Intervention de Antoine Durrleman

Réunion du 17 septembre 2014 à 17h00
Commission des affaires sociales

Antoine Durrleman, président de la 6e chambre de la Cour des comptes :

J'aborderai, dans un premier temps, les suites données aux propositions des rapports antérieurs de la Cour.

En ce qui concerne les problématiques de prise en charge de l'optique et des audioprothèses, auxquelles nous avons consacré l'an dernier un chapitre très précis, les pouvoirs publics, dès le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, ont donné suite aux préconisations de la Cour, dans le cadre de la mise en place de l'accord national interprofessionnel sur la généralisation de la complémentaire de santé. Un premier décret a été publié le 10 septembre dernier, définissant le panier de soins qui sera pris en charge dans le cadre de cette complémentaire généralisée. Un nouveau décret paraîtra prochainement pour fixer le niveau maximum de prise en charge de ce panier de soins. Cela fait l'objet de discussions avec les organismes complémentaires et les professionnels de santé. Dans le même temps, nous avions proposé de rendre plus facile l'achat de certains produits d'optique sur internet ; les pouvoirs publics ont pris des mesures en ce sens.

En ce qui concerne les problématiques de biologie, nous avons été inégalement entendus. Nous avons été suivis sur le point important du dosage de la vitamine D. Nous avions souligné que cette dépense s'était emballée, qu'elle représentait pas moins de 100 millions d'euros par an pour l'assurance maladie, sans qu'il y ait eu aucune évaluation médico-économique de cette prolifération. À la suite de notre rapport de l'an dernier, la Haute autorité de santé a publié une recommandation de bon usage du dosage de la vitamine D. Nous ne sommes pas capables de dire ce que cela représente en volume d'économies, mais l'effort de régulation médicalisée auquel nous appelions a bien été entendu.

En revanche, nous n'avons pas été entendus sur la politique conventionnelle. Nous avions proposé de ne pas reconduire la convention avec les directeurs de laboratoires d'analyses médicales, qui venait à expiration en juillet 2014. Les pouvoirs publics n'ont pas choisi cette remise à plat, préférant, en dehors de la politique conventionnelle, faire passer un accord entre la Caisse nationale d'assurance maladie et les syndicats de biologistes. Cet accord prévoit simplement une stabilisation en valeur de la dépense de biologie dans les prochaines années, voire une possibilité de progression de 0,25 % par an.

Nous pensions que des marges supplémentaires étaient possibles, notamment au regard de la réorganisation des laboratoires. Or nous avons constaté que cette réorganisation s'était traduite essentiellement par des fusions d'ordre juridique et assez peu par la réorganisation des plateaux techniques. Il nous semblait qu'une réorganisation accrue de ces plateaux techniques, compte tenu de la puissance des automates de traitement, permettrait des marges, qui pourraient être ristournées à l'assurance maladie. Les pouvoirs publics ont considéré que la stabilisation de la dépense pouvait être un objectif intérimaire qui permettrait sans doute d'aller plus loin dans un second temps.

Dans le domaine hospitalier, nous avions proposé, pour les établissements hospitaliers d'équilibre du territoire, qui servent de points d'appui à des professionnels libéraux de santé, un financement mixte combinant la tarification à l'activité et une forme de dotation forfaitaire, afin que ces établissements puissent demeurer des pôles d'amarrage d'un ensemble d'acteurs du système de soins. Les pouvoirs publics ont donné suite à cette proposition par une mesure de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014. Elle est en cours de discussion.

Le taux de 62 % – 10 % de recommandations complètement suivies, 52 % en cours de mise en place – cité tout à l'heure peut paraître relativement limité, mais les recommandations que nous formulons sont souvent difficiles à mettre en oeuvre. Elles exigent des discussions, de la concertation, parfois un travail de finalisation technique de la part des administrations. C'est pourquoi nous suivons nos recommandations, non pas simplement d'une année sur l'autre, mais sur plusieurs années. Nous avions, par exemple, préconisé la modulation des prestations familiales en fonction des conditions de ressources dans le rapport sur la sécurité sociale de septembre 2012. Les suites données par les pouvoirs publics, en ce qui concerne la prestation d'accueil du jeune enfant, sont intervenues dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 : cette réforme est ainsi en voie d'être mise en place deux ans plus tard.

J'en viens à présent aux questions sur le rapport de cette année. Dans le champ de l'assurance maladie, les pouvoirs publics, s'agissant de la chirurgie ambulatoire, ont donné suite à nos préconisations en haussant l'objectif fixé pour les établissements publics dans une démarche progressive : les économies se déploieront donc dans le temps.

