Intervention de Christian Paul

Séance en hémicycle du 17 septembre 2014 à 15h00
Lutte contre le terrorisme — Article 4

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristian Paul :

Monsieur le ministre, il relève de votre responsabilité quotidienne, en dirigeant l’action des services de police mais aussi en nous présentant ce texte, de répondre aux mouvements terroristes par des réformes adaptées, modernes et efficaces. Il n’y a pas, au sein de l’Assemblée, de débat sur la nature des menaces terroristes en général, sur l’émergence de menaces d’un type nouveau qui atteignent des niveaux de barbarie sans précédent, en tout cas dans la période récente.

Comme toujours, face à de tels faits, la difficulté pour les démocraties est de se défendre efficacement, de façon ciblée, rapide, réactive, et de trouver des solutions qui n’affectent pas les libertés que nous souhaitons par ailleurs défendre dans notre pays.

L’article 4 pose deux problèmes. Le premier concerne la sortie de la loi de 1881, loi essentielle de notre République, l’une de celles qui, prise sous la IIIe République, ont résisté à de nombreux mouvements terroristes, à des actes de barbarie, voire à des délires incantatoires comme les démocraties et notre peuple les entendent parfois. Avant d’extraire de cette loi des faits d’incitation ou d’apologie du terrorisme, il serait très important d’en démontrer la nécessité. Or, je n’ai rien entendu de tel, en tout cas pour ce qui concerne l’apologie. Non pas, évidemment, que l’apologie du terrorisme ne puisse être condamnée mais peut-être la loi de 1881 serait-elle suffisante pour la réprimer lorsque c’est nécessaire. La question se pose, en tout cas.

Je soulèverai une deuxième question, cette fois au titre de la commission du droit et des libertés à l’âge numérique, voulue par le président de notre assemblée. C’est celle des circonstances aggravantes. Il est essentiel que la volonté d’agir contre le terrorisme, que je soutiens bien évidemment, ne soit pas obscurcie, non pas par vos propos, monsieur le ministre – je n’ai rien entendu de tel – mais par une sorte de diabolisation voire une croisade contre les réseaux numériques que l’on entend parfois dans les débats publics, au sein de cette assemblée ou ailleurs.

J’entends dire que les réseaux sociaux, les sites, les réseaux numériques contribuent, bien évidemment, à la diffusion de propos, d’images et de thèses mais cette diffusion peut se faire par d’autres supports : des livres, des tracts, des chaînes de télévision, qu’elles soient hertziennes ou numériques. S’il faut aggraver les peines, réfléchissons-y, mais créer des circonstances aggravantes quand il s’agit d’internet peut sembler procéder d’une simplification de la réalité. Je comprends bien que l’effet d’amplification que l’on prête à internet justifie cette circonstance aggravante mais entre un blog consulté par quelques dizaines d’internautes et une émission de télévision à une heure de grande écoute, où est l’effet amplificateur ?

Je défendrai l’idée dominante qui s’est dégagée au sein de la commission du droit et des libertés à l’âge numérique : supprimer cette circonstance aggravante, quitte à élever le niveau des peines pour l’ensemble des supports, de façon à faire preuve de la fermeté nécessaire sans pour autant se tromper de procédé.

Rappelons par ailleurs une décision du Conseil constitutionnel de 2006, dans un domaine moins sensible mais qui avait fait couler beaucoup d’encre. Le Conseil avait estimé qu’une disposition méconnaissait le principe d’égalité devant la loi pénale en créant une différence de traitement injustifiée entre les personnes. La décision concernait le droit d’auteur, sujet qui n’a pas le même caractère sensible et ne réclame pas de la puissance publique la même attitude, j’en conviens très volontiers. Mais enfin, c’est une question de neutralité technologique.

J’ai lu récemment dans la presse que cet hémicycle compterait, d’une part, des députés conscients de la menace mais ignorants de l’internet, et d’autre part, des techniciens de l’internet qui seraient ignorants de la menace. Cette différence n’a pas lieu d’être et il serait nécessaire d’élever le niveau de compréhension pour chacun de la menace mais également celui de tous quant aux principes qui doivent régir l’action numérique et la nécessité de préserver les libertés. Ces deux enjeux ne me semblent pas contradictoires, il faut simplement travailler en finesse pour rendre compatibles ces deux objectifs, que je ne confonds pas. Je sais, monsieur le ministre, combien votre tâche est difficile et je connais le sérieux et la fermeté de votre engagement mais il revient au Parlement de trouver des solutions adaptées, modernes, avec la fermeté nécessaire, tout en évitant quelques impacts systémiques qui pourraient se renouveler dans d’autres domaines, ce qui serait fâcheux. Nous pouvons améliorer ce texte en l’amendant et, le moment venu, l’adopter.

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