Intervention de Didier Migaud

Réunion du 17 septembre 2014 à 17h00
Commission des affaires sociales

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

Ce rapport est élaboré par la Cour au titre de sa mission constitutionnelle d'assistance au Parlement et au Gouvernement. Il est destiné à accompagner le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015.

La sécurité sociale est un élément majeur du pacte républicain et la garante de la cohésion sociale de notre pays. Mais c'est un acquis fragilisé par des déficits permanents depuis 2002. Ces cinq dernières années, la sécurité sociale a accumulé un déficit équivalent à une année de dépenses de la branche vieillesse ou deux années de dépenses de la branche famille. Cette accumulation de déficits alimente la dette sociale, dont l'encours financier atteint désormais 157 milliards d'euros, soit près de huit points de PIB, et a continué d'augmenter en 2013. La charge annuelle de cette dette mobilise plus de 15 milliards d'euros de prélèvements obligatoires, soit une année et demie d'indemnités journalières.

Préserver la sécurité sociale est une priorité qui exige des choix collectifs forts. Ces choix relèvent naturellement de la responsabilité des pouvoirs publics et, au premier chef, des représentants du suffrage universel, en fonction des objectifs et priorités qu'ils définissent. Pour sa part, la Cour s'efforce d'éclairer les champs d'action possibles, d'ouvrir des pistes, de montrer qu'à tous les niveaux, des économies sont envisageables sans remise en cause des principes qui ont présidé à la création de la sécurité sociale.

Notre rapport analyse la situation et les perspectives des finances sociales et met sur la table de nouvelles propositions. J'ai auprès de moi, pour vous les présenter, M. Antoine Durrleman, président de la 6e chambre de la Cour, qui a préparé ce rapport, M. Henri Paul, président de chambre et rapporteur général de la Cour, M. Noël Diricq, conseiller maître, rapporteur général de ce rapport, et M. Mathieu Gatineau, auditeur et rapporteur général adjoint. J'exprime également toute ma reconnaissance aux nombreux autres rapporteurs qui ont contribué à ce travail.

Cette année, la Cour formule trois messages principaux. D'abord, la situation des comptes sociaux reste préoccupante. Cela conduit la Cour à identifier plusieurs pistes d'amélioration du pilotage de notre protection sociale. Enfin, la maîtrise des dépenses est le principal levier à actionner.

En premier lieu, malgré les efforts, la situation des comptes sociaux reste fortement préoccupante. Trois constats s'imposent : en 2013, la réduction des déficits a été moins importante que prévu et a eu tendance à marquer le pas ; en 2014, cette réduction devrait être encore plus limitée ; pour 2015 à 2017, la trajectoire de redressement annoncée est devenue très incertaine.

En 2013, le déficit total des régimes obligatoires de base et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) s'est élevé à 16 milliards d'euros. La Cour constate heureusement une sensible diminution depuis le déficit historique de 2010. En réalité, cette diminution n'a été ni aussi grande ni aussi rapide que prévu. Depuis 2010, le rythme de réduction a même chaque année davantage ralenti : 7 milliards en 2011, 3,5 milliards en 2012 et 3,1 milliards en 2013.

Deux observations permettent de mesurer l'ampleur du chemin qui reste à parcourir : deux branches sur quatre du régime général – la branche maladie et la branche famille – voient leurs déficits aggravés ; la réduction du déficit repose majoritairement sur l'apport de recettes nouvelles, alors que le rythme de progression des charges du régime général (2,7 %) reste très supérieur à celui du PIB en valeur (1,1 %) et à celui de la masse salariale (1,2 %).

Cette situation n'est pas seulement due à la conjoncture économique : le déficit en 2013 est, en réalité, en majeure partie indépendant de la conjoncture. En effet, et comme c'est le cas depuis 2001, dernière année où la sécurité sociale a été en équilibre, le déficit des comptes sociaux est principalement d'origine structurelle. Cette composante structurelle peut être estimée à près des trois cinquièmes du déficit total du régime général et du FSV, soit 8,7 milliards d'euros sur 15,4 milliards.