Ce que nous disions, et cela a été confirmé par une analyse de l'inspection des finances et de l'inspection des affaires sociales demandée par les pouvoirs publics dans le cadre de la modernisation de l'action publique, c'est que l'assurance maladie paie plusieurs fois. Elle paie tout d'abord parce que les services de chirurgie classique sont vides à hauteur de plus d'un tiers de leurs capacités. Elle paie aussi parce que les places de chirurgie ambulatoire ne sont pas suffisamment utilisées. Enfin, elle paie parce que la rémunération de l'acte de chirurgie ambulatoire est alignée sur celle de l'acte de chirurgie conventionnelle. Les pouvoirs publics ont commencé, dès la campagne tarifaire de 2014, à modifier cette approche d'égalité de tarification, de façon que l'outil tarifaire devienne incitatif pour le développement de la pratique ambulatoire.

Des économies supposent que se dégagent des gains de productivité dans les hôpitaux. Elles ne seront pas immédiates mais le potentiel que nous avons indiqué, de l'ordre de 5 milliards d'euros, est documenté par l'Agence nationale d'appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux. Cela demande que cette trajectoire de transformation soit conduite à son terme.

En ce qui concerne les coopérations hospitalières, nous les avons éclairées il y a trois ans dans le rapport sur la sécurité sociale de 2011. Nous avions constaté que les coopérations étaient une sorte de manteau de Noé, couvrant non seulement des organisations très solides entre établissements, des formes d'adossement, mais aussi des formes de coopération extrêmement lâches. Nous serons amenés à revenir sur ce sujet pour étudier la mise en place des communautés hospitalières de territoire et, le moment venu, des groupements hospitaliers de territoire que Mme la ministre de la santé et des affaires sociales prévoit d'instituer dans son projet de loi de santé. Ces groupements seront obligatoires, ce qui conduira les établissements hospitaliers publics à se penser et à s'organiser dans un cadre collectif. Au-delà des fonctions de support – achats, informatique, blanchisserie et autres –, une forme de gouvernance commune permet de développer un projet médical en commun. Un projet commun peut être plus attractif qu'une série de projets juxtaposés. Nous serons amenés, avec les chambres régionales des comptes, à y revenir.

Les problématiques du personnel des hôpitaux sont essentielles. L'hôpital, c'est 140 métiers, et ce qui les réunit c'est la main : la main du médecin qui ausculte, la main de l'aide-soignant ou de l'agent hospitalier qui transfère le patient du lit au fauteuil, la main du brancardier qui pousse le brancard jusqu'au bloc. Le personnel est l'essence même du fonctionnement de l'hôpital. Cela ne signifie pas que la gestion des effectifs ne soit pas perfectible : elle l'est, de notre point de vue, en raison de l'existence de rigidité de gestion et d'organisations peu efficientes, voire, parfois, maltraitantes pour les agents. Un exemple que nous développons dans le rapport est la dissociation des cycles de travail. Quand le cycle des médecins ne correspond pas au cycle des soignants, cela crée des dysfonctionnements, des pertes d'efficience, voire des risques pour les malades. Un travail sur l'organisation du travail nous paraît donc essentiel pour que la dépense de personnel soit plus efficiente.

Personne n'a évalué les 35 heures dans les hôpitaux. Ce que nous mesurons, non sans difficulté, ce sont les jours épargnés sur les comptes épargne-temps. Un dénombrement a eu lieu à l'automne 2007 ; depuis lors, nous n'avons pas de vision consolidée. Les hôpitaux ont provisionné un milliard d'euros pour solder ces jours, mais nous ne savons pas si ce sera suffisant. Il est probable que la certification des comptes des hôpitaux apportera un peu de clarté.

En ce qui concerne les politiques conventionnelles et leur contribution à un meilleur accès aux soins, nous avons cherché à documenter quelle avait été la stratégie de l'assurance maladie depuis dix ans. Il y a dix ans, le système conventionnel a, en effet, été profondément modifié. Notre conviction, c'est qu'il y a eu beaucoup d'actions, peut-être trop, beaucoup de succès tactiques, mais que la vision stratégique, celle qui était au coeur de la loi de 2004, avec la mise en place du parcours de soins coordonnés, du médecin traitant, du dossier médical personnel, a été perdue de vue. La politique conventionnelle ne l'a pas secondée.

