Intervention de éric Brac de la Perrière

Réunion du 11 septembre 2014 à 11h00
Délégation aux outre-mer

éric Brac de la Perrière, directeur général de la société Eco-emballages :

Notre entreprise est entièrement privée et travaille uniquement en vue de l'intérêt général. Elle résulte d'une innovation politique, sociale et environnementale datant de 1992, consistant à confier aux entreprises mettant sur le marché des produits emballés, la gestion et le financement de la fin de vie des emballages.

L'enjeu est de permettre à tous d'avoir le même droit au tri et une solution simple, proche, peu coûteuse et efficace pour ne pas polluer. Depuis vingt ans, Eco-emballages est très présente dans les DOM-COM. Alors que 34 pays européens ont des éco-organismes comme le nôtre, nous sommes une véritable vigie pour voir ce qui fonctionne. Notre maître-mot est l'efficacité environnementale. Nous sommes constamment dans l'action et l'expérimentation nous permet d'avoir un point de vue assez tranché en la matière.

Nous avons 217 collaborateurs et 650 millions d'euros de chiffre d'affaires venant entièrement des entreprises mettant sur le marché des produits de grande consommation. 96 % de cette somme sont reversés aux collectivités locales chaque année. Nous sommes agréés par l'État tous les six ans. Près de 4 milliards d'euros seront ainsi investis dans les six prochaines années pour le recyclage et créer de l'économie circulaire locale.

Plus de 90 % des déchets d'emballage sont recyclés à la maille nationale. D'autres pays ont fait d'autres choix en envoyant les déchets en Inde ou en Chine, alors que la France a choisi une option courageuse, consistant à créer un maillage de petites entreprises et de grands groupes internationaux recyclant les déchets sur place.

C'est un enjeu majeur pour les DOM-COM de s'appuyer sur une économie circulaire, sans avoir au bout de la circularité un transport apportant de la valeur ajoutée ailleurs.

Aujourd'hui, 90 % de la population ultramarine est couverte par un pourvoi apporté par Eco-emballages et les collectivités.

Nous avons un dispositif financé par notre société reposant sur des contrats avec des collectivités locales, qui mettent en oeuvre avec nos financements toute une série d'actions pour réaliser le recyclage – de l'information à l'éco-éducation, à la collecte et au tri jusqu'au recyclage proprement dit.

Mais à Mayotte et en Guyane, les collectivités nous ont demandé de pourvoir à leur place au dispositif de collecte et de tri, sachant que dans un délai de six à douze ans, nous leur en redonnerons la gestion. Pour Mayotte notamment, nous avons décidé de ne pas attendre que toute la mise en place d'infrastructures et institutionnelle soit effective pour agir. Nous nous retrouvons donc en tant que donneur d'ordre vis-à-vis d'infrastructures, d'associations ou d'entreprises. Nous avons ainsi 100 000 personnes dans ce département, soit la moitié de la population, couvertes par un dispositif de tri. En outre, nous avons choisi une formule expérimentale de collecte séparée par flux du verre, du plastique et des métaux pour éviter un centre de tri.

En 2013, nous avons recyclé 27 000 tonnes dans les DOM-COM. Ce montant est en croissance mais ne représente que 21 % de taux de recyclage, contre 67 % en métropole, soit 16 kilos par habitant et par an, contre 46 kilos en moyenne en France.

Nous avons versé depuis 2001 40 millions d'euros à cet effet. J'ai pris la décision de doubler nos financements lors du dernier barème, il y a trois ans, pour essayer de relancer l'information, la communication, la collecte, le tri et le recyclage.

Cette augmentation était conditionnée à un accroissement du nombre de tonnes recyclées. Les financements doivent en effet diminuer au fil du temps et être remplacés par un financement lié au tonnage recyclé. Malheureusement, le tonnage escompté n'est pas au rendez-vous et si nous continuons ainsi, nous risquons de voir les financements diminuer. Car Eco-emballages est un système toujours lié à l'efficacité – sachant que le financement de chaque tonne couvre les frais de communication, de la collecte, du tri, du recyclage et du transport.