Notre pays continue donc de tolérer un niveau élevé et durable de déficit structurel des comptes sociaux, alors que cette situation ne se retrouve pas chez nos grands voisins européens. À l'échelle de la zone euro, les comptes de l'ensemble des administrations sociales sont à l'équilibre sur les trois dernières années. Seuls l'Espagne et les Pays-Bas présentaient en 2013 un besoin de financement des administrations sociales supérieur à la France.

Cette situation est d'autant plus inquiétante que 2014 ne devrait pas connaître d'amélioration dans le rythme de diminution du déficit. La baisse du déficit devrait ralentir à nouveau et plus fortement encore qu'attendu initialement. En effet, la loi de financement pour 2014 prévoyait une nouvelle étape limitée de réduction de 2,8 milliards d'euros par rapport à 2013. Cette réduction reposait encore majoritairement sur l'apport de recettes supplémentaires, à hauteur de 5,8 milliards d'euros.

La dégradation de la situation économique a conduit les pouvoirs publics à réviser la prévision de déficit en la portant de 13,2 milliards d'euros à 13,6 milliards, soit une baisse de 2,4 milliards au lieu des 2,8 initialement prévus. Mais cette nouvelle prévision est fragilisée par les dernières hypothèses économiques retenues par le Gouvernement la semaine dernière : en effet, la croissance du PIB a été revue à la baisse de 0,6 point, à 0,4 %, et la prévision d'inflation diminuée de 0,6 point, à 0,5 %. La réalisation de ces prévisions devrait aggraver le déficit du régime général et du FSV.

La révision des hypothèses macroéconomiques rend plus incertaine encore la trajectoire, déjà très fragile, de redressement des comptes sociaux sur la période 2015-2017. La loi de financement rectificative avait pour ambition un retour à l'équilibre en 2017 et prévoyait un quasi-doublement du rythme de réduction des déficits par rapport à la période triennale précédente. Les prévisions de recettes dépendaient d'un scénario de forte accélération de la croissance du PIB et de la masse salariale. Le rythme d'augmentation des dépenses ne devait être que peu modifié.

Depuis lors, l'hypothèse de croissance a été révisée à la baisse sur les deux années 2014 et 2015. Le rapport illustre les conséquences d'une dégradation des hypothèses économiques : une moindre progression de la masse salariale en 2014 et en 2015 aggraverait le déficit de la sécurité sociale jusqu'en 2017.

Pour rétablir l'équilibre des comptes, le pilotage des finances sociales doit fortement gagner en efficacité et en fermeté. C'est là notre deuxième message.

La cohérence du cadre d'ensemble et la solidité des outils de régulation qui lui sont associés constituent une condition déterminante du retour à l'équilibre des comptes sociaux. Près de dix ans après leur dernière réforme, la Cour a particulièrement analysé l'apport et les limites à cet égard des lois de financement de la sécurité sociale. Dans le nouveau contexte de gouvernance des finances publiques, l'instrument a vieilli.

Pour renforcer sa contribution à la maîtrise des dépenses sociales, la Cour suggère plusieurs pistes.

D'abord, le Parlement pourrait adopter chaque année une « loi de protection sociale obligatoire » étendue aux régimes sociaux conventionnels – assurance chômage et régimes de retraite complémentaire obligatoires. Ensuite, l'effort devrait se concentrer sur la composante structurelle des soldes. L'accent devrait, en outre, être mis beaucoup plus fortement sur la dimension pluriannuelle des objectifs de dépenses. Enfin, les possibilités de contrôle et d'orientation du Parlement peuvent être améliorées par l'institution d'une loi de résultat.

Le renforcement des instruments de maîtrise de la dépense portés par les lois de financement apparaît aussi nécessaire, tout particulièrement en matière d'assurance maladie. Le périmètre de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie, l'ONDAM, serait ainsi à élargir aux dépenses qu'il ne couvre pas et qui représentent plus de 10 % de la dépense totale d'assurance maladie. Le seuil de déclenchement du mécanisme d'alerte devrait être sensiblement abaissé.

