre projet de loi initial était plutôt court et concentré sur 39 articles seulement. Le débat en première lecture, et en deuxième lecture en commission, fut intéressant et fécond. Environ 3 000 amendements ont été déposés, presque 850 ont été adoptés. Les chiffres le démontrent : ce texte a passionné les députés ; leur implication a permis un enrichissement considérable du texte. Au Sénat aussi, le débat a été de grande qualité et a fait évoluer le projet de loi.

Pour ce nouvel examen, dont je ne doute pas qu’il nous permettra de parfaire encore le texte, le groupe RRDP s’est volontairement limité à une quarantaine d’amendements. Je salue la disponibilité de votre cabinet, monsieur le ministre. Nous avons pu dialoguer de manière constructive avec vos conseillers et je veux les en remercier.

Nous tenons particulièrement à certains des amendements que nous avons déposés. Les amendements relatifs au foncier agricole visent à renforcer et à améliorer le rôle de régulateur des SAFER, prévoient la prise en compte du plan régional d’agriculture durable dans le périmètre du SCOT et celle du développement agricole dans l’élaboration du PLU, proposent l’augmentation du plafond maximal de l’amende administrative dans les cas de fraude au devoir d’information mentionné à l’article 13.

Nous présenterons aussi des amendements visant à limiter les obligations de reboisement dans les cas de compensation de défrichement. Nous appellerons également à une meilleure reconnaissance du rôle des chasseurs, dont la présence au conseil d’administration des SAFER devrait être inscrite dans la loi, et dont la responsabilité quant aux obligations sanitaires à l’égard du gibier devrait faire l’objet d’une précision.

Concernant les jeunes agriculteurs, nous pensons que nous pouvons aller plus loin encore, même si nous nous saluons les avancées majeures contenues dans le texte. La professionnalisation doit être poursuivie sans relâche. Une formation, sans précisions quant à son contenu, ne suffit pas pour bénéficier du volet de la politique de l’aide à l’installation des jeunes.

Sur l’article 16 bis, nous tenterons de vous convaincre de l’utilité du maintien de la limitation de l’accès aux aides de l’État à la condition de détention majoritaire du capital social. Sans cela, nous risquons de voir se développer le phénomène de financiarisation de l’agriculture par des investisseurs qui n’ont plus grand-chose à voir avec l’agriculture.

Sur de nombreux sujets, le débat que nous aurons dans cet hémicycle est essentiel et aura des conséquences majeures sur l’avenir de notre agriculture. L’agriculture est la base d’une alimentation saine et de qualité, l’assurance de notre sécurité et de notre autonomie alimentaires, le fondement de la vitalité de nos territoires et l’image de notre pays dans le monde.

En dépit de nos appréciations parfois différentes, notamment sur l’incomplétude des réponses apportées par ce projet de loi aux attentes du monde agricole, je forme le voeu que nos débats permettent d’envoyer à tous nos paysans et agriculteurs un message d’espoir pour l’avenir de notre agriculture.

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