Intervention de Didier Migaud

Réunion du 17 septembre 2014 à 17h00
Commission des affaires sociales

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

Je vous remercie de l'intérêt que vous portez aux travaux de la Cour des comptes. Vous êtes très demandeurs de recommandations et de pistes de travail, et c'est bien le rôle de la Cour d'avancer des réflexions pour éclairer les représentants du suffrage universel.

M. Bapt a qualifié de sévère le rapport de la Cour. Nous raisonnons à partir des objectifs fixés et de nos constats quant à l'exécution, et le rapport correspond à la réalité des chiffres que nous constatons. Or nous ne pouvons pas ne pas constater que la France continue d'avoir des déficits élevés, des comptes sociaux déséquilibrés, ni ne pas observer qu'il s'agit là d'une situation plutôt atypique. Une accoutumance aux déficits, une certaine indifférence à l'absence de résultats des politiques publiques s'installe.

Ce que nous identifions comme économies possibles est, de ce point de vue, plutôt encourageant, car cela montre qu'il existe des solutions qui ne remettent pas en cause les principes ayant présidé à la création de la sécurité sociale ni un système de soins que beaucoup de pays nous envient.

Des sommes importantes sont dépensées sans considération de l'efficacité que l'on est en droit d'attendre de mesures concernant la santé. Le fait d'avoir fixé en 2013, tout particulièrement pour les soins de ville, un ONDAM plus important que l'année précédente, alors même que l'ONDAM 2012 avait été sous-exécuté, n'a pas incité à une plus grande maîtrise de la dépense d'assurance maladie. C'est pourquoi nous formulons quelques recommandations sur la fixation de l'ONDAM. Des augmentations ont été fixées à des niveaux nettement plus importants par le passé, mais cette donnée doit être rapportée à l'inflation : celle-ci est aujourd'hui très basse.

Forts de ces constats, nous présentons des propositions pour un meilleur pilotage des dépenses de santé. Nous proposons ainsi d'élargir la loi de financement de la sécurité sociale à des secteurs aujourd'hui non couverts, pour permettre aux parlementaires d'avoir, en particulier sur les recettes, une vision plus globale et synthétique. Compte tenu des liens qui existent entre la fiscalité et le financement de la sécurité sociale, il nous paraîtrait légitime que la discussion sur la partie des recettes soit commune aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale ; nous nous demandons même pourquoi ce n'est pas encore le cas, tellement c'est de bon sens. Nous n'allons pas, toutefois, jusqu'à proposer un texte unique.

Il serait également important de créer une loi de résultat, pour vous permettre de contrôler l'exécution de la loi de financement de la sécurité sociale. La Cour des comptes regrette que la question du contrôle de l'exécution de la dépense ne soit pas encore suffisamment prise en considération par les parlementaires. Dans de nombreux pays, le temps consacré à l'examen des lois de finances est très court. Une loi de finances traduit des intentions, un affichage, mais c'est la réalité de l'exécution qui importe. Regardez le temps que vous consacrez à la réalité de l'exécution et celui que vous consacrez à l'examen des lois de finances et lois de financement de la sécurité sociale ; je n'ai pas besoin d'en dire plus. Une loi de résultat serait utile. Les termes mêmes sont importants : « loi de règlement », cela ne veut rien dire. On constate souvent des écarts entre les intentions affichées et l'exécution ; la réalité d'une politique s'apprécie non à partir d'un projet, mais sur son exécution.

Cela fait partie de nos recommandations concernant le pilotage. Les biais sur lesquels nous avions insisté l'an dernier sur la fixation de l'ONDAM hospitalier se retrouvent sur l'ONDAM pour les soins de ville. Si des mesures ne sont pas prises, cela peut poser à terme la question de la sincérité. Nous nous réjouissons donc que les pouvoirs publics aient tenu compte de certaines de nos propositions à cet égard.

Nous ne passons pas sous silence le fait que le déficit diminue, mais l'effort se ralentit – 3,1 milliards, c'est moins que 3,7 milliards, et moins encore que les 7 milliards de 2011. La conjoncture peut expliquer pour partie ce ralentissement, mais la plus grande part de l'actuel déficit est bien structurelle. Des efforts ont été déployés par les pouvoirs publics, et les professionnels de santé ; ils commencent à porter leurs fruits, et je les ai salués.

S'agissant de la fraude, les chiffres datent de 2012. Les effets de politiques récentes sont donc à nuancer. Les augmentations d'impôts n'ont pas commencé à cette date. La fraude est un véritable enjeu. Les contrôleurs doivent pouvoir s'adapter aux nouvelles formes de fraude : nous disons qu'il convient de préserver les effectifs, de leur apporter des moyens supplémentaires, de mutualiser certaines informations, afin de rendre la lutte contre la fraude la plus efficace possible.

La sous-estimation intentionnelle de l'activité, dans le but de payer des cotisations moins élevées, peut expliquer certaines choses, et la même observation peut être faite concernant la retraite des indépendants. En tout état de cause, le déficit est réel. Jusqu'à présent il était couvert ; dès lors que la recette est supprimée, il faut en trouver une autre, sauf à reporter la charge sur les salariés, avec tous les problèmes d'équité que cela présente. Il est de votre responsabilité d'apporter des réponses à ces sujets.

Le président Antoine Durrleman confirmera, entre autres, le chiffre de 5 milliards d'euros d'économies possibles à terme sur la chirurgie ambulatoire. Je rappelle le montant global des propositions d'économies de notre rapport : 2 milliards d'euros sur les médicaments génériques, 250 millions sur les dispositifs médicaux, 500 millions sur les urgences, avec une meilleure articulation entre l'hôpital et les soins de ville, 320 millions sur l'assurance maternité – nous raisonnons en brut – avant des mesures d'accompagnement qui peuvent être nécessaires si la durée du séjour diminue. 3 milliards d'euros d'économies sont ainsi possibles annuellement, et nous avons également formulé des propositions en matière de transport sanitaire, de biologie médicale et de chirurgie ambulatoire qui ne figurent pas parmi ces chiffres. Mais si c'est possible, nous ne disons pas que c'est facile ; il n'est pas aisé de surmonter les corporatismes et les rigidités.

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