Nous avons travaillé avec les services de l'État, les associations et les élus pour faire en sorte qu'on ne paye plus tout de suite 100 tonnes et que, petit à petit, des financements réglés d'avance soient remplacés par des financements payés sur facture de recyclage. On ne peut donc pas dire que cela a marché ou n'a pas marché.

Nous nous interrogeons pour savoir comment relancer le dispositif, notamment en Guadeloupe et Martinique, où l'on est à 8 kilos par an et par habitant, contre plus de 20 kilos à la Réunion. En Guyane, nous démarrons, avec du pourvoi et de la collecte sélective classique, et nous venons de lancer le recyclage du verre à Saint-Pierre-et-Miquelon, où les résultats dépasseraient ceux de la métropole.

Nous avons également installé dans ces deux dernières collectivités et sur cinq sites dans les DOM-COM des systèmes nous permettant de recycler localement le verre notamment, grâce à un broyeur à verre. Le verre broyé est réinjecté dans diverses applications comme les sous-couches routières ou des filtres à piscine. À la Réunion, au contraire, les 7 000 tonnes de verre recyclées sont transportées en Afrique du Sud.

Nous sommes inquiets sur la capacité de beaucoup de collectivités à passer à une véritable économie circulaire. Comme on n'arrive pas à massifier les matériaux, on ne peut créer les industries locales permettant de « faire tourner la machine ».

Ainsi, en Martinique, environ 1000 tonnes de PET sont récupérées, servant par exemple à fabriquer des bouteilles d'eau en plastique. Or une usine a la capacité de récupérer ce PET et de fabriquer des préformes de bouteilles avec. Mais elle ne peut aujourd'hui fonctionner avec les bouteilles d'eau consommées par les Martiniquais et elle est obligée d'importer du plastique de la métropole, du Mexique ou d'Haïti.

Pour moi, cela ne peut durer : un investissement a été financé notamment par l'Europe et la région, avec à la clé 5 emplois effectifs et 30 potentiels. Or le gisement de bouteilles n'est pas assez collecté et trié pour nourrir cette usine locale. Si cela continue ainsi, elle ne pourra pas fonctionner.

De même, nous avons en Guadeloupe des perspectives de récupérer le carton pour faire des litières pour l'industrie volaillère. Mais les granulés utilisés en sous-couche, qui valent entre 800 et 1 000 euros la tonne, sont importés alors qu'on pourrait les produire localement pour un coût de 300 à 500 euros la tonne. Nous avons donc lancé un appel à projet pour évaluer ce dispositif. Si cela marchait, les Martiniquais et les Guadeloupéens sauraient que leurs gestes de tri créent de l'industrie et de l'emploi.

Je rappelle que le geste de tri est le premier geste environnemental des Français, mais ils se posent deux questions à cet égard : les déchets sont-ils recyclés ? Combien cela coûte-t-il ? Avoir des réponses locales à ces questions me paraît essentiel pour le développement de l'économie circulaire dans les DOM-COM.

Après trois ans d'expérimentation de ce dispositif de surfinancement, nous avons décidé d'investir encore. Conscients des difficultés rencontrées par les collectivités, nous avons proposé à l'État d'élaborer un plan de relance, que ce soit dans les DOM-COM ou en métropole.

Nous souhaitons investir davantage dans les villes car on y trie deux fois moins que dans les zones pavillonnaires ou les campagnes. Nous avons en outre décidé d'investir 4 millions d'euros de plus sur deux ans dans des moyens de collecte et de sensibilisation dans les DOM-COM, où toutes les collectivités ont la possibilité de répondre à notre appel à projet. En métropole au contraire, nous avons ciblé des collectivités ayant de faibles performances pour ne pas saupoudrer les financements. Des villes du sud arrivent en effet à obtenir entre 3 et 5 euros par an et par habitant contre 17 euros dans des villes de l'ouest.

