Intervention de Laurent Fabius

Réunion du 20 août 2014 à 16h00
Commission des affaires étrangères

Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international :

Si ! Que cela ait été dit ou non, elles ont en tout cas eu lieu au profit de l'armée syrienne libre.

Pour ce qui est de l'Irak, je ne vous livrerai pas de liste détaillée des matériels fournis, ce n'est pas mon rôle. En liaison avec les autorités irakiennes, les autorités kurdes ont formulé des demandes. Nous en avons honoré une partie. Nous voulons permettre aux peshmerga, peut-être demain aux Irakiens, de se défendre, de contre-attaquer et de vaincre le camp adverse – car c'est bien de cela qu'il s'agit : nous ne sommes pas dans un jeu de Monopoly…

J'ai rencontré le commandant en chef des peshmerga, qui m'a exposé qu'une grande partie de son matériel datait de la guerre Iran-Irak. Les peshmerga sont des combattants très courageux – leur nom signifie « qui combat la mort »–, mais leurs fusils de type traditionnel ne font pas le poids devant le matériel sophistiqué américain récemment subtilisé.

Le ministre de la défense vous en dira davantage. Je relève seulement que l'EIIL n'a jusqu'à présent pas fait usage des armes sol-air dont elle s'est emparée. De toute évidence, ses membres ne savent pas s'en servir. Le fait qu'elles soient en leur possession reste néanmoins un gros problème.

D'une manière générale, tant en Syrie qu'en Irak, nous prenons nos dispositions pour livrer des armes à des groupes assez sûrs pour qu'elles ne soient pas susceptibles de tomber dans des mains adverses.

M. François Fillon et plusieurs autres orateurs ont évoqué la situation en Libye et en Syrie. Sur ce sujet, nous sommes en désaccord. Lorsque, presque immédiatement après notre arrivée au pouvoir, s'est tenue, le 30 juin 2012, la première conférence de Genève, il n'y avait en Syrie ni le Hezbollah, ni troupes iraniennes, ni groupes terroristes. La seule question qui se posait alors était de savoir quel pays accueillerait M. Bachar Al-Assad, puisqu'il allait tomber– ce n'était encore qu'une petite révolte : n'oublions pas que cela a commencé avec quelques jeunes dans un coin. Et cela a été traité de telle sorte que nous en sommes aujourd'hui à 170 000 morts…

Dès la première réunion des Amis de la Syrie, en juillet, nous avons dit qu'il fallait miser sur l'opposition modérée – celle qui voulait une Syrie unie, laïque et diverse – et l'aider. À l'époque, des discussions avaient lieu entre la France, la Turquie, le Qatar, l'Arabie saoudite, le Royaume Uni et les États-Unis, les Américains jouant un rôle décisif. Or je vous invite à vous reporter aux Mémoires de Mme Hillary Clinton et à la passionnante interview qu'elle vient de donner à l'Atlantic Monthly : elle considère que les États-Unis ont commis une erreur en ne soutenant pas l'opposition syrienne modérée. Personne évidemment ne peut refaire l'histoire, mais je suis convaincu qu'il aurait suffi d'un coup de boutoir à ce moment pour que l'opposition modérée l'emportât. Ensuite seulement sont arrivés en Syrie le Hezbollah, les Iraniens et les groupes terroristes – ces derniers étant pour une grande part une fabrication de M. Bachar Al-Assad en personne : se sentant politiquement menacé par l'opposition modérée, il a suscité la création de ces brigades en remettant en liberté des fondamentalistes qui en sont devenus les dirigeants. Il aurait fallu, dès le début, comme nous le souhaitions, appuyer l'opposition modérée, mais cela n'a pas été fait.

Dans ses Mémoires, Mme Clinton rappelle aussi que le Président Obama avait défini une ligne rouge, franchie lorsqu'il fut avéré que M. Bachar Al-Assad avait utilisé des armes chimiques, tuant des centaines de Syriens. Une sanction a alors été décidée, qui devait être une frappe aérienne – celle-ci, au dernier moment, n'a pas eu lieu, le président russe indiquant avec une grande habileté que les armes chimiques syriennes dont, la veille encore, il niait l'existence, seraient détruites. Et qui peut imaginer que le renoncement aux frappes aériennes annoncées ait été sans incidence sur l'appréciation par M. Poutine de la détermination dont ferait preuve tel grand pays si la Russie agissait ensuite d'une certaine manière ?

J'entends dire maintenant que la situation en Syrie est tragique et que la France aurait dû agir autrement. Aurait-elle donc dû soutenir M. Bachar Al-Assad ? Alors que trois camps s'affrontaient – un dictateur, des groupes terroristes et une opposition qui voulait un pays uni et laïque – qu'aurions-nous dû faire ?

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