Intervention de Michel Ruffin

Réunion du 13 novembre 2012 à 16h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Michel Ruffin, chef du service Prospective, études, observation territoriale et évaluation de la Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale :

Mon ambition n'est évidemment pas de vous présenter dans leur intégralité deux années de travail, mais de vous indiquer le sens et les principaux enjeux de la démarche que nous avons engagée à travers « Territoires 2040 », et qui n'est pas encore achevée.

Toutes les démarches de prospective, quelles qu'elles soient, s'appuient sur le postulat que l'avenir n'est pas écrit mais qu'il se construit. L'enjeu est d'identifier les futurs possibles à moyen et à long termes — les « futuribles », pour reprendre un terme qui est quasiment devenu une marque déposée — en repérant les tendances lourdes, les signaux faibles, les faits porteurs d'avenir. Il s'agit de construire, si possible collectivement parce que l'on pense mieux à plusieurs, des visions contrastées, non pas pour le pur plaisir de la recherche intellectuelle, mais pour proposer aux décideurs des futurs cohérents, contrastés, argumentés, qui leur permettent de définir des stratégies. Nous ne sommes, ni dans une démarche purement intellectuelle, ni dans la préconisation ou la définition d'une stratégie, mais à mi-chemin de ces deux démarches, laissant aux décideurs la liberté de sélectionner les futurs qui leur semblent préférables et d'identifier les leviers à actionner.

La démarche « Territoires 2040 » s'inscrit dans la tradition des grands exercices de prospective auxquels se livre régulièrement la DATAR depuis sa création, il y a près de cinquante ans. J'ai à peine besoin de vous rappeler certains travaux emblématiques qui ont ponctué la vie de l'institution. Vous avez tous entendu parler du « Scénario de l'inacceptable », qui avait fait grand bruit dans les années soixante-dix : ce scénario prospectif, resté dans les annales, était une projection sur le long terme des tendances du développement socio-économique en dehors de toute intervention politique. L'image de la France ainsi obtenue était celle d'un territoire éclaté en quelques zones structurées, entourées de grands espaces vides. Cette carte était censée représenter le risque majeur pesant sur l'organisation du territoire français.

Le « Livre blanc du bassin parisien », publié en 1992, a également fait date. L'objectif était non seulement de tenter une démarche prospective au niveau régional, mais aussi d'ouvrir un débat public impliquant l'ensemble des parties prenantes. L'exercice avait abouti à l'élaboration de trois scénarios contrastés : la « métropole concentrée », la « métropole multipolaire centralisée » et le «  réseau métropolitain maillé ». L'enjeu était là encore de décrire, à l'échelle du territoire étudié, des futurs possibles, grâce auxquels orienter la décision.

Après « La France en 2015 », élaboré en 1993, «  Aménager la France en 2020 » constitue le dernier grand exercice de prospective de la DATAR. Il comporte quatre scénarios : « l'archipel éclaté », « le local différencié », « le centralisme rénové » et « le polycentrisme maillé ». C'est ce dernier scénario qui avait été retenu par l'État pour orienter sa politique d'aménagement du territoire.

Le programme « Territoires 2030 », réalisé de 2004 à 2009, se voulait plus opérationnel et resserré autour de certains thèmes tels que le développement durable, les services ou l'aménagement numérique.

L'exercice « Territoires 2040 » a été lancé à la fin de l'année 2009. Une première étape s'est achevée à l'été 2012.

Trois spécificités majeures caractérisent ce nouveau programme de prospective. Premièrement, il donne un rôle central aux représentations, notamment la mise en image, la cartographie et les schémas, à partir du principe qu'ils n'ont pas seulement une fonction illustrative, mais qu'ils sont nécessaires pour imaginer l'avenir et construire la réflexion.

Deuxième caractéristique, il s'agit d'une prospective « des » territoires, et non plus « du » territoire. Pour la première fois peut-être, on substitue à une vision centralisée et surplombante l'attention aux dynamiques territoriales et l'appréhension des logiques infranationales, où les territoires sont des acteurs du changement.

