Intervention de Marylise Lebranchu

Séance en hémicycle du 31 octobre 2014 à 9h30
Amélioration du régime de la commune nouvelle — Présentation

Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique :

Madame la rapporteure, je tiens à vous remercier de votre engagement et des propos que vous venez de tenir. Monsieur Jacques Pélissard, je salue votre pugnacité. Je souhaite remercier également l’ensemble des députés présents ce matin pour discuter d’un texte qui est important car il inclut plusieurs propositions visant à réformer le statut des communes nouvelles.

Ce statut, créé en 2010, n’a pas eu le succès escompté. La période préélectorale explique sans doute en partie cette absence d’enthousiasme. Il est vrai aussi que dans notre pays, pour répondre aux interrogations suscitées par l’émiettement communal, le choix a été fait depuis plusieurs années de favoriser les structures de coopération intercommunale et, parfois, le choix de la coopération a pris le pas sur la nécessité de la fusion.

La progression de l’intercommunalité a été assurée par la garantie apportée aux communes qu’elles avaient plus à gagner dans la mutualisation et la construction de projets collectifs. Dans quelques semaines, cette dynamique intercommunale sera renforcée, puisque nous allons, au Sénat à la fin du mois de décembre, et ici, à la fin du mois de janvier ou au début du mois de février, discuter du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République. C’est précisément dans ce contexte qu’il fallait enfin envisager de trouver les raisons du faible succès que je viens de rappeler, et cette proposition de loi que M. Pélissard et Mme Pires Beaune ont portée ensemble va nous le permettre. Je me souviens aussi de vos déclarations devant l’Association des maires de France, que vous présidez, monsieur Pélissard.

Ce texte constitue donc un outil pour répondre à des préoccupations complémentaires à l’intercommunalité. Cela concerne de petites communes, ou des communes liées historiquement et géographiquement dans l’esprit des habitants, c’est-à-dire entre lesquelles le lien se fait de façon ordinaire, historique, normale, et parfois enthousiaste.

Sur les douze communes nouvelles qui ont été créées, neuf comptent moins de 2 000 habitants, et la plus grande de toutes compte moins de 10 000 habitants. En dépit de son amélioration en 2010, la procédure de fusion n’a donc sans doute pas permis de répondre à toutes les questions.

Dans notre pays, pourtant, lorsqu’on examine la situation, et vous y aviez fait référence, les uns et les autres, lors de votre plaidoyer en faveur de ces dispositions pour convaincre le Gouvernement de vous soutenir, ce qui n’a d’ailleurs pas été difficile, 19 143 communes comptent moins de 500 habitants et 31 521 comptent moins de 2 000 habitants. Nombreuses sont celles qui éprouvent les plus grandes difficultés à faire face à leurs obligations. C’est probablement dans ces communes que les élus et la population expriment le plus fortement leur sentiment d’être abandonné par le service public et par l’État. Il faut y remédier.

Les élus sont démunis car les ressources humaines nécessaires pour faire face aux obligations leur font défaut. Nous espérons que les dépenses incompressibles qu’ils doivent supporter aujourd’hui seront plus largement mutualisées.

On me cite souvent le cas de la commune de Rochefourchat, dans la Drôme, qui ne compte aucun habitant, dix-sept électeurs et trois conseillers municipaux. Il y a aussi le cas de ces petites communes, nombreuses, qui ont eu les pires difficultés à boucler leurs listes pour les élections municipales de mars dernier, je rencontre lors de mes déplacements des élus dans cette situation, et vous le savez aussi bien que moi. Dans soixante-quatre communes, le premier tour de scrutin n’a pu avoir lieu, faute de candidats. Dans le climat de défiance actuel que nous connaissons, l’impossibilité d’exercer cette mission magnifique qui est celle de maire ou d’élu municipal doit interpeller sur les bancs de l’Assemblée nationale, et je sais que ce sera le cas également au Sénat.

Dans les communes nouvelles, au contraire, la mobilisation des élus a donné aux équipes municipales de nouvelles perspectives. Les économies réalisées sur les dépenses incompressibles du fait de la mutualisation ont permis de renouer avec l’investissement, qui avait été abandonné depuis longtemps, non pas par choix mais par obligation.

J’ajoute que dans votre proposition l’identité des territoires est préservée, ce qui était à mes yeux un enjeu majeur. Dans un monde où l’on perd ses repères, il importe en effet de préserver ceux qui peuvent l’être, en dépit de l’évolution de l’organisation des territoires et de la création de nouvelles institutions.

Le fait que le maire délégué dispose de pouvoirs plus importants que les anciens maires associés apporte une certaine stabilité au dispositif, et facilite la prise de décision. Le maire délégué, qui conserve sa qualité d’officier d’état- civil et d’officier de police judiciaire, est ainsi remis au coeur de la République. Ainsi que j’aime à le répéter, nous prônons l’intercommunalité pour sauver les communes parce que le maire, représentant de la République sur les territoires, est un atout très fort de la France. Je ne souris pas des 36 000 communes que compte notre pays. Je dis souvent à nos interlocuteurs que dans un contexte intercommunal bien bâti, nous compterons tout de même à terme plus de 30 000 représentants de la République, ce qui n’est pas le moindre fait de la cohésion de notre territoire.

On peut penser aussi que, loin de s’opposer au développement de l’intercommunalité, des communes plus fortes, gérées par des élus plus enthousiastes, seront plus promptes à collaborer avec les communes voisines. La commune nouvelle redonne ainsi du sens à l’idée de communes fortes dans des intercommunalités fortes. C’est pourquoi vous avez raison de vouloir donner ce nouvel élan à ces communes nouvelles. Depuis un an, l’Association des maires de France, par la voix de son président d’une part, et, d’autre part, le groupe socialiste, par la voix de Christine Pires Beaune, rapporteure de ce texte, ont imaginé des voies d’amélioration de cette proposition dont nous allons discuter après nos interventions liminaires.

