Intervention de Michèle Delaunay

Réunion du 14 octobre 2014 à 21h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichèle Delaunay :

En 2006, l'Institut national du cancer a demandé à deux auteurs issus du milieu académique de réévaluer une étude qu'ils avaient publiée, concernant le coût sanitaire et social du tabac. Cette réévaluation a été reprise par la Cour des comptes en 2012 et par les rapports de notre collègue Jean-Louis Touraine et de notre ancien collègue Yves Bur. Les chiffres sont spectaculaires : le coût sanitaire et social du tabac s'élève à 47,7 milliards d'euros, soit trois points de PIB, soit encore 742 euros par Français, fumeur ou non.

La Cour des comptes dit elle-même que ces dépenses considérables doivent être recalculées de manière plus précise, mais elle n'en conteste pas le caractère considérable. Ces quelque 50 milliards annuels nous privent de toute marge de manoeuvre en matière de sécurité sociale. C'est vrai pour les dépenses de santé, c'est vrai pour les molécules nouvelles, c'est vrai aussi pour la compensation de la perte d'autonomie. Nous sommes pieds et poings liés.

Mon amendement vise à fixer les prix du tabac en tenant intégralement compte de cet énorme surcoût. Je dis bien surcoût, car l'on doit évidemment soustraire de ces 47,7 milliards d'euros les 13 milliards d'euros de droits de consommation que rapporte le tabac ainsi que, sans vouloir faire de mauvais esprit, le montant des pensions des 73 000 personnes qui meurent chaque année à cause du tabac avant même – dans leur immense majorité – de pouvoir profiter de leur retraite. Les gens qui travaillent avec la Chine disent d'ailleurs que ce pays, qui aurait eu la capacité d'interdire le tabac à l'intérieur de ses frontières, s'en est sciemment gardé afin de réduire le « péril gériatrique » qui le menaçait. Je pense que ce n'est pas totalement faux.

Aujourd'hui, il serait irresponsable de ne pas prendre en compte ce coût sanitaire et social dans la fixation des prix du tabac. J'ai travaillé avec Gérard Bapt sur le bisphénol et, alors que nous n'avions en la matière que de fortes présomptions, elles ne nous en ont pas moins amenés à prendre des mesures drastiques. Or, y a-t-il un autre produit que le tabac qui tue un consommateur sur deux ?

Je connais les deux critiques principales qui seront faites à cet amendement. On me dira d'abord qu'il y a bien d'autres produits toxiques, au premier rang desquels l'alcool. C'est vrai, mais il faut bien commencer par un bout. En outre, la toxicité de l'alcool est moins facile à cibler que celle du tabac, qui est la drogue à la fois la plus toxique et la plus addictogène.

Une seconde critique consiste à dire qu'on ne peut pas le faire si les autres pays ne le font pas et que, si les pays européens, en particulier, ne le font pas en même temps que nous, il y aura de la contrebande. Mais il faut bien qu'un pays commence. Et je crois pouvoir vous dire que le premier pays qui évoquera le coût sanitaire et social global du tabac et qui fixera son prix en fonction de ce coût sera suivi, car les autres pays sont, eux aussi, plombés par l'ampleur des dégâts.

Je ne vous ai pas parlé de l'aspect humain, car je crois que ce dont nous devons parler aujourd'hui, à un moment où les budgets sont incroyablement contraints, ce sont des 50 milliards d'euros qui nous filent chaque année entre les doigts parce que nous ne sommes pas assez courageux.

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