Cette démarche prospective se caractérise enfin par l'identification d'espaces fonctionnels. L'idée sous-jacente est que la diversification croissante des territoires français, en termes de ressources, mais aussi de fonctions, induit une diversification des modèles de développement possibles et que la réflexion prospective doit donc s'inscrire dans le cadre de chacun de ces modèles.

Mais si les territoires sont de plus en plus diversifiés, ils sont aussi de plus en plus interconnectés. L'image de la France que nous voulons mettre en exergue, c'est celle d'une France en réseaux, en systèmes, où les territoires sont reliés par des flux organisés de personnes, de capitaux, de marchandises, d'idées ou d'innovations.

Quand les enjeux sont désormais ceux d'un monde « glocal », c'est-à-dire qui va du local au global, cette nouvelle prospective des territoires ne peut pas se contenter d'un seul niveau d'appréhension. Des questions comme le développement durable ou le réchauffement climatique sont des exemples types de questions qui relèvent d'une approche autant « micro » que « macro ».

Pour décrire la France d'aujourd'hui, « Territoires 2040 » met en prospective huit espaces fonctionnels, à l'aune desquels penser le fonctionnement, le mode de développement et le futur possibles de chaque territoire, étant entendu que certains territoires peuvent relever de plusieurs de ces catégories.

« L'urbain métropolisé français dans la mondialisation » est le premier de ces systèmes territoriaux. Il permet d'appréhender la problématique de l'interconnexion des grandes villes françaises avec le reste du monde. Deuxième cadre logique, « les systèmes métropolitains intégrés » permettent de réfléchir aux modalités d'organisation des relations entre les métropoles et leur environnement territorial. La catégorie des « villes intermédiaires et leurs espaces de proximité » permet d'envisager le rôle joué par ces espaces dans le fonctionnement du territoire français. J'exposerai plus loin le quatrième système territorial, celui des « espaces périurbains ». Viennent ensuite les « espaces de la faible densité », les « espaces de développement résidentiel et touristique », les « espaces de la dynamique industrielle » et enfin les « portes d'entrée de la France dans les systèmes territoriaux de flux ».

Afin que vous compreniez bien la logique d'ensemble de cette démarche, je m'attarderai plus longuement sur les espaces périurbains et les espaces de la faible densité.

Les espaces périurbains sont au coeur du débat politique, comme les dernières élections l'ont montré. La croissance de ces territoires en grande partie sensibles et fragilisés suscite des problématiques fortes d'aménagement du territoire – organisation de l'espace, infrastructures de transports, aménagement numérique – mais aussi dans le domaine du développement durable.

La DATAR a élaboré cinq scénarios, désigné chacun par une image, pour décrire l'avenir possible de ces espaces. Le scénario du « corridor » prévoit un arrêt de la périurbanisation ; une partie de cet espace se densifie et s'intègre aux villes, tandis que l'autre connaît une évolution inverse de dédensification urbaine. Dans le deuxième scénario, celui du « rivage », le périurbain devient un espace valorisé entre la ville et la nature, recherché pour la qualité de vie qu'il dispense. Le scénario de la « réserve » imagine que, dans un contexte de très fortes contraintes environnementales, le périurbain devient une sorte d'espace technique permettant d'assurer une densification urbaine croissante. L'hypothèse de la « nébuleuse » suppose que l'évolution technologique, en mettant à disposition une énergie renouvelable, en assurant le recyclage et une gestion environnementale des ressources, permettra une dispersion des activités et une occupation de plus en plus souple de l'espace. Dans le cinquième et dernier scénario, celui de la « synapse », le périurbain devient l'espace de l'intermédiation dans un contexte d'intensification des échanges entre les aires urbaines et de forte mobilité.

