Intervention de Antoine Durrleman

Réunion du 8 octobre 2014 à 9h00
Commission des affaires sociales

Antoine Durrleman, président de la 6e chambre de la Cour des comptes :

Une disposition inscrite dans le projet de loi de financement de la sécurité pour 2013, annulée par le Conseil constitutionnel, puis votée sous une forme modifiée dans le cadre de la loi de séparation et de régulation des activités bancaires du 26 juillet 2013, prévoit que les établissements publics hospitaliers ont la possibilité d'émettre des billets de trésorerie. Une fois le décret d'application publié – il ne l'est pas encore –, une expérimentation pourra être menée dans les trois plus grands centres hospitaliers universitaires, ce qui générera des économies considérables, sachant que le taux de marge bancaire est beaucoup plus élevé que les frais d'émission de ces titres.

Le fonds de désensibilisation n'a pas été mis en place en même temps que celui dédié aux collectivités territoriales, car les problématiques ne sont pas du même ordre. Les pouvoirs publics ont eu le souci de mettre en oeuvre une stratégie de désensibilisation adaptée à la situation particulière des hôpitaux publics, en aidant prioritairement les établissements les plus en difficulté, notamment les plus petits d'entre eux.

Nous voyons une contradiction entre la dynamique d'investissement portée par des emprunts très importants et la levée des contrôles. Si les pouvoirs publics ont fait preuve d'une grande vigilance en matière de dette hospitalière depuis 2011-2012, le décret de 2011 sur la surveillance des établissements les plus endettés nous semble insuffisant, et ce pour deux raisons. D'abord, il vise uniquement les établissements les plus endettés, au nombre d'une centaine. Ensuite, il est demandé à ces derniers de soumettre à l'ARS leur volume d'emprunt prévisionnel, et non les stipulations propres à chaque emprunt. C'est la raison pour laquelle nous préconisons l'obligation pour chaque établissement de présenter sa stratégie de désendettement à son conseil de surveillance, puis à son ARS.

La Cour des comptes ne demande pas le gel des investissements hospitaliers : elle appelle au discernement quant au choix de ces investissements, dont certains se sont révélés surdimensionnés. Cette situation s'explique par des difficultés dans la mise au point des projets médicaux, en particulier des problèmes d'arbitrage au sein des établissements. Nous notons également une insuffisance de pilotage par les administrations centrales, notamment l'Agence nationale d'appui à la performance des établissements de santé, qui ne s'est dotée que très récemment d'outils permettant d'aboutir à des recommandations sur le juste dimensionnement d'un investissement hospitalier – en fonction, par exemple, de la spécialité du service. Ainsi, dix ans se sont écoulés entre le lancement de la modernisation et le cadrage méthodologique.

À cet égard, la vraie question est moins l'explosion des surfaces en général que celle de l'explosion des surfaces inutiles. En effet, s'il est justifié d'augmenter le confort des chambres tout comme la superficie des services, concevoir des halls et des couloirs démesurés, qui engendrent une grande fatigue chez les personnels, ne l'est pas.

Je souligne, comme vous, le manque d'anticipation en matière de chirurgie ambulatoire. Au moment où celle-ci amorçait son développement, la rénovation hospitalière s'est traduite par une multiplication des blocs opératoires dont un certain nombre sont aujourd'hui fermés. La Cour estime que la priorité a été donnée à l'immobilier au détriment de la modernisation des équipements techniques. À cet égard, le COPERMO nous semble un bon outil, la contre-expertise du Commissariat général à l'investissement ayant contribué à améliorer la finalisation des projets.

Concernant les projets inférieurs à 50 millions d'euros, qui sont très nombreux, nous estimons mutatis mutandis que les ARS devraient se doter d'une expertise supplémentaire.

Les normes imposées aux établissements hospitaliers représentent des investissements incompressibles. En matière de sécurité incendie, nous avons analysé la problématique des interdictions d'exploitation imposées par les commissions de sécurité au regard des travaux engagés par les établissements hospitaliers. Dans un très grand nombre d'hôpitaux, des pavillons sont interdits d'exploitation, mais ne peuvent être fermés au regard de l'obligation de soins, si bien qu'ils relèvent de la responsabilité personnelle – pénale et civile – des responsables hospitaliers : je me suis moi-même retrouvé dans ce cas lorsque j'étais directeur d'hôpital.

L'endettement en lui-même n'est pas répréhensible : recourir à la dette pour financer des établissements dont la durée de vie prévue est de cinquante ans n'est pas anormal. L'essentiel est la structure de la dette et la capacité d'amortissement. De ce point de vue, la Cour plaide pour une meilleure mobilisation des autres leviers de nature à compléter un plan de financement, en particulier le patrimoine hospitalier. À la demande de la commission des affaires sociales du Sénat, nous avons examiné il y a deux ans le patrimoine privé des hôpitaux, qui a fait l'objet d'un chapitre dans notre rapport annuel. En la matière, les marges sont considérables, les directeurs d'hôpitaux faisant preuve d'un certain conservatisme à l'égard du patrimoine immobilier de leur établissement. L'hôpital des Quinze-Vingts, par exemple, est propriétaire de plusieurs centaines d'hectares de terrains en région parisienne grâce à Blanche de Castille, mère du roi Saint Louis, fondateur de l'hospice. Comme directeur général de l'AP-HP, j'ai moi-même été amené à vendre une pièce de terre de 500 m2 dont l'origine de propriété est un don du chevalier d'Aulnay et de sa mère en 1120 pour les pauvres de l'Hôtel-Dieu, et qui demeurait dénommée au cadastre « Les arpents des pauvres » ! C'est ainsi que les gestionnaires hospitaliers ont parfois tendance à se considérer dépositaires de l'histoire…

Fort heureusement, tous les hôpitaux ne se trouvent pas dans une situation financière préoccupante. Les plus en difficulté sont souvent les CHU, en raison d'importants retards de modernisation et du caractère onéreux de leurs opérations. Il convient en la matière d'avoir une approche hôpital par hôpital.

La plupart du temps, les établissements se sont, d'abord, regroupés en interne – les pavillons dispersés sur plusieurs sites ont été regroupés sur un site unique ou un nombre de sites moins important. La modernisation a plus rarement été l'occasion d'une mutualisation des établissements hospitaliers possédant des personnalités morales distinctes.

Il nous semble que l'évolution des dernières années a abouti à une prise de conscience, débouchant sur la mise en place d'un pilotage plus exigeant de la stratégie d'investissement, qui permettra aux établissements de poursuivre leur modernisation si nécessaire. La responsabilité est partagée : si les tutelles ont été absentes un temps, les gestionnaires hospitaliers ont, de leur côté, parié sur des gains d'activité – qui n'ont pas toujours été réalisés – dans un climat de concurrence avec les autres établissements et sans tenir compte de l'ajustement progressif à la baisse de la tarification opéré par les pouvoirs publics du fait du caractère inflationniste de la T2A. C'est ce qui explique le différentiel entre recettes et activité.

Enfin, nous ignorons quelle est la situation d'endettement des cliniques privées. Notre rapport aborde l'endettement global des établissements de santé privés à but non lucratif, qualifiés d'établissements de santé privés d'intérêt collectif (ESPIC) par la loi, mais la Cour n'est pas compétente pour analyser les comptes des établissements privés à but lucratif, et lorsque nous avons demandé des informations aux cinq principaux groupes de cliniques dans le cadre de notre enquête sur le personnel, nous n'avons obtenu aucune réponse.

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