Intervention de Laurent Fabius

Réunion du 20 août 2014 à 16h00
Commission des affaires étrangères

Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international :

Je veux maintenant rassurer M. Destot : des dispositions pratiques ont été prises pour que l'aide apportée soit efficace.

J'ai évoqué la position de l'Allemagne et rendu hommage à mon collègue Frank-Walter Steinmeier.

J'ai en effet rencontré des dignitaires religieux en Irak, monsieur Rochebloine. Au cours de ces entretiens émouvants, ils ont fait état de deux positions au moins au sein de la population des chrétiens d'Irak. Pour les uns, il est inconcevable que l'essentiel des populations minoritaires quittent le pays : cela signifierait que l'État islamique serait parvenu à ses fins. Mais deux de ces religieux expliquaient que certains – parmi les chrétiens en particulier – disent ne plus pouvoir vivre aux côtés de ceux qui ne les ont pas défendus lors de l'arrivée de l'État islamique. Ce sont là des paroles particulièrement dures à entendre. J'avais certaines idées sur la question quand je suis arrivé en Irak, mais il faut savoir écouter ceux qui vous parlent. L'ayant fait, j'ai recommandé au Président de la République de dire qu'il faut maintenir sur place le plus grand nombre possible de membres des minorités d'Irak, mais que dans certains cas cela ne se peut, et qu'il faut alors favoriser l'accueil de ceux qui ont déjà des liens avec la France. Même si l'on espère que les différentes communautés irakiennes réussiront à revivre ensemble, on ne peut s'en tenir à une vision idéaliste de la situation. Il est exact, d'autre part, que les représentants de la communauté yézidie se plaignent que l'on ne fasse pas pour eux ce que l'on fait pour d'autres. Nous devons nous préoccuper de l'ensemble des communautés menacées.

En résumant la politique diplomatique de la France en un mot – fiasco – M. Noël Mamère m'a semblé faire une analyse tout à la fois rapide et injuste ; j'ai essayé d'expliquer les raisons objectives de la situation actuelle. Le temps me manque pour traiter au fond de la situation à Gaza, mais je le ferai volontiers en une autre occasion.

Si nous fournissons des armes aux peshmerga, monsieur Giacobbi, c'est que nous ne voulons pas qu'ils se présentent la poitrine nue devant leurs adversaires, qui sont aussi les nôtres.

Les Américains ne nous ont pas demandé d'accompagner leurs frappes aériennes, monsieur Lellouche ; quoi qu'il en soit, nous nous sommes fixé une règle : nous nous en tenons en ce domaine à ce qu'autorisent les résolutions du Conseil de sécurité.

M. Poniatowski a jugé que ce sont les frappes aériennes américaines qui ont fait basculer la situation. Nous avons soutenu la démarche des Américains, mais nous n'avons pas à rougir de ce que nous avons fait – et ce n'est pas parce que l'on approuve ce que font les États-Unis que l'on doit désapprouver ce que fait le Gouvernement français, en cette manière comme dans les autres.

Monsieur Rihan Cypel, nous allons préparer la conférence sur la sécurité en Irak. Pour sa part, le Président Obama a prévu de présider fin septembre une réunion spéciale du Conseil de sécurité de l'ONU consacrée à la menace que font peser les djihadistes étrangers en Syrie et en Irak. Nous avons de bons contacts avec le nouveau Premier ministre irakien, mais le gouvernement n'étant pas encore formé, nous n'en sommes pas à lui fournir des armes qui, à ce jour, ne nous ont pas été demandées.

J'ai indiqué, monsieur Raffarin, quelques pistes d'analyse des causes de la situation à laquelle nous devons faire face, mais elles ne sont pas exhaustives. Je partage votre opinion sur la nécessaire composition du tour de table qu'il faudra réunir, autant qu'il sera possible, pour que la conférence aboutisse, sans que cela signifie pour autant l'abandon de nos positions sur d'autres sujets.

Madame Goulet, il ressortait de mes entretiens fréquents avec mon homologue saoudien qu'aussi longtemps que M. Al-Maliki se maintiendrait au pouvoir en Irak, il serait extrêmement difficile de demander aux sunnites modérés de couper avec l'État islamique. On l'a vu : il ne pourra y avoir en Irak de victoire uniquement militaire.

Je pense avoir répondu aux questions de M. Janquin.

M. Marsaud a eu une phrase que je proposerais volontiers de reprendre en introduction de chacune de nos séances : nous sommes trop discrets sur nos succès diplomatiques… Je l'ai notée sous votre dictée, monsieur le député, impressionné par votre sagesse – tout au moins sur ce point ! Vous avez souligné à raison l'action remarquable menée par la frégate Montcalm en Libye. Votre proposition de renversement d'alliances qui nous conduirait à avoir pour alliés principaux l'Iran et M. Bachar Al-Assad témoigne certes d'une grande audace ; mais si l'action diplomatique a parfois besoin d'audace, elle exige également de la sagesse. Votre proposition mérite à tout le moins mérite quelques instants de réflexion supplémentaires…

L'Union européenne, madame Fourneyron, n'a pas souhaité occulter le geste de la France, ni au Mali ni ailleurs, en abordant de tristes considérations financières… Mais nous sommes tout comme vous des gens de labeur et, tout comme vous, nous considérons qu'il est très aimable de nous complimenter mais qu'il ne serait pas mauvais de prendre en compte les frais que ces actions occasionnent...

M. Guilloteau a exprimé en d'autres termes une idée assez semblable à celle de M. Marsaud, expliquant que nous serions arrivés après les autres ; curieusement, j'ai plutôt l'impression inverse.

M. Guillet est favorable à un rapprochement avec l'Iran. M. Myard l'est également, mais il souhaite aussi que nous nous rapprochions de Bachar Al-Assad ; j'ai pourtant le sentiment que celui-ci n'est pas totalement étranger au développement de l'État islamique… Soutenir le premier pour combattre les seconds n'est pas si évident qu'il y paraît.

Je pense avoir répondu à Mme Saugues.

Pour finir, M. Roger m'a posé la question de toutes la plus facile : quel rôle jouent, dans cette affaire, le Qatar et de l'Arabie saoudite ? Le cardinal de Retz disait que l'« on ne sort de l'ambiguïté qu'à son détriment » ; dans le cas qui nous occupe, ce serait une très bonne chose qu'il n'y en ait plus aucune, et que Qataris et Saoudiens acceptent d'en sortir ; nous les y incitons à chaque occasion. Nos relations sont du reste excellentes. Cela étant, bien des choses leur sont imputées que, souvent, les enquêtes que nous menons ne confirment pas.

Dans tous les cas, il n'est de l'intérêt d'aucun pays de favoriser, si peu que ce soit, le terrorisme. Pour l'État islamique, il n'y a pas d'adversaires de premier et de second rang : il considère que tous ceux qui ne lui sont pas soumis doivent être supprimés. Quels que soient nos désaccords avec un État ou un autre, nous devons donc nous unir dans une lutte implacable contre cette très grave menace et la France, avec d'autres, doit montrer l'exemple.

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