Intervention de Geneviève Gosselin-Fleury

Réunion du 11 juin 2014 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGeneviève Gosselin-Fleury :

Le manque de réaction des Occidentaux face à la pression russe sur le nucléaire iranien et la Syrie n'a-t-il pas encouragé Vladimir Poutine à adopter une ligne dure et à tenter un coup de force ?

La crise ukrainienne peut-elle remettre en cause le rééquilibrage de la stratégie américaine vers l'Asie ?

Étienne de Durand. Je ne blâme absolument pas la politique du Gouvernement. Nous avons produit une étude détaillée à l'IFRI sur les budgets de défense, qui montre une stricte égalité droite-gauche dans la courbe du déclin depuis vingt-cinq ans ! Je me suis au contraire félicité qu'on ait une nouvelle fois « sauvé les meubles » et ai rappelé qu'en 2008 comme en 2013, les deux commissions de la Défense ont fait leur travail et que, même si tout n'a pas été publié, on a pris en compte des scénarios de crise impliquant le voisinage européen.

Mon propos portait sur l'avenir : nos dépenses vont devoir remonter. Si nous voulons être sérieux en matière de défense collective – et nous sommes obligés de l'être car nous sommes une des principales puissances de l'Union européenne et de l'OTAN –, il faut que la trajectoire budgétaire définie aujourd'hui soit respectée, voire améliorée. En 2020-2022, vu la trajectoire russe, si nous voulons avoir un minimum de crédibilité pour ne pas être totalement dépendants des Américains, il faudra faire un effort.

Camille Grand. C'est le décrochage de beaucoup de pays européens dans le domaine de la défense qui est inquiétant. Si la France fait encore exception, on voit les limites de notre modèle en termes de volume et de capacités. Comment peut-on gérer en même temps la dégradation de la situation dans le Sahel et le besoin de rassurer nos alliés ? Nous avons déjà eu des tensions de ce type avec les volumes de forces prévus par la programmation précédente : la simultanéité des engagements des forces aériennes en Libye, en Afghanistan, dans la mission de police du ciel des pays baltes, au Tchad ou à Djibouti a fait qu'on a été à la limite des contrats capacitaires pour l'armée de l'air. Aujourd'hui, avec des contrats capacitaires revus à la baisse, cette tension est devenue encore plus tangible.

On n'est certes pas encore dans la situation de pays comme l'Italie qui, il y a encore cinq ou dix ans, était un acteur militaire en Europe : alors qu'elle assumait toujours à peu près un quart des opérations de l'OTAN dans les Balkans et était un contributeur important en Irak ou en Afghanistan, elle a décroché. Quant aux Pays-Bas, ils sont largement sortis du jeu alors qu'ils étaient très engagés dans les années 1990 et 2000.

Il n'appartient pas aux Français seuls de compenser le retrait de tous les autres, mais si nous décrochons, on ne pourra plus se tourner vers personne en dehors des États-Unis – qui eux-mêmes nous disent qu'ils n'assureront pas la sécurité de l'Europe si nous ne nous prenons pas en mains.

S'agissant de l'idée d'une mission de l'Union européenne en Ukraine, le modèle de la Géorgie est intéressant, mais on avait procédé en l'espèce de façon coopérative avec les Russes. Or, à présent, l'Union européenne est perçue par Moscou comme aussi hostile que l'OTAN. Il y a une forme de naïveté chez les Européens, notamment à Bruxelles, consistant à dire : « Nous ne voulons pas leur faire peur, nous sommes juste pour la démocratie, la transparence, la lutte contre la corruption et la mise en place d'institutions libres et démocratiques ». Or c'est précisément ce que M. Poutine ne souhaite pas voir s'installer.

Cela dit, une présence de l'Union européenne dans l'Est de l'Ukraine pourrait aider à vérifier la désescalade espérée pour les jours qui viennent, mais, sans l'accord de la Russie, ce sera plus compliqué à réaliser et les soldats de l'Union seront réputés hostiles. On se souvient que même les observateurs de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ont été pris en otages dans les heures suivant leur arrivée.

Concernant l'effet de la crise ukrainienne sur les dépenses militaires, nous avons quelques bonnes nouvelles, mais disparates pour l'instant. Nous avons la confirmation que les Polonais et les Estoniens sont sérieux ; les Suédois ont annoncé qu'ils allaient inverser la courbe du déclin de leurs dépenses militaires ; certains pays comme la Roumanie, la Lettonie ou la Lituanie ont dit qu'ils allaient essayer de rejoindre l'objectif de 2 % du PIB.

Cependant, tous les États ne sont pas sur cette ligne : le premier ministre slovaque a par exemple déclaré qu'une augmentation des dépenses militaires était immorale !

La situation est en fait très contrastée : si on regarde les perspectives budgétaires en Europe au cours des trois prochaines années, une bonne moitié des pays continue à réduire leurs dépenses, quelques autres, comme la France, maintiennent leur trajectoire, et un troisième groupe a annoncé une augmentation des crédits.

Si on ne parle pas d'augmenter ceux-ci de 25 %, à quelques centaines de millions d'euros près, il est possible de créer la différence en matière capacitaire. Une encoche qui a l'air mineure peut transformer profondément l'appareil de défense.

Enfin, la volonté politique des Occidentaux constitue un vrai sujet. Lorsque M. Obama a reculé devant l'obstacle en Syrie et cette violation majeure du système international qu'était l'utilisation d'armes chimiques, il a adressé un signal très négatif à tous les pays à tentation révisionniste – dont la Russie –, qui en ont déduit que les Américains étaient « mous », que les Européens étaient divisés et qu'il était possible de bousculer les choses.

Étienne de Durand. Je rappelle que les Russes ont systématiquement violé les espaces aériens et maritimes de nombreux pays de l'OTAN et de l'Union européenne au cours des trois dernières années. N'est-ce pas une manière de tester notre volonté politique et nos capacités militaires à réagir ? Ils ont par exemple violé l'année dernière la souveraineté de la Suède sur l'île de Gotland alors que l'armée de l'air suédoise, avec 100 appareils de combat et 3 000 hommes, ne pouvait avoir des avions en vol en permanence. Ils ont même violé l'espace maritime britannique. En ne réagissant pas, nous ne leur envoyons pas un bon message. Vu ce qui s'est passé, nous devons leur montrer que s'ils passent la ligne rouge et mettent des appareils en l'air, nous sommes capables de le faire aussi.

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