Intervention de Chantal Guittet

Réunion du 12 novembre 2014 à 10h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChantal Guittet, rapporteure pour avis :

Ce projet de loi vise à tenir compte d'une double nécessité : réformer notre système d'asile qui souffre d'une série de dysfonctionnements et transposer en droit français plusieurs directives européennes adoptées entre 2011 et 2013 dans le cadre du « paquet asile ».

Le diagnostic – je l'ai constaté au cours de mes auditions – est aujourd'hui largement partagé : le système de l'asile en France est à bout de souffle. Plusieurs rapports, notamment celui que nos collègues Jeanine Dubié et Arnaud Richard ont rédigé dans le cadre du CEC en avril 2014 et celui que Valérie Létard et Jean-Louis Touraine ont remis au ministre de l'intérieur en novembre 2013, soulignent l'inadaptation de notre système et identifient les points à améliorer.

Tout d'abord, malgré les efforts entrepris par l'OFPRA et la CNDA, les délais d'examen des demandes restent très longs : un rapport conjoint de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), de l'Inspection générale des finances (IGF) et de l'Inspection générale de l'administration (IGA), paru en 2013, estime ainsi la durée complète d'une procédure dite « courte » – qui comprend l'examen d'une première demande d'asile par l'OFPRA, puis un recours devant la CNDA – à dix-neuf mois et demi.

De son côté, le dispositif d'accueil apparaît largement saturé. Cette année, malgré la création, de 4 000 places supplémentaires depuis 2012, ce qui représente un investissement important, les centres d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA) ne devraient pas être en mesure de couvrir plus de 38 % des demandeurs éligibles. C'est le dispositif d'urgence qui sert de variable d'ajustement alors que la hausse du nombre des demandes d'asile – commune à tous les pays européens – s'élève à 87 % depuis 2006 et à 7,8 % par rapport à l'année dernière. On estime qu'à l'échelle européenne, le nombre des demandes a doublé en cinq ans.

Nous devons également transposer en droit français trois nouvelles directives du « paquet asile » qui vient d'être adopté au niveau européen : la directive « qualification » qui définit les conditions pour bénéficier d'une protection internationale ; la directive « accueil » qui prévoit les conditions matérielles de l'accueil des demandeurs ; et la directive « procédures » qui établit les normes communes pour l'octroi et le retrait du statut de réfugié. Ces dispositions visent à créer un véritable régime d'asile européen commun (RAEC), faisant appel à des procédures uniques et instaurant des statuts uniformes dans tous les États membres. Plusieurs éléments essentiels font encore défaut, en particulier des règles qui permettraient d'établir une véritable solidarité européenne. Malgré l'existence d'un bureau européen d'appui en matière d'asile, certains pays supportent des charges démesurées par rapport à d'autres États membres, mais également au vu de leurs propres capacités : Malte, par exemple, reçoit 5 300 demandeurs d'asile par million d'habitants, soit cinq fois plus que la France. Néanmoins, ce paquet devrait instaurer une harmonisation plus poussée que celle qui a prévalu dans la première partie des années 2000 : qu'il s'agisse des conditions d'octroi de la protection internationale – statut de réfugié et protection subsidiaire – comme des procédures d'examen des demandes d'asile et des droits reconnus aux demandeurs, nous devons aujourd'hui transposer une moyenne européenne et non plus seulement des normes a minima.

Dans ce double contexte, français et européen, voici les principaux apports du texte dont notre commission est saisie pour avis.

Le projet de loi clarifie et codifie les dispositions applicables en matière de conditions d'octroi de la protection internationale. Les articles 2 à 4 reprennent ainsi explicitement certaines stipulations de la convention de Genève, relative au statut des réfugiés. Des dispositions issues de la directive européenne « qualification » de 2011 sont également insérées dans le code, qui consacre par ailleurs la pratique et la jurisprudence en vigueur en France. Cette clarification rend les conditions de l'asile plus accessibles et plus lisibles – avancée saluée par les associations. Le projet de loi renvoie à la même directive pour l'appréciation des actes et des motifs de persécution au sens de la convention de Genève. Il en résultera bien sûr une meilleure harmonisation.

S'agissant des pays d'origine sûrs – dont la liste fait régulièrement l'objet de critiques au regard de son utilisation par l'État et de l'annulation fréquente de l'inscription de certains pays –, l'article 6 transpose la directive « procédures » qui apporte plusieurs garanties supplémentaires. D'une part, la notion de pays d'origine sûr et ses critères d'appréciation sont définis plus précisément ; d'autre part, l'article pose une exigence nouvelle de pertinence et d'actualisation de la liste de ces pays, notamment grâce à un mécanisme de suspension en cas d'évolution rapide de la situation.