Le redressement des comptes sociaux doit, en outre, être servi par une amélioration de la qualité des prévisions financières intégrées aux lois de financement de la sécurité sociale. Cet enjeu de fiabilité est absolument majeur, sauf à risquer de mettre en cause la sincérité même des lois de financement de la sécurité sociale.

La Cour a procédé à une analyse approfondie des modalités d'élaboration de l'ONDAM 2013. Elle met en lumière les indispensables progrès de méthode à réaliser pour rendre beaucoup plus rigoureuse sa construction. Sans ces progrès, son rôle de régulation de la dépense va continuer à s'affaiblir. De multiples biais de construction aux différentes étapes se superposent, en effet, et finissent par constituer des « coussins d'air » qui atténuent la discipline imposée.

Ces biais avaient déjà été relevés par la Cour l'an dernier, quand elle avait examiné le mode de construction de l'ONDAM hospitalier. Ils apparaissent particulièrement marqués dans l'élaboration de l'objectif de dépenses relatif aux soins de ville, expertisée en détail cette année. Avec une base surestimée et une progression de la dépense surévaluée, l'ONDAM ville a été de plus en plus sous-exécuté depuis 2010, mais sans effort particulier. En effet, les économies ont été moindres en 2013 qu'en 2012, et le rythme d'augmentation de la dépense n'a pas diminué et est resté supérieur à l'évolution du PIB.

Cette situation donne le sentiment que la maîtrise des dépenses est plus prononcée qu'elle ne l'est réellement. Elle ne permet pas aux patients et aux professionnels de santé de prendre la mesure véritable des enjeux. Elle laisse à penser que l'effort peut être différé, alors qu'il requiert l'implication de tous.

Or, justement, les projets régionaux de santé élaborés par les agences régionales de santé (ARS) n'ont pas débouché sur une démarche qui permette de dépasser les cloisonnements traditionnels entre secteurs et entre acteurs, contrairement aux objectifs fixés. Ils n'ont pas davantage permis de construire des parcours de soins fluides entre médecine de ville, hôpital, institutions médico-sociales, comme la Cour l'a constaté au travers de problématiques telles que l'obésité ou les accidents vasculaires cérébraux. Leur architecture particulièrement complexe, leur lourdeur d'élaboration, la superposition des objectifs en ont fait un cadre peu opérationnel. Si des évolutions fortes n'intervenaient pas rapidement, le risque serait grand de mettre en question la valeur ajoutée des nouvelles agences par rapport aux institutions qu'elles ont remplacées.

Le déséquilibre de l'assurance maladie, qui s'est creusé à nouveau en 2013 et qui reste la principale source de déficit de la sécurité sociale, exige au contraire de mobiliser plus activement et plus résolument les marges d'efficience et d'économies que recèle notre système de soins, et qui sont très importantes.

Si le redressement des comptes de l'assurance maladie est un impératif premier, il ne saurait différer les efforts indispensables à consentir dans d'autres domaines, en particulier ceux des retraites et de la gestion des organismes sociaux. Après avoir examiné, l'an dernier, les régimes de retraite des exploitants agricoles et des professions libérales, la Cour s'est intéressée cette année à ceux des artisans et des commerçants. Leur régime complémentaire, unifié dans de bonnes conditions, ne pose pas de problème de soutenabilité. Il n'en va pas de même pour les deux régimes de retraite de base. En raison d'un ratio démographique de plus en plus défavorable, ceux-ci présentent un solde financier fortement négatif de près de 3 milliards d'euros, qui devrait encore se dégrader à moyen terme.