Le Gouvernement avait déjà été saisi de ces questions dans le cadre de l’adoption du projet de loi de finances pour 2014, selon vos souhaits, monsieur Pélissard. Nous nous sommes montrés favorables à cette initiative. Vous souhaitez en effet renforcer la place et le rôle des maires délégués, ce qui est la bonne idée. Vous facilitez les procédures de fusion, ainsi que vous venez de l’indiquer, madame Pires Beaune, ce qui est la bonne idée. Vous souhaitez enfin renforcer les incitations financières, notamment en permettant aux communes nouvelles d’obtenir des garanties en matière de dotations de l’État. À un moment où tout est difficile, sur un territoire français en plein redressement, c’est aussi une bonne idée.

Vous proposez par amendement de créer une procédure spécifique pour changer le nom de la commune nouvelle : c’est également une bonne chose. J’évoquais la perte de repères et la question de l’identité tout à l’heure : il n’est pas anodin de parler du nom des communes. Permettez-moi de faire une remarque incidente : le nom magnifique que l’on a trouvé pour les intercommunalités parle trop de la géographie au détriment de l’histoire, et néglige peut-être l’identité et l’appartenance à un pays, à un territoire.

La procédure de droit commun ne reconnaissait pas la création de la commune nouvelle comme un fait générateur suffisant pour changer le nom d’une commune, ce qui rendait la démarche particulièrement complexe sur le plan juridique. Demain, le préfet pourra ainsi, grâce à votre initiative, proposer un ou plusieurs noms aux communes qui pourront donner leur avis au moment de la création de la commune nouvelle. C’est une simplification importante. Le Gouvernement y est favorable et je vois déjà d’ici les échanges qui auront lieu avec la population. La presse quotidienne régionale, que je salue, et dont on parle trop peu, se saisira sans doute rapidement de ces questions intéressantes mêlant l’histoire et l’identité en amont des choix qui devront être faits.

Vous le savez déjà : le Gouvernement est dans l’ensemble favorable à vos propositions. La principale objection que je serai conduite à formuler sur le texte issu de vos travaux en commission concerne la prolongation du nombre dérogatoire de conseillers municipaux des communes nouvelles. Nous en débattrons dans quelques instants. Votre première proposition prévoyait que le nombre de conseillers municipaux de la commune nouvelle pourrait déroger aux règles de droit commun pour la seule période transitoire courant entre la date de création de la commune nouvelle et le renouvellement municipal suivant. Cette disposition s’entendait. En revanche, nous ne pouvons pas accepter de prolonger cette dérogation au-delà du renouvellement de 2020 pour la durée du mandat suivant. Nous ne verrions pas très bien alors à quel moment il faudrait s’arrêter et comment justifier cela auprès de nos concitoyens.

Vous avez néanmoins souhaité maintenir cet amendement. Or cette disposition revêt en outre un caractère anticonstitutionnel. Notre débat sera donc intéressant. Notre responsabilité étant de sécuriser les élus, tâchons de garder à l’esprit que nous sommes en train de régler les suites de la décision du Conseil constitutionnel sur le fameux cas de la commune de Salbris, lequel a soulevé des interrogations sur beaucoup d’autres dispositions.

Je dirai quelques mots enfin sur les amendements qui portent sur l’application de la loi Littoral aux communes nouvelles.

Ils soulèvent, comme vous le savez, le problème de fond de l’application concrète de cette loi et de ses adaptations aux territoires qu’elle concerne. Les sénateurs Odette Herviaux et Jean Bizet ont rendu en janvier dernier un rapport d’information sur ce sujet intitulé « Plaidoyer pour une décentralisation de la loi Littoral : un retour aux origines ». Or nous allons parler en même temps du pouvoir réglementaire à l’échelon régional.

Ce sujet est délicat et extrêmement sensible. Lorsqu’on est passé de la stricte bande des cent mètres du décret de 1979 aux dispositions d’urbanisme de la loi Littoral, tout le monde a voulu que cette contrainte, qui est aussi une chance, soit imposée au territoire dans son ensemble, de manière solidaire, en particulier pour l’élaboration des plans d’occupation des sols, les POS, aujourd’hui plans locaux d’urbanisme ou PLU.

Les auteurs du rapport tentent de montrer que les planifications stratégiques ont souvent été infructueuses, qu’il manque toujours un document d’interprétation permettant de décliner l’esprit de la loi à une autre échelle géographique. Dans certains cas, les réalités topographiques sont en effet difficilement compatibles avec les principes de la loi. Beaucoup de questions sont donc posées dans ce rapport, et nous pourrons y travailler avant l’arrivée en discussion du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République. Le retrait de ces amendements nous permettrait peut-être d’avancer, et c’est la proposition que je vous ferai tout à l’heure.

Pour conclure mon propos, je tiens à vous remercier et à vous féliciter du travail de fond qui a été réalisé, de l’approche pragmatique qui a été retenue et qu’attendent de nous les élus de France. À l’issue du vote de ce texte, ces propositions trouveront une caisse de résonance lors du prochain congrès des maires de France, car il faudra très vite les populariser si par bonheur elles étaient votées à l’Assemblée puis au Sénat, c’est-à-dire non pas par la seule Assemblée nationale mais par le Parlement, car c’est ainsi que s’écrit le droit.

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