Intervention de François de Rugy

Séance en hémicycle du 16 septembre 2014 à 21h30
Lutte contre le terrorisme — Article 1er

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois de Rugy :

Compte tenu de l’importance de la décision prise par l’autorité administrative d’interdire la sortie du territoire, nous souhaitons que cette décision soit écrite et motivée.

Une telle précision serait utile à plus d’un titre. Tout d’abord, et on l’a dit, cette décision est loin d’être anodine. Or elle devra parfois être prise en urgence. C’est même pour cette raison que la procédure relève du ministère de l’intérieur. Elle pourra également faire l’objet d’un recours, d’où l’intérêt de la justifier le plus précisément possible.

Je ne veux pas revenir, monsieur le ministre, sur le débat que nous avons eu tout à l’heure, même si j’estime qu’il n’est pas nécessaire de s’envoyer nos lectures respectives à la figure. Le fait de fréquenter suffisamment ou non telle bibliothèque, tel texte, telle jurisprudence est hors de propos. Une telle remarque n’est pas à la hauteur du débat. En outre, les parlementaires ne méritent pas une telle attitude.

Sur le fond, et parmi les différents commentaires que ce projet de loi a suscités, on peut se référer aux observations de l’Union syndicale des magistrats, l’organisation majoritaire chez les juges – elle recueille plus de 65 % des suffrages –, considérée comme modérée. Il est toutefois inutile de se rendre à la bibliothèque de l’Assemblée nationale pour consulter ce texte, publié sur le site internet du syndicat. On y lit que la décision d’interdiction du territoire, même si elle n’a rien d’anodin, peut sans doute être rapprochée d’autres mesures de police prises par l’autorité administrative, et donc susceptibles d’être contrôlées par le juge administratif. Le Conseil constitutionnel pourrait donc valider cette disposition, mais sur ce point, sa jurisprudence diffère de celle de la Cour européenne des droits de l’homme, et lui est même contradictoire. Une telle information est tout de même de nature à éclairer nos débats !

S’agissant de l’amendement, l’Union syndicale des magistrats rappelle que, dans ce même article 1er, à un autre alinéa, il est prévu qu’une personne qui ne respecterait pas l’interdiction de sortie du territoire serait passible d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à trois ans. Voilà qui rendra possible des procédures judiciaires – car personne ne contestera, je le pense, que ce sera au juge judiciaire de se prononcer sur l’infraction à l’interdiction de sortie du territoire. Or l’Union syndicale des magistrats appelle notre attention – à juste titre, je le pense, car il faut que nous soyons très pragmatiques si nous voulons assurer l’efficacité du dispositif – sur le fait que, n’en déplaise au ministre, le juge judiciaire devra se prononcer aussi en partie sur le fond, c’est-à-dire, sans vouloir revenir sur ce qu’a dit notre collègue Sebaoun – dont je ne partage pas totalement la position, dans la mesure où il cite des mouvements –, sur des questions qui sont loin d’être négligeables.

Je voudrais en outre dire à nos collègues de l’UMP que je comprends leur préoccupation d’être aussi efficace que possible, mais que si tout le monde parle du djihad, c’est parce que c’est d’actualité. Or, si les lois sont faites pour faire face à une situation donnée, elles sont souvent utilisées ultérieurement dans des situations que le législateur n’avait pas forcément imaginées. Restons modestes et humbles, mes chers collègues : nous ne faisons que passer !

Là encore, je vous invite à lire l’avis de l’Union syndicale des magistrats, qui souligne qu’il faudra se prononcer à un moment ou un autre sur ce qui est de l’ordre du terrorisme. Et ce n’est pas simple ! Certaines choses nous paraissent aujourd’hui évidentes, avec la menace de l’État islamique en Irak et au Levant – qui est pour nous réelle, comme je l’ai indiqué dans la discussion générale – et avec la situation du Mali, qui a justifié l’intervention militaire française ; toutefois, nous pourrions être confrontés à des situations moins nettes dans d’autres pays. Ainsi, il y a quelques mois, nous n’aurions peut-être pas envisagé les choses de la même façon en Syrie, vu la position officielle de la France à l’époque. Dans un autre contexte, avec un autre gouvernement, d’autres décisions pourraient être prises, qui apparaîtraient moins justifiées. Une fois encore, soyons humbles, monsieur le ministre : les ministres finissent toujours, un jour ou l’autre, par être remplacés. Notre rôle, en tant que législateurs, est d’anticiper les choses, de manière à sécuriser le dispositif. C’est pourquoi je me suis permis ce développement, certes un peu long.

Le présent amendement a, tout comme le précédent et comme le suivant, pour seul but de clarifier les choses au maximum, afin de laisser le moins de place possible au doute et d’éviter de fragiliser la décision qui sera prise.

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