Leur situation préoccupante est cependant masquée par l'attribution d'une partie des produits de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S). La suppression en trois ans de cette contribution, par la récente loi de financement rectificative, s'accompagnera d'une intégration financière complète au régime général. Cela aura pour conséquence de rendre visible ce déficit et supposera de compenser, dans la durée, son aggravation continue. Pour ne pas avoir à recourir à des ressources nouvelles, à faire supporter aux salariés le déséquilibre ou à alourdir la dette sociale, il conviendrait d'envisager une contribution plus grande de la part des artisans et des commerçants. Leur effort reste, en effet, inférieur à celui des salariés, parfois du fait de capacités contributives moindres, mais parfois aussi du fait d'une sous-déclaration de leurs revenus.

La gestion des organismes de sécurité sociale doit, pour sa part, être davantage orientée vers des objectifs de productivité, comme la Cour l'illustre régulièrement. Elle apporte cette année trois éclairages complémentaires sur ce sujet.

Premièrement, après son enquête consacrée en 2011 à la réorganisation de la mutualité sociale agricole (MSA), la Cour a examiné l'évolution du réseau du régime social des indépendants. Créé à la suite de l'importante réorganisation qui a pris effet au 1er juillet 2006, ce régime a regroupé trois réseaux distincts. Cette fusion ambitieuse et rapide s'est traduite par une restructuration qui n'a pas enclenché de dynamique de gains de productivité. Une démarche plus forte de réorganisation est désormais indispensable pour dépasser les limites liées à la faible dimension des nouvelles caisses et à la mise en place de l'interlocuteur social unique, déjà analysée par la Cour en 2012.

Deuxièmement, le recouvrement social en Corse devrait gagner en qualité – c'est un euphémisme –, notamment pour la mutualité sociale agricole et le régime social des indépendants. La restauration de la crédibilité du recouvrement en Corse passe notamment par des mutualisations accrues et une relance déterminée du recouvrement contentieux. Elle doit être soutenue sans faiblesse par les autorités publiques, dans un contexte où le consentement à payer apparaît fortement érodé.

Troisièmement, la Cour a examiné la gestion des agents de direction des organismes de sécurité sociale. Ceux-ci doivent jouer, par les fonctions d'encadrement supérieur qu'ils ont vocation à occuper, un rôle majeur pour leur modernisation. La situation actuelle n'est pas encore à la mesure des enjeux. Elle appelle, au-delà des réformes récemment intervenues, une vision plus dynamique et plus ambitieuse.

Le troisième message de la Cour, c'est que la stratégie du rééquilibrage des comptes passe avant tout par un effort accru de maîtrise de la dépense. En effet, la voie d'un retour à l'équilibre par un effort portant d'abord sur les recettes trouve aujourd'hui des limites évidentes, tant en termes d'impact économique que d'acceptabilité sociale.

Malgré des apports très considérables de ressources supplémentaires chaque année depuis 2012, le ralentissement continu du rythme de rééquilibrage des comptes sociaux, illustre la très grande sensibilité des recettes de la sécurité sociale à la situation économique. Des progrès importants d'efficience et d'équité restent toutefois possibles en matière de recettes, comme la Cour l'avait montré l'an dernier en examinant l'évolution des « niches sociales ». Dans la même perspective, elle a analysé cette année la lutte contre la fraude aux cotisations sociales. Cette dernière représente un enjeu d'une ampleur considérable mais largement sous-estimée, du fait en particulier du renouvellement rapide de ses formes. Selon une nouvelle étude réalisée par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) à la demande de la Cour, son montant pouvait être estimé de 20 à 25 milliards d'euros en 2012. Il s'agit d'un quasi-doublement en huit ans.

Cette estimation est à considérer avec précaution. En effet, le recouvrement de la totalité des sommes en cause n'est pas envisageable dès lors que certaines activités ne subsistent que du fait de la fraude. Mais cela montre qu'une lutte plus intense contre la fraude pourrait contribuer à l'amélioration des comptes sociaux : malgré les progrès accomplis par certains organismes, les résultats obtenus restent extrêmement modestes, avec un nombre de redressements et des montants recouvrés dérisoires. À tous égards, la lutte contre la fraude doit constituer une priorité nettement accrue en termes de modernisation des méthodes, d'élargissement du champ et de passage à une logique de résultats.

