Intervention de Corinne Erhel

Séance en hémicycle du 17 septembre 2014 à 21h30
Lutte contre le terrorisme — Article 9

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCorinne Erhel :

Je partage pleinement l’objectif de lutte contre le terrorisme. Cependant l’article 9 suscite de nombreuses questions – et nous avons été un certain nombre à vous en faire part – dans l’hémicycle ainsi qu’au sein de la société. Animée par un souci d’efficacité quant à l’applicabilité des mesures proposées, j’ai soulevé certaines de ces questions dans un rapport co-rédigé avec ma collègue Laure de la Raudière il y a trois ans. Nous y abordions la problématique de la neutralité de l’internet en insistant particulièrement sur les techniques de blocage de sites internet. C’est désormais un thème récurrent, et l’on ne pourra pas nous reprocher de ne pas être constants dans nos propos.

Il faut d’abord s’interroger sur la justification technique des mesures de blocage, sur leur efficacité réelle quant à la cible visée et sur les effets pervers qu’elles peuvent engendrer. Cette première interrogation est partagée par de nombreux experts dans le cadre du Conseil national du numérique, de la commission de réflexion sur le droit et les libertés à l’âge numérique – commission créée par l’Assemblée nationale voilà quelques mois – et par bon nombre d’acteurs du numérique et d’experts en sécurité.

Les différents dispositifs de blocage – par adresse IP, nom de domaine ou URL – sont complexes à mettre en oeuvre. Ils ne sont pas neutres et facilement contournables tant par les éditeurs que par les internautes. Les techniques d’anonymisation, de contournement ne sont pas si difficiles à utiliser et entraînent un certain nombre d’effets indésirables.

Les dispositifs de blocage peuvent générer du surblocage sur des sites qui ne sont pas concernés par la procédure de blocage et présenter une menace pour la résilience du réseau.

Par ailleurs, on s’en tient souvent, lorsqu’on évoque le nombre des opérateurs et fournisseurs d’accès à l’internet, aux quatre grands opérateurs. Or, il en existe d’autres, plus petits. Comment appliquer alors cette mesure, toujours dans un souci d’efficacité, d’une manière coordonnée, tout en conservant une certaine confidentialité sur les sites visés ?

La deuxième question, sur laquelle nous avons été nombreux à réagir, porte sur le recours préalable au juge judiciaire dans le cadre d’une procédure contradictoire. Cette question a notamment été soulevée par M. Christian Paul dans le cadre de la commission sur les droits et les libertés à l’ère du numérique. Il est proposé d’évaluer l’opportunité de désigner un juge spécialisé, habilité à traiter de ces questions et de ces plaintes, et d’instaurer la possibilité pour l’autorité administrative de saisir le juge des référés en cas de contenu manifestement odieux. Si j’ai bien compris – et vous m’indiquerez, je l’espère, s’il s’agit d’un élément important –, il peut s’agir de pouvoir convoquer rapidement les personnes concernées dans le cadre d’une procédure contradictoire.

Par ailleurs, l’espace complexe qu’est l’internet est aussi un espace fragile, qui repose sur la confiance. Cette valeur est en effet le fondement du numérique et du fonctionnement des réseaux, ainsi que de la communauté qui se construit autour de l’internet. Il nous faut donc – et c’est le fond du débat que nous avons eu jusqu’à présent – gérer l’équilibre entre les impératifs liés respectivement à la sécurité et aux droits fondamentaux.

Quant aux questions liées au blocage de sites, questions récurrentes qui apparaissent dans de nombreux textes de loi, elles se posent avec une acuité particulière à propos du texte que nous examinons. Le thème avait également été abordé lors de l’examen du texte relatif à la prostitution – Catherine Coutelle en parlera certainement. Comment, dans ce contexte, peut-on atteindre une objectivité quant aux données relatives au blocage ? De fait, on assiste parfois à un dialogue de sourds entre ceux qui affirment que les mesures de blocage administratif sont efficaces et ceux qui, comme nous, s’interrogent sur cette efficacité. Il importe de s’écouter et d’objectiver les données en vue d’atteindre la plus grande efficacité possible tout en évitant les éventuels effets pervers.

Il faut, enfin, s’interroger sur l’acceptabilité de ce dispositif au sein de la société et trouver à cet égard un point d’équilibre sans sacrifier l’efficacité.

Voilà trois ans que nous posons ces questions, aussi calmement que possible.

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