Intervention de Catherine Teitgen-Colly

Réunion du 22 octobre 2014 à 16h15
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Catherine Teitgen-Colly, vice-présidente de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, CNCDH :

La question des femmes est au coeur des préoccupations de la CNCDH, comme en témoignent les nombreux avis que nous avons rendus. Je peux vous citer, parmi les plus récents, celui du 26 juin 2014 sur la situation des mineurs isolés étrangers présents sur le territoire national, et celui du 22 mai 2014 sur la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel. Par ailleurs, nous avons publié à la Documentation française un très gros rapport sur la traite et l'exploitation des êtres humains en France, lequel avait donné lieu à un avis du 18 décembre 2009.

Nous avons également rendu, le 26 juin 2014, un avis sur la lutte contre les violences et discriminations commises en raison de l'orientation sexuelle et de l'identité de genre et, le 28 novembre 2013, un avis sur les mutilations sexuelles féminines. Notre avis sur les mariages forcés, qui date du 23 juin 2005, prenait le relais d'un avis antérieur, du 17 décembre 2002.

Nous avons ainsi abordé, sous des angles différents, de nombreuses questions touchant à la situation et aux droits des femmes, généralement à l'occasion de projets de lois, mais aussi à notre initiative propre. Ce fut le cas pour le rapport sur la traite, qui fut rédigé par Mme Johanne Vernier et donna lieu à deux journées d'étude au Sénat, organisées par la CNCDH en collaboration avec le Bureau international du travail (BIT).

Je ne résumerai pas chacun de ces avis, mais je reviendrai sur certains points de la réforme du droit d'asile.

Je commencerai par un point que nous venons de signaler à un conseiller au cabinet du ministre de l'intérieur. Il concerne les motifs de persécution et, d'une façon plus générale, la rédaction du projet de loi.

Nous avons regretté que cette rédaction rende le texte peu lisible. Il y a de nombreux renvois, soit au texte de loi, soit aux directives européennes. Je pense plus particulièrement au renvoi à l'article 10 de la directive « qualification » relatif aux motifs de persécution. On peut se demander pourquoi le projet de loi ne l'avait pas cité intégralement, et si les raisons en étaient politiques et tenant à la référence qu'il comporte à la notion, controversée dans le contexte actuel, de genre. Il ne semble pas que ce soit le cas, du moins est-ce la réponse qui nous a été donnée, à savoir qu'un renvoi permettrait d'éviter une mauvaise retranscription du texte en question.

On peut admettre cette explication. Malgré tout, l'absence de l'article 10 dans le projet de loi pose problème dans la mesure où la définition du groupe social, qui est si importante dans le cadre du mariage forcé, des mutilations sexuelles féminines et des réseaux de prostitution, n'apparaît pas. Or la définition du groupe social qui est donnée par la directive prête à confusion dans la jurisprudence.

La Cour nationale du droit d'asile (CNDA) avait rendu des décisions extrêmement intéressantes reconnaissant le statut de réfugié à des femmes contraintes à la prostitution par des réseaux, principalement des femmes africaines. Cassant l'une d'entre elles par une décision du 25 juillet 2013, le Conseil d'État s'est alors référé à une définition du groupe social qui est présentée comme étant précisément l'exégèse de la directive, ou plus précisément de son article 10. Mais ce n'est pas le cas : la définition du groupe social par le Conseil d'État ne correspond pas à celle de la directive. Dans le résumé qu'il en donne, il substitue en effet au cumul des deux conditions qu'elle pose, à savoir des caractéristiques communes aux membres du groupe « et » une perception de l'identité propre du groupe par la société environnante deux conditions alternatives, le « et » de l'article 10-1 de la directive se muant en un « ou ». Toutefois, cette référence initiale erronée est ensuite oubliée puisque la décision de la Cour est cassée au motif qu'en jugeant les femmes victimes de réseaux de trafics d'êtres humains et ayant activement échappé à leur emprise constituaient bien un groupe social sans rechercher si, au-delà des réseaux de proxénétisme les menaçant, la société environnante ou les institutions les percevaient comme ayant une identité propre, constitutive d'un groupe social au sens de la convention, la Cour nationale du droit d'asile avait commis une erreur de droit.

Selon le Conseil d'État, la CNDA n'aurait donc pas dû se contenter de constater l'emprise de réseaux de traite. Elle aurait dû également rechercher comment sont perçues les victimes des réseaux forcés dans la société locale environnante. En l'occurrence, comment une femme nigériane, qui est contrainte à se prostituer, est-elle perçue dans son pays d'origine ? Par cette analyse, il revient donc au texte de l'article 10 de la directive « qualification », selon laquelle il faudrait cumuler deux conditions pour établir l'existence d'un groupe social. Ce n'est pas la position du HCR, qui considère qu'il faut prendre en compte le fait que soit ses membres partagent une caractéristique innée ou une histoire commune qui ne peut être modifiée, ou encore une caractéristique essentielle, soit ce groupe a son identité propre dans le pays en question parce qu'il est perçu comme différent par la société environnante. Cette définition plus souple, puisque reposant sur deux conditions alternatives et non cumulatives, permet d'élargir le champ de la protection que les femmes peuvent recevoir au titre des persécutions qu'elles subissent, ou des risques de persécution qu'elles rencontrent en tant qu'appartenant à un certain groupe social. Je trouve donc qu'il serait intéressant que dans la réforme, on précise bien la définition du groupe social, et dans le sens préconisé par le HCR.

La répétition dans d'autres décisions de l'erreur ici relevée dans la transcription de la directive de même que la référence parfois faite par la CNDA aux Principes directeurs énoncés en la matière par le HCR en 2002 témoignent d'une certaine confusion dans l'appréhension du motif d'appartenance à un certain groupe social et la nécessité d'en préciser la définition dans la loi. Mais cette occasion doit aussi être saisie de privilégier la définition du HCR comme l'y autorise la directive qui permet aux États de « prévoir ou maintenir des conditions plus favorables » que celles qu'elle énonce. La CNCDH y invitera dans son avis en rappelant à cette occasion l'une des difficultés exposée à diverses reprises dans nos avis, à savoir que le droit de l'Union européenne est élaboré sans qu'elle puisse exercer sa mission en faisant part de son expertise en amont, ses avis n'intervenant qu'au stade de la transposition de ce droit.

Il serait donc à ses yeux nécessaire au vu du décalage entre ce que dit le droit européen et ce que dit le HCR, qui est l'interprète de la Convention de Genève, d'adopter la définition plus large qu'il préconise et qui devrait notamment permettre d'éviter que ne soient exclues du bénéfice de la protection internationale des femmes qui sont prises dans des réseaux de prostitution par exemple.

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