Le parcours de soins a été uniquement un parcours tarifaire. La convention n'a pas pensé en termes de chaînage des prises en charge mais en termes de modulation tarifaire selon les différentes étapes d'une prise en charge. Le dossier médical personnel n'a pas été porté par les conventions, et c'est à ce jour un fiasco complet. Notre recommandation principale est donc que les pouvoirs publics soient plus présents. Ils doivent dire plus clairement ce qu'ils attendent des partenaires conventionnels. Le projet de loi de santé de Mme la ministre modifie le pilotage de la politique conventionnelle dans le sens des recommandations de la Cour.

La question des disparités territoriales d'installation, que nous avons étudiée il y a trois ans, reste un sujet difficile. Tout d'abord, il n'y a pas de vision complète des coûts des différents dispositifs incitatifs. Lorsque nous avons étudié ce sujet, en 2011, nous n'avons pas pu étudier les efforts très importants des collectivités locales pour aider à l'installation de professionnels de santé.

Nous avions également souligné que les outils de la politique conventionnelle devaient être davantage mis au service de l'accessibilité géographique des soins. Nous avions proposé, il y a deux ans, de moduler la prise en charge des cotisations des professionnels libéraux en fonction de leur lieu d'implantation. Nous allons plus loin cette année, en suggérant l'idée que le conventionnement ne soit plus automatique. Comme cela existe déjà pour certaines professions, les modalités de conventionnement dépendraient des zones géographiques.

En ce qui concerne les génériques, le système français est très différent de celui des autres pays, où le générique est l'affaire des prescripteurs. En France, il est celle des pharmaciens ; ceux-ci assurent leur diffusion depuis 1996. Cette politique est en train de trouver ses limites, malgré l'efficacité du dispositif « tiers payant contre génériques ». Il nous semble que l'obligation, pour les médecins, de prescrire, à partir de janvier 2015, en « dénomination commune internationale », c'est-à-dire de prescrire des molécules et non nommément des médicaments, rendra possible la suppression à terme du répertoire, sorte de dictionnaire qui permet de définir le champ des substitutions possibles entre princeps et génériques. Une première étape pourrait être celle que suggère l'Agence nationale de sécurité du médicament, à savoir une base élargie, plus souple, à la fois médicale et économique, qui permette de diffuser progressivement la culture de prescription parmi les médecins.

Les dispositifs médicaux ont besoin de priorités plus claires en matière de fixation de tarifs. Une des priorités, c'est l'innovation. Il existe aujourd'hui un tel retard de tarification que des dispositifs médicaux anciens sont très correctement tarifés ; il existe des effets de rente, au détriment des dispositifs innovants. C'est pourquoi nous appelons à la redéfinition des priorités et des outils, à une action beaucoup plus élaborée des pouvoirs publics.

Nous n'avons pas examiné le fonctionnement de la totalité des conférences territoriales de santé, mais, là où les rapporteurs de la Cour se sont rendus, ils ont constaté, malgré des réussites, une lourdeur et une faible productivité des réunions de ces conférences. La recommandation de la Cour est sans doute radicale : dans le cadre de la simplification de l'élaboration des projets régionaux de santé, une nouvelle génération étant appelée à naître en 2016, il a semblé que le détour méthodologique par la conférence territoriale de santé n'était pas nécessaire.

L'ONDAM ne reprend pas la totalité des dépenses d'assurance maladie et d'accidents du travail et maladies professionnelles : 10 % de la dépense n'est en réalité pas pilotée. Dans ces 10 %, on trouve des dépenses qui pèsent très lourd et se développent très rapidement, en particulier les dépenses d'invalidité. Nous avons étudié ces dernières il y a quelques années : elles ne font l'objet d'aucune analyse, car tout l'effort des pouvoirs publics est lié aux dépenses qui sont dans le champ de l'ONDAM. Il nous paraîtrait donc pertinent d'élargir ce champ.

En matière d'AT-MP, nous avons constaté, dans notre rapport de certification, qu'il y avait des difficultés de liquidation et des erreurs. Selon notre estimation, les sommes sont inférieures à 50 millions d'euros. Nous pensons cependant que cette estimation est inférieure à la réalité, car les indicateurs de la CNAMTS ne nous paraissent pas fiables. Nous avons demandé à celle-ci, dans le cadre de la campagne de certification engagée à l'automne, d'être plus précise.

S'agissant de la préretraite amiante et, plus généralement, de la prise en charge des victimes de l'amiante, nous avons, dans le rapport public annuel de février, formulé des recommandations pour l'avenir. Les pouvoirs publics étaient dans l'attente d'une enquête complémentaire de l'inspection générale des affaires sociales. À ma connaissance, les conclusions n'en ont pas été tirées. Peut-être le projet de loi de financement de la sécurité sociale en sera-t-il l'occasion.