Si les articles 2 à 4 du projet de loi ne modifient pas les principes du droit d'asile – tels qu'ils ont été définis par la convention de Genève et consacrés par la loi –, les articles suivants ont pour objet de rénover en profondeur l'examen des demandes. L'actuelle procédure prioritaire de l'OFPRA devrait être remplacée par une nouvelle procédure dite accélérée, applicable dans un plus grand nombre d'hypothèses. Il s'agit de favoriser un examen plus rapide des demandes manifestement étrangères à un besoin réel de protection. Dans certains cas, strictement définis à l'article 7, l'OFPRA pourra aussi opposer une décision d'irrecevabilité sans examiner au fond la demande, ou clore l'examen d'un dossier. La nécessité de mieux adapter les procédures à la nature des demandes conduit également à prévoir que l'office doit statuer en priorité sur les demandes manifestement fondées, ainsi que sur celles des personnes identifiées comme vulnérables – notamment des mineurs non accompagnés – qu'il faut éviter de laisser trop longtemps dans la précarité.

En ce qui concerne la CNDA, le projet de loi élargit le recours au juge unique, à la place des formations collégiales qui associent un magistrat et deux personnalités qualifiées dont une est nommée par le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Ce juge unique statuera dans un délai de cinq semaines si la demande d'asile a été examinée dans le cadre de la nouvelle procédure accélérée à l'OFPRA ou si elle a fait l'objet d'une décision d'irrecevabilité. Actuellement, un juge unique ne statue à la CNDA, par voie d'ordonnances, que sur environ 20 % des recours.

Cette adaptation des procédures permettra d'améliorer l'efficacité de l'OFPRA et de la CNDA, et ainsi de ramener les délais d'examen des demandes d'asile à des niveaux plus raisonnables ; mais il convient de ne pas réduire la possibilité pour un demandeur de faire valoir son droit à être protégé en France. Si le fonctionnement de notre système d'asile peut certainement être rendu plus efficace, il ne doit pas devenir expéditif pour autant. Ce sont ces deux impératifs d'efficacité et d'équité que le projet de loi s'efforce de concilier. Conformément aux directives européennes et parallèlement à l'aménagement des procédures, il donne ainsi aux demandeurs d'asile des garanties supplémentaires. Ainsi, à l'occasion de son entretien à l'OFPRA, le demandeur pourra être accompagné par un tiers – avocat ou représentant d'une association de défense des droits des étrangers ou des demandeurs d'asile – qui pourra formuler des observations à la fin de l'entretien. Autre évolution notable, le caractère suspensif du recours devant la CNDA sera généralisé. Cela vaudra en particulier pour la nouvelle procédure accélérée, alors que ce n'est pas le cas aujourd'hui pour la procédure prioritaire.

La clarification de la position de l'OFPRA à l'égard du ministère de l'intérieur est également bienvenue. Son indépendance fonctionnelle, dans le cadre de l'exercice de ses missions, est déjà une réalité ; le projet de loi précise que l'office ne reçoit aucune instruction lorsqu'il statue sur une demande d'asile. L'article 10 permettra aussi de poursuivre la professionnalisation de la CNDA, en modifiant les conditions de nomination des deux personnalités qualifiées qui siègent dans ses formations collégiales. Le projet de loi précise que les assesseurs doivent être choisis pour leurs « compétences dans les domaines juridique ou géopolitique ».

Le troisième volet du texte dont nous sommes saisis pour avis – les articles 18 et 19 – tend à améliorer le contenu de la protection apportée aux bénéficiaires du droit d'asile.

Ces dispositions concernent tout d'abord la délivrance des titres de séjour. Conformément à la directive « qualification », le bénéficiaire de la protection subsidiaire se verra délivrer une carte de séjour temporaire de deux ans – au lieu d'un an – lors de son premier renouvellement. Les parents des mineurs sous protection internationale bénéficieront des mêmes droits au séjour que leur enfant.

Afin de permettre aux bénéficiaires du droit d'asile de se déplacer à l'étranger, le projet de loi codifie également la délivrance de documents de voyage spécifiques qui ne sont aujourd'hui mentionnés que dans le code général des impôts.

Le texte consacre par ailleurs le droit à la réunification familiale pour les réfugiés et les bénéficiaires de la protection subsidiaire. À la différence du regroupement familial, cette procédure particulière n'est pas soumise à des conditions de durée de séjour préalable, de ressources ou de logement : les personnes sous protection internationale se distinguent des autres étrangers admis au séjour en France par les raisons qui les ont contraints à fuir leur pays et qui les empêchent d'y mener une vie familiale normale.

Enfin, une disposition du projet de loi confère une base légale aux certificats médicaux demandés par l'OFPRA lorsqu'une protection internationale a été accordée à une mineure en raison d'un risque de mutilation génitale. Le risque peut en effet persister en France ; en cas de refus de transmettre un certificat médical, l'office pourra saisir le procureur de la République.

Au vu de ces observations, je donnerai un avis favorable à l'adoption des articles de ce projet de loi dont notre commission a été saisie pour avis.

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