Ces différents scénarios sont autant de cadres, de schémas où la pensée peut se projeter. Tous les territoires périurbains n'ont pas forcément vocation à connaître le même destin ; ils peuvent s'inscrire dans des logiques différentes. L'objectif n'est pas d'épuiser tous les futurs possibles, mais de construire des visions cohérentes et contrastées. Il ne s'agit pas non plus d'indiquer le scénario le plus souhaitable, ni même le plus probable : cela dépendra des décisions que prendront collectivement les acteurs, sur la base du diagnostic qu'ils feront de leur situation, de leurs souhaits et des stratégies qu'ils mettront en place à partir de ce cadre de référence.

Si seuls 6 à 6,5 % de la population française habitent des espaces de faible densité, cette catégorie couvre 42 % du territoire national. Ce n'est pas donc pas un sujet mineur, d'autant qu'il pose de redoutables problèmes d'aménagement du territoire. La DATAR propose cinq scénarios pour définir les futurs possibles de ces territoires. Dans le scénario dit du « repli communautaire », la dérégulation et la flambée des prix de l'énergie entraînent l'isolement de ces espaces et un retour de la ruralité « à l'ancienne », de la sédentarité et des communautés locales. Dans le scénario de « l'absorption », ces espaces sont progressivement gagnés par la périurbanisation – c'est l'hypothèse de l'étalement urbain continu. Dans la troisième hypothèse, ces territoires deviennent « l'avant-scène des villes », valorisé en tant que cadre de vie pourvoyeur d'aménités aux métropoles : c'est le règne de la culture paysagère, des appellations d'origine protégées, du ressourcement. Le scénario de la « plateforme productive » assigne à ces espaces la fonction d'assurer les bioressources et la fonction carbone au profit de villes de plus en plus compactes et denses, consommant de plus en plus de ressources énergétiques. Enfin le scénario du « système entreprenant » voit dans ces espaces un refuge pour ceux qui rejettent les grandes villes et qui pourront, grâce aux réseaux numériques, créer de petites entreprises dans des territoires dont ils assureront la renaissance.

Désormais « Territoires 2040 » mobilise plusieurs groupes d'experts chargés de déterminer, à partir des catégories que je viens de vous décrire, mais aussi de l'identification de tendances structurantes comme le vieillissement de la population, l'urbanisation croissante ou le réchauffement climatique, quels sont les principaux enjeux de l'aménagement du territoire. Ces enjeux doivent être présentés dans le cadre d'un séminaire « Prospective Info » qui se tiendra en janvier prochain.

La première phase de « Territoires 2040 » nous enseigne d'ores et déjà la nécessité de changer le logiciel de l'aménagement du territoire. En effet, les approches sectorielles ou strictement top-down se sont révélées inefficaces ou limitées dans leurs effets.

Deuxièmement, l'accompagnement des territoires doit tenir compte de la diversité de leurs modèles de développement et de leur complémentarité : c'est la notion de « mise en capacité », qui voit dans l'ensemble des territoires français des acteurs possibles de la compétitivité et du rayonnement de la France, dès lors qu'ils ont une vision commune de leur positionnement, des choix qu'ils veulent opérer et de la stratégie qu'ils entendent mettre en oeuvre.

Troisième idée importante, l'échelle de référence varie selon la problématique en cause : celle-ci peut être appréhendée à l'échelle d'une métropole, d'une région, d'un bassin versant, d'une inter-région ou à l'échelle nationale, ce qui suppose de travailler avec des acteurs différents selon les problèmes en cause. Il n'y a plus un échelon pertinent a priori, quelle que soit la question.

Quatrièmement, les usages sociaux doivent être au coeur des politiques d'aménagement. La question des infrastructures et des équipements ne doit pas être dissociée de celle des services et des besoins des habitants : il faut désormais « coconstruire » certaines politiques d'aménagement du territoire avec les habitants des territoires et leurs représentants.

L'aménagement du territoire doit enfin prendre en compte l'enjeu du développement durable. On peut dire, à la limite, que la nature doit devenir un acteur à part entière des politiques d'aménagement du territoire et des dynamiques territoriales. C'est une façon pour nous de reconnaître la prégnance de sujets tels que l'organisation de l'espace urbain et périurbain, les politiques environnementales, le réchauffement climatique, la valorisation des services ou la génération de nouvelles activités et « co-activités ».

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