Toutefois, ainsi que la Cour l'a notamment exprimé dans son dernier rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, c'est en pesant plus fortement sur la dépense par des réformes structurelles que le redressement des comptes publics doit désormais s'affermir et s'accélérer. En particulier, et c'est là le message central de notre rapport, un effort nettement plus ambitieux de maîtrise des dépenses d'assurance maladie est possible sans mettre en cause la qualité des soins ou compromettre l'égalité d'accès au système de santé.

Il en est ainsi, par exemple, des dépenses de soins de ville, qui représentent 80 milliards d'euros, soit le premier poste de dépenses de l'assurance maladie. Un effort plus vigoureux dans ce domaine permettrait de dégager des économies importantes dans des secteurs autres que les transports sanitaires ou la biologie médicale, déjà mis en lumière par la Cour ces dernières années.

Encore faut-il que les conventions passées par l'assurance maladie avec les professions libérales de santé concourent beaucoup plus efficacement à l'objectif d'efficience de la dépense. Leur contribution à une meilleure répartition géographique des professionnels libéraux a été tardive et limitée, en particulier pour les médecins. Les dépassements tarifaires ont significativement augmenté et ne paraissent pas pouvoir être endigués par le récent « avenant n° 8 » à la convention médicale. L'élargissement du champ des conventions a entraîné des dépenses nouvelles, sous forme en particulier de rémunérations forfaitaires ou à la performance, sans que les obligations définies en contrepartie soient toujours à la hauteur des enjeux ni leurs résultats mesurables. La recherche de compromis fluctuant suivant les professions et les situations s'est faite au détriment de l'approche interprofessionnelle nécessaire à la construction de parcours de soins. La nécessaire réorientation des politiques conventionnelles passe par des négociations moins éclatées, recentrées sur les questions essentielles. Il s'agit en particulier de l'accès aux soins, qui suppose notamment d'élargir à toutes les professions, y compris les médecins, le principe d'un conventionnement conditionnel dans les zones en surdensité. Il s'agit aussi de la question centrale du retour à l'équilibre de l'assurance maladie.

L'absence de mobilisation de l'ensemble des professionnels de santé autour d'objectifs convergents explique notamment les retards persistants de la diffusion des médicaments génériques. Il s'agit pourtant d'un levier majeur de maîtrise de la dépense d'assurance maladie, à qualité de soins équivalente. Alors que la plupart des grands pays européens affichent des taux de pénétration des génériques très élevés, la France a des résultats encore trop modestes : en Allemagne et au Royaume-Uni, près de trois boîtes de médicaments remboursables sur quatre sont génériques, contre une sur trois seulement en France. Contrairement à ses voisins, la France n'a pas mobilisé l'ensemble des acteurs : le modèle actuel de diffusion des médicaments génériques, fondé presque exclusivement sur des incitations financières envers les pharmaciens, est non seulement à bout de souffle, mais aussi extrêmement coûteux. Pour deux euros d'économies, un euro est versé aux pharmaciens.

Une nouvelle approche s'impose, qui passe par une plus grande responsabilisation des médecins prescripteurs tout en améliorant fortement l'information des patients. Par ailleurs, les révisions des tarifs de ces médicaments doivent être réalisées plus énergiquement. Il conviendrait, enfin, d'augmenter la part des médicaments substituables et de supprimer à terme le mécanisme actuel de répertoire des médicaments génériques, qui limite artificiellement les possibilités de substitution. La Cour estime que l'ensemble de ces recommandations pourrait procurer jusqu'à 2 milliards d'euros par an d'économies à l'assurance maladie.