Dès qu'on entre dans un processus d'optimisation et de récupération de plus de tonnage, la rémunération de la collectivité devient exponentielle. Si, en métropole, nous souhaitons que les collectivités soient davantage aidées à cette fin, nous lierons les financements à des actions précises et efficaces. Tel est le but de notre plan de relance de la collecte sur les territoires.

Dans les DOM-COM, nous souhaitons aussi faire, parallèlement avec les collectivités, des expérimentations concernant d'autres acteurs futurs de la collecte – laquelle doit prioritairement être accrue. Nous voulons également développer des appels à projet concernant le secteur de la distribution ou des associations, quelles qu'elles soient.

Le geste de tri permet de développer la citoyenneté. Toutes nos études montrent que lorsque quelqu'un tri, il ne jette plus de papier par terre. Nous allons donc investir dans des actions de sensibilisation, notamment au travers des associations, et j'espère que les collectivités locales et les autres acteurs répondront à nos appels à projet.

Cela dit, il faut peut-être revoir les dispositifs de collecte dans les DOM-COM. On s'aperçoit que les systèmes d'apport volontaire ne sont pas beaucoup plus performants que les systèmes de porte à porte. Si ces derniers sont nettement plus onéreux, il n'y a pas beaucoup de différence entre les deux en termes de tonnage. Nous essaierons donc de mettre en place des systèmes d'apport volontaire au plus près possible des habitants, avec un container pour 400 habitants. Si on augmentait ce nombre, on risquerait en effet de perdre des consommateurs. Le but d'Eco-emballages est de disposer d'études et de savoir-faire des collectivités locales pour être sûr que ce que l'on va mettre en place sert le consommateur et le citoyen à un coût acceptable, sachant que si on réduit les coûts, la collectivité a moins de charges et si on augmente les tonnes, elle a plus de revenus.

Les quelques secondes que l'on prend à trier déterminent soit une perte d'argent, soit un gain financier, mais aussi du point de vue environnemental, social et de l'emploi. Beaucoup de pays émergents ont d'ailleurs mis en place des systèmes informels de récupération des emballages pour gagner de l'argent. Nous pensons qu'avec les élus des DOM-COM, la collecte sélective peut devenir le socle de l'économie circulaire.

S'agissant du projet de loi, concernant le titre IV, nous souhaitons faire partager notre approche dans les DOM-COM et avancer des propositions. Je crois beaucoup au développement d'une économie circulaire indépendante, confiée à des entrepreneurs, dans laquelle la création de nouveaux matériaux sert à l'industrie locale.

Au sujet de l'article 19, nous sommes tout à fait favorables à des objectifs de valorisation de matière, qui aideront les collectivités à atteindre l'objectif de 75 % de recyclage des emballages, de même qu'à l'objectif de réduction des quantités mises en décharge. La mise en décharge n'apporte pas aujourd'hui de solution durable et le geste de tri développant l'éducation à l'environnement et à la citoyenneté est cohérent avec les objectifs politiques des DOM-COM.

Nous sommes aussi entièrement favorables à la création de combustibles de récupération – le dispositif SCR nous permettrait d'avoir un accès à l'énergie – ainsi qu'à l'objectif national de 15 millions d'habitants pour la tarification incitative, car cela développe le geste de tri et contribue à revoir les dispositifs de collecte. On a en effet beaucoup de mal à voir s'appliquer cette tarification prévue par la loi.

En outre, nous sommes pour des dispositifs de consigne, à partir du moment où ils sont étudiés et où ils ont un résultat positif pour l'environnement et la récupération des tonnes. Alors que la consigne marche très bien en Allemagne avec par exemple les fabricants de bière locale, si, en France, le système de consigne conduit aux transporteurs à produire des tonnes de CO2, il ne sert à rien.

Si nous sommes favorables au principe de proximité, il faut être conscient qu'il ne pourra pas y avoir de recyclage des métaux dans les DOM-COM, faute d'aciérie sur leur sol – ce qui suppose de trouver une solution ad hoc par territoire. Ce principe doit aussi tenir compte de l'atteinte des objectifs de tonnage pour que les industries puissent être pérennes.

