Intervention de Jean-Jacques Candelier

Réunion du 11 juin 2014 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Candelier :

Monsieur de Durand, je vous trouve très alarmiste ! Dans la liste des annexions, on pourrait ajouter Mayotte, qui a été rattachée à la France à la suite du référendum du 8 février 1976…

Face à l'élargissement de l'Union européenne et de l'OTAN, la Russie se sent encerclée, ce qui pourrait expliquer le comportement de Poutine.

Concernant le conflit ukrainien, je pense que nous nous dirigeons vers l'apaisement. En outre, la France a reconnu le putsch ukrainien.

Quelle est la part de responsabilité de l'administration américaine et des dirigeants de l'Union européenne dans le conflit ukrainien ? Y a-t-il des preuves d'une implication de la Russie dans les violences perpétrées en Ukraine ? Au nom de quelle légitimité M. Obama demande-t-il à M. Poutine de retirer ses chars de la frontière ? Enfin, le nouveau contexte stratégique n'est-il pas lié à la montée du fascisme en Europe ?

Étienne de Durand. La dépendance énergétique de l'Europe à l'égard de la Russie est aujourd'hui moins grande qu'en 2008, car des mesures ont été prises, mais il s'agit d'un travail de longue haleine qui coûte très cher. On peut en effet obtenir des effets politiques sans déployer de troupes.

Je suis réservé sur les sanctions, qui constituent la politique par défaut des Occidentaux : elles ont un côté paternaliste qui est très mal vécu à Moscou. En outre, je ne suis pas persuadé qu'elles soient efficaces. S'agissant des sanctions à l'égard de l'Iran, outre que ce pays n'est pas la Russie, nous étions peu liés à lui. De plus, la Russie est une grande puissance dotée de l'arme nucléaire : veut-on vraiment l'acculer et la mettre dans une situation économique menaçant la stabilité de son gouvernement ? Enfin, les sanctions ne répondent pas au problème de sécurité que nous avons évoqué, ni à la demande de nos alliés du Nord et de l'Est de l'Europe.

Si on peut dire qu'en 2004, lors de la révolution orange, il y avait un certain nombre de gens à la manoeuvre – par forcément des États en tant que tels, mais diverses ONG –, ce qui s'est passé à Maïdan est un mouvement local dû à la grande incompétence du gouvernement ukrainien d'alors. En outre, au départ, les Américains voulaient avant tout se désengager d'Europe - ils ont retiré l'an dernier leurs dernières forces terrestres permanentes du continent - : l'idée d'implanter des bases américaines en Crimée ne correspond à aucune réalité. De plus, depuis 1997, nous nous sommes collectivement interdits de déployer quelque moyen militaire que ce soit de façon permanente sur le territoire des nouveaux membres de l'OTAN, ce qui est d'ailleurs paradoxal. Et, contrairement à ce que disent les Russes, il n'y a aucune trace dans les archives indiquant que les Occidentaux auraient promis en 1990 à M. Gorbatchev de ne pas élargir l'OTAN.

Il est certain, en tout cas, que ce qui s'est passé en Crimée était trop rapide et trop bien mené pour ne pas être le fait de professionnels et planifié à l'avance. Je ne dis pas pour autant qu'il y avait un plan machiavélique, mais le pouvoir russe a décidé de saisir l'occasion.

Or, si on laisse faire pareille annexion, qui n'est, me semble-t-il, pas comparable au cas de Mayotte, on envoie un mauvais signe à tous les pays du Nord et de l'Est. On peut peut-être reprocher aux Polonais ou aux Baltes d'avoir un contentieux avec les Russes, mais les Norvégiens, qui ont de bonnes relations avec eux, sont également inquiets.

Il est possible que, par naïveté ou inadvertance, nous ayons contribué à provoquer cette réaction russe, mais je constate que la Russie met en place un plan de réarmement et qu'elle déploie des moyens militaires. Si on ne peut leur contester le droit de déployer 40 000 hommes sur leur frontière, il est également compréhensible que cela jette un froid dans le reste de la région. Si la réassurance n'a pas pour but de menacer la Russie, qui n'est pas une ennemie, il ne faut pas non plus créer de tentations bêtes face à un pouvoir qui est par nature très différent celui de Bruxelles ; en bref, si l'on veut être bien compris de la Russie, il convient de parler le même langage qu'elle.

Camille Grand. Notre réponse vis-à-vis de la Russie doit être à la fois économique et militaire. Il est logique de réduire la dépendance énergétique de certains pays européens, qui les soumet à une pression très forte. Cela peut passer notamment par le recours au mix énergétique, au nucléaire, au gaz liquéfié ou à des pipelines allant de la mer vers l'Europe centrale. Mais cela ne veut pas dire que la Russie ne va pas rester un partenaire économique de l'Union européenne.

Il y a actuellement des négociations entre ce pays et l'Ukraine sur les contrats gaziers, la Russie ayant multiplié par dix le prix du gaz ukrainien, qui constitue un record en Europe – soit 500 dollars pour 1 000 mètres cubes, au lieu de 50 dollars en 2005. Or, si les Russes coupaient le gaz à l'Ukraine, ils le feraient en même temps pour la Slovaquie ou la Hongrie.

Cela n'interdit pas de prendre quelques mesures de réassurance militaire, qui ont précisément pour objet d'éviter des tentations d'escalade.

Sur la manière dont on a traité la Russie depuis la fin de la Guerre froide, il y a eu sans doute des maladresses de l'Occident, qui a par exemple tiré profit de la faiblesse de M. Eltsine : beaucoup de Russes nous le reprochent, ce qui explique leur soutien à la position de M. Poutine. Mais, comme le dit Jean-Louis Bourlanges, la Russie est un peu comme la France de 1815, qui était révisionniste par nature et à qui il a fallu plus de cinquante ans pour découvrir que l'ordre européen d'alors était plus favorable que celui apparu après la guerre franco-prussienne de 1870. En effet, elle est toujours membre permanent du Conseil de sécurité, traité sur un pied très différent par l'OTAN et bénéficie de toute une série d'avantages, qu'elle a tendance à laisser de côté pour insister sur ce qui lui paraît être la décroissance de son pouvoir.

Cependant, sur les six derniers mois, les Européens ont péché un peu par naïveté en croyant que l'accord d'association avec l'Ukraine n'avait pas d'implication stratégique et pouvait être géré par des négociateurs commerciaux de Bruxelles. Je regrette que la Russie n'y ait pas vu une passerelle pour approfondir les relations européennes. Cette logique de jeu à somme nulle est inquiétante.

Enfin, l'implication de la Russie en Crimée est évidente. Dans l'Est de l'Ukraine, on voit que les gens qui sont arrivés étaient bien équipés et bénéficiaient de formes de soutien. Quand des hélicoptères ou des avions sont abattus par des missiles portatifs, ce n'est pas le fait de milices locales. Mais les Ukrainiens ont aussi commis de graves maladresses : l'affaire de la langue russe en témoigne. Poutine a d'autant plus avancé ses pions qu'on ne réagissait pas.

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