Des économies significatives peuvent aussi être attendues d'une gestion plus rigoureuse de la dépense liée aux dispositifs médicaux, soit plus de 80 000 produits d'une très grande diversité, allant des pansements aux fauteuils roulants. En ville, cette dépense a progressé trois fois plus vite que l'ONDAM entre 2000 et 2012, pour atteindre plus de 5 milliards d'euros à la charge de l'assurance maladie. Le vieillissement de la population, le développement du maintien à domicile, les évolutions épidémiologiques ou les progrès techniques ne suffisent pas à expliquer ce dynamisme très important. Cette catégorie de dépenses est, de fait, insuffisamment suivie et régulée par les pouvoirs publics, avec pour résultat des économies tardives et modestes. Selon des études de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) – et sous réserve d'expertises complémentaires concernant certaines conclusions – les tarifs de prise en charge de certains dispositifs seraient substantiellement supérieurs à ce qui peut être constaté à l'étranger.

Une gestion beaucoup plus active de ces dispositifs est possible, fondée sur une organisation repensée, des procédures simplifiées, des moyens renforcés et la recherche de baisses de prix plus ambitieuses, selon des priorités recentrées autour d'objectifs plus clairs. La baisse d'un point seulement du rythme de progression de la dépense – laquelle, je le précise, était de 6,3 % en moyenne entre 2000 et 2012 – permettrait de dégager une économie de 250 millions d'euros annuels, et ce dès 2017.

L'hôpital, qui représente plus de 75 milliards d'euros de dépenses d'assurance maladie, n'a jusqu'ici été soumis qu'à des contraintes relativement modestes et ne saurait être exonéré des efforts qui s'imposent déjà en matière de soins de ville. Des gains d'efficience de grande ampleur y sont possibles en reconsidérant des pratiques souvent « hospitalocentrées » et en redéfinissant l'articulation des prises en charge entre médecine de ville et hôpital. L'exemple de la chirurgie ambulatoire, étudié l'an dernier, le met en lumière. L'enjeu de cette réarticulation des prises en charge est pourtant majeur.

Les urgences hospitalières, que la Cour a examinées cette année dans le prolongement de son analyse, l'an dernier, de la permanence des soins en ville, en offrent une illustration. Elles ont enregistré en 2012 plus de 18 millions de passages, soit 30 % de plus en dix ans. Face à cette augmentation continue, la solution a été trop souvent recherchée dans la mobilisation d'importants moyens supplémentaires. Certes, des situations de tension persistent. Toutefois, y remédier ne suppose pas obligatoirement l'allocation de nouveaux financements, mais une meilleure définition de la place et du rôle des services d'urgence dans le système de soins. Un passage sur cinq n'a pas nécessité d'autre acte qu'une consultation, soit, en première analyse, de l'ordre de 3,6 millions de « passages évitables ». Leur réorientation vers la médecine ambulatoire pourrait se traduire par une moindre dépense dont l'ordre de grandeur – à confirmer, bien sûr – pourrait atteindre environ 500 millions d'euros. Encore faut-il notamment qu'aboutisse la révision indispensable de la tarification des services d'urgence : en effet, le dispositif actuel incite plus à l'activité qu'il n'encourage les efforts de régulation.

Une problématique du même ordre a été constatée par la Cour dans l'analyse qu'elle consacre à la prise en charge de la maternité. Les différentes composantes de la dépense d'assurance maternité progressent à un rythme soutenu alors que le nombre des naissances reste stable. Malgré un effort supplémentaire de 1,5 milliard d'euros par rapport à une simple prise en charge au titre de l'assurance maladie, nos indicateurs de périnatalité sont moins bons que ceux de la plupart de nos voisins. En d'autres termes, nous dépensons plus pour des résultats moins bons. Or réduire encore la durée moyenne de séjour en maternité apparaît possible. Cette durée est, en effet, supérieure d'un tiers à celle constatée en moyenne à l'étranger, et l'alignement sur cette moyenne entraînerait une économie brute de plus de 300 millions d'euros. La Cour recommande donc de modifier les modalités de tarification de l'accouchement, qui n'incitent pas à la réduction de la durée des séjours en maternité. Elle recommande aussi de trouver un meilleur équilibre entre suivi pré- et post-natal, en développant notamment l'accompagnement du retour à domicile des femmes venant d'accoucher.