Dans le secteur médico-social, nous vous avons remis, il y a un peu plus d'un an, en octobre 2013, ainsi qu'à la commission des finances, un rapport que vous nous aviez conjointement demandé sur la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie. Nous avons pointé de manière extrêmement précise l'utilisation des 3,2 milliards d'euros de réserve que s'était constituée la CNSA au fil du temps en raison de la sous-exécution de l'objectif de dépense relatif aux personnes âgées. Nous avons montré qu'à hauteur de plus de 2 milliards d'euros ces réserves avaient été consacrées, non au fonctionnement, mais à l'aide aux investissements des établissements pour personnes âgées, et qu'environ 300 millions d'euros avaient été restitués à l'assurance maladie. Il restait, en 2012, 450 millions de réserves non utilisées, et la prévision d'utilisation pour 2013 était de 200 millions. Je n'ai pas d'état plus récent, mais la trajectoire de résorption a globalement été suivie.

S'agissant du financement du Fonds de solidarité vieillesse, à la suite du reciblage sur la prise en charge de la perte d'autonomie et de la contribution additionnelle de solidarité pour l'autonomie, prévu par le projet de loi d'adaptation de la société au vieillissement, nous n'avons pas d'informations sur la manière dont ce reciblage sera compensé pour le Fonds. Nous nous contentons d'indiquer qu'il convient de prévoir des financements pérennes pour ce dernier.

S'agissant du régime social des indépendants, nous n'avons pas de préconisation particulière sur la nature des recettes qui pourraient se substituer à la contribution de solidarité pour l'autonomie. Nous signalons simplement qu'elles doivent s'inscrire dans un cadre à la fois pérenne et évolutif. La C3S a été créée en 1971, et chacun sait qu'un bon impôt est un vieil impôt. La C3S était également une imposition productive. Si les recettes apportées à la Caisse nationale d'assurance vieillesse ne sont pas solides et durables, le régime sera déficitaire. Nous avons déjà rencontré une telle situation, avec, en particulier, le régime des exploitants agricoles : quand l'État a cessé de le financer, il a fallu recourir à des emprunts bancaires.

Nous savons que les possibilités de contribution des bénéficiaires du RSI, peu considérables, sont totalement hors de proportion avec le déficit, mais il nous paraît important, dès lors que les régimes sont alignés et que le financement passe par la Caisse nationale d'assurance vieillesse, qu'un effort complémentaire soit fourni. Celui-ci peut prendre deux formes : la lutte contre la fraude – le RSI est aujourd'hui totalement atone en la matière – et, même si nous mesurons l'accroissement de l'effort contributif déjà consenti par les ressortissants du RSI, de nouveaux alignements dans le temps.

Les cotisations des régimes complémentaires AGIRC-ARRCO ne font l'objet d'aucun contrôle parce que les caisses de retraite complémentaires n'en ont pas les moyens. Vous avez voté, dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, un article prévoyant le transfert de cette compétence de contrôle au bénéfice des URSSAF et de l'ACCOSS. Huit ans plus tard, le décret d'application n'a toujours pas été pris, pour des raisons qui tiennent à la fois aux URSSAF et aux régimes complémentaires. Les URSSAF craignent que cette action ne soit au détriment de ses autres contrôles ; les régimes complémentaires craignent que les cotisations recouvrées pour leur compte ne leur soient pas reversées. L'exemple de l'assurance chômage a tranché ce débat. Quand, en 2011, le recouvrement des cotisations d'assurance chômage a été transféré aux URSSAF, le contrôle a été beaucoup plus dynamique et les recettes supplémentaires apportées à l'UNEDIC très importantes. Cette situation, qui dure depuis huit ans, mériterait d'être réglée.

Enfin, la fréquentation des urgences hospitalières peut être mieux régulée. Il existe des problèmes de tarification et d'organisation. Les maisons médicales de garde, même si elles sont un outil important de la permanence des soins, ne sont pas la panacée. La question se pose de l'accès à des soins non programmés, à des horaires différents de ceux des maisons médicales de garde. Dans la journée, les urgences sont aussi fréquentées par des personnes qui ne trouvent pas dans un cabinet médical libéral de plages d'accueil sans rendez-vous, qui ont tendance à se réduire. L'accueil est un point sur lequel la politique conventionnelle pourrait soutenir une vision différente.

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