Je crois beaucoup que les DOM-COM développeront des systèmes propres de recyclage, mais pas des solutions toutes faites venant de métropole. L'installation de très gros centres de tri dans les DOM-COM coûterait ainsi très cher en investissement et en opérations alors que des infrastructures plus petites permettraient de mieux répondre aux besoins locaux. Il faut mettre en place des dispositifs et des infrastructures ayant un rendement suffisant, que les habitants puissent constater.

Quant à l'article 21, nous n'avons pas bien compris son contenu.

Nous avons lancé sept appels à projet dans les DOM-COM pour faire du recyclage local à partir d'une étude réalisée dans tous les pays émergents pour essayer de cerner les possibilités de recyclage simples, sans gros investissements.

S'agissant de la prévention, je rappelle que le rôle d'Eco-emballages est la promotion du geste de tri et la réduction des erreurs de tri, qui coûtent 50 millions d'euros par an. Mais la prévention dans la consommation n'est pas dans nos responsabilités.

En conclusion, nous souhaitons ouvrir la collecte à tous les acteurs locaux – collectivités, associations ou entreprises. Nous avons quatre emplois à temps plein et cinq personnes à mi-temps travaillant dans les DOM-COM : nous y sommes donc fortement implantés et voulons nous y développer. La clé de la réussite du tri dans ces collectivités repose sur l'implication des élus, qui en général ne le regrettent pas, car les habitants s'intéressent beaucoup à ces sujets.

Nous avons d'ailleurs un partenariat avec l'éducation nationale couvrant 11 000 écoles, avec des journaux tirés à 350 000 exemplaires sur le tri. Les demandes sont très importantes dans ce domaine et nous avons même créé un jeu pour les classes.

Il est en outre important de bien transmettre les bonnes pratiques pour réussir le tri sélectif et l'économie circulaire, car elles existent dans les DOM-COM. Cela peut permettre une forte augmentation des financements d'Eco-emballages et des autres éco-organismes et une nette réduction des coûts.

Nous sommes volontaires pour encadrer et former vos ambassadeurs de tri.

Quant à la radio, elle constitue un média efficace sur les questions d'environnement, plus que la télévision. De même, il vaut mieux développer l'apport volontaire que le porte à porte, celui-ci ne devant être retenu que si on est sûr qu'il permet d'augmenter les tonnages. Avec un maillage de conteneurs d'apport volontaire qui n'excède pas 400 à 600 habitants, et un apport volontaire géré, suivi, collecté et propre.

Il est certain que, si l'apport volontaire se résume à créer une mini-déchetterie, voire une mini-décharge, autour du conteneur d'apport volontaire, et que cela n'est pas nettoyé, l'habitant ne s'y rendra plus car il sera dégoûté ; il se dira que son geste de tri salit, alors même que c'est, en principe, un geste propre. Il est donc très important, une fois les infrastructures en place, que leur entretien soit assuré. Cela repose sur les consignes données aux organisations : elles sont fondamentales dans les DOM-COM.

Le tri et la collecte, dans ces territoires, doivent être sanctuarisés comme quelque chose dont les gens soient fiers. Le Costa Rica est un pays émergent tout à fait étonnant qui a décidé de considérer le tri et la collecte comme un élément parmi les plus forts de son attraction touristique ; ces gestes y sont vraiment mis en valeur. C'est un état d'esprit, une culture que nous souhaitons développer avec vous. Il y a déjà de très bons résultats, et je crois que ce que vous allez faire avec l'économie circulaire est fondamental. Le sujet de l'économie circulaire est très précis, pragmatique et direct dès lors qu'il est lié à la collecte sélective ; ce ne sont pas de grandes idées, mais quelque chose de très concret, et je vous engage à adopter, avec Éco-emballages comme partenaire, un agenda court : dans certains cas, en moins de dix-huit mois on peut bâtir des solutions qui prouvent que l'économie circulaire est efficace dans les DOM-COM.

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