Plus généralement, les établissements hospitaliers doivent substantiellement renforcer leurs efforts de gestion et de réorganisation pour que des gains de productivité leur permettent de faire face à la croissance de leurs charges dans le contexte d'un ralentissement annoncé de la progression de l'ONDAM. Les dépenses de personnel médical et non médical des hôpitaux publics, qui ont atteint près de 42 milliards d'euros en 2012 pour un effectif d'un million de personnes, constituent leur premier poste de dépenses. Elles représentent ainsi un enjeu central. Dans la période récente, l'augmentation de la masse salariale des hôpitaux s'est fortement ralentie par rapport au début des années 2000, en dépit de l'augmentation des effectifs, notamment médicaux, liée à la progression et à l'alourdissement de l'activité. Mais cette situation, facilitée par le gel du point de la fonction publique et par l'importance des départs en retraite, apparaît fragile. De premiers signes de relance de la dépense sont apparus en 2013. Au-delà de l'augmentation des cotisations de retraite employeurs, le paiement d'une partie des heures accumulées sur les comptes épargne temps du personnel hospitalier a pesé. Aucune donnée consolidée n'existe cependant sur le nombre de jours épargnés, de sorte que le caractère suffisant des provisions comptables constituées dans cette perspective par les établissements – 1 milliard d'euros à la fin 2012 – ne peut pas être vérifié.

Un pilotage plus ferme de la masse salariale par les administrations de tutelle est indispensable, notamment en développant des outils de prévision et d'analyse qui font cruellement défaut. Les communautés hospitalières devraient aussi rechercher une gestion plus efficiente, en mettant fin à des pratiques peu rigoureuses régulièrement constatées par les chambres régionales des comptes : accélération des avancements, durée annuelle du travail inférieure à la durée légale, recrutements onéreux de médecins intérimaires ou contractuels…

L'amélioration des organisations internes, la redéfinition des cycles de travail, une maîtrise accrue de l'absentéisme, la mise en place de dispositifs d'intéressement sont autant de leviers à mobiliser. La nécessité d'accélérer les recompositions hospitalières n'est pas non plus à négliger.

Les limites de ses compétences n'ont pas permis à la Cour de procéder à une analyse détaillée des dépenses de personnel des cliniques privées. Elle appelle néanmoins à la réalisation d'études comparatives en ce domaine entre cliniques privées et hôpitaux publics.

L'assurance maladie doit ainsi concentrer les efforts de redressement des comptes sociaux. Son déficit vient augmenter la dette sociale et fait peser sur les générations futures des charges lourdes, sans que l'euro dépensé soit toujours justifié par des exigences de santé publique : on l'a vu dans le cas des transports sanitaires, mais on pourrait multiplier les exemples. Le retour rapide à l'équilibre nous semble à portée, dès lors que les indispensables réformes structurelles sont conduites.

Dans ce contexte, infléchir plus fortement et durablement une dépense qui progresse nettement plus vite que la richesse nationale apparaît essentiel pour moderniser notre système de soins dans toutes ses composantes, le rendre plus efficient et remettre en cause les actes inutiles.

Pour conclure, la Cour ne méconnaît ni ne mésestime en aucune façon les efforts des pouvoirs publics, des administrations et des organismes de sécurité sociale pour moderniser notre sécurité sociale, renforcer son efficience, améliorer la qualité du service rendu, la rendre plus solidaire et plus forte.

Certains efforts portent leurs fruits. Des progrès indéniables sont constatés année après année dans de nombreux domaines. Mais la permanence des déficits sociaux est pernicieuse. Elle ronge comme un poison à effet lent la légitimité même de notre système de sécurité sociale dont nous allons célébrer le soixante-dixième anniversaire en octobre 2015.

C'est pourquoi la Cour invite à une poursuite nette et à un approfondissement des efforts déjà engagés.

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