Intervention de Catherine Teitgen-Colly

Réunion du 22 octobre 2014 à 16h15
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Catherine Teitgen-Colly, vice-présidente de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, CNCDH :

En fait, la notion de groupe social a été introduite dans la Convention de Genève assez tardivement, par un amendement suédois, sans que l'on n'ait débattu du contenu de cette notion, d'où son caractère un peu fourre-tout.

Elle a été utilisée dans des circonstances relativement limitées, par exemple pour protéger après la guerre froide des personnes qui, dans le sud-est asiatique, avaient travaillé pour le régime déchu. Elle a ensuite été invoquée par des demandeurs ayant des craintes de persécution fondées sur leur genre (mutilations sexuelles féminines, mariages forcés), à leur orientation sexuelle ou à leur identité transsexuelle. Par une décision du 23 juin 1997, qui concernait un ressortissant algérien faisant état de craintes de persécutions liées au transsexualisme, le Conseil d'État a donné une définition du groupe social fondée sur le double critère des caractéristiques communes aux membres du groupe le rendant visible aux yeux des autorités du pays et de la société, et de l'exposition de ses membres à la persécution.

La jurisprudence s'est ensuite assouplie. Le critère de persécutions dans la définition du groupe social a été abandonné, de même que la condition, un temps exigée, de l'origine publique des persécutions, et plus récemment celle de la pénalisation par le pays d'origine du comportement contesté ou encore de revendication de l'appartenance au groupe social dans le pays d'origine. Des femmes ainsi que les parents de filles mineures exposées dans leurs pays d'origine à des risques de mutilation sexuelle ou de mariage forcé, ainsi que des personnes menacées ou victimes de persécution en raison de leur identité transsexuelle ou de leur orientation sexuelle peuvent ainsi se prévaloir avec succès de leur appartenance à un groupe social et voir leurs craintes de persécution prises en compte.

La prise en compte de ces craintes reste cependant limitée par l'exigence du caractère circonscrit du groupe social. Des femmes qui invoquent des craintes du fait de leur refus de se soumettre à un sort dicté par les coutumes et traditions locales ne sont ainsi pas considérées comme constituant un groupe social en tant que femmes. C'est sur le fondement d'autres motifs de la Convention de Genève – motifs politiques, religieux, ethniques, etc. –que leurs craintes peuvent être entendues, notamment lorsque leur refus est devenu revendication d'un autre statut.

Le souci de ne pas voir s'étendre de manière illimitée le groupe social qui conduit à une approche quantitative du groupe social, fermement récusée par le HCR qui s'oppose à ce que le nombre devienne un critère, explique les refus très largement opposés aux femmes qui invoquent des craintes liées à des pratiques généralisées dans leur pays d'origine de mutilation sexuelle, de traite, ou de mariage forcé, et la dérive que l'on observe qui consiste à leur reconnaître alors une protection subsidiaire au lieu de la qualité de réfugié – une protection d'un an qui n'a rien à voir avec le statut de réfugié, qui ouvre droit à la carte de résident de dix ans. Bien sûr, la personne qui a obtenu de l'OFPRA la protection subsidiaire peut très bien former un recours pour obtenir la protection de la Convention de Genève devant la CNDA. Il n'empêche que la Cour elle-même a parfois adhéré à cette simple protection subsidiaire. Ainsi, c'est une protection de seconde zone qui leur a été accordée, même si ce n'est pas systématique. Dans certains cas, ces femmes ont obtenu le statut de réfugiées.

La jurisprudence récente relative aux demandes d'asile formées par des parents invoquant les risques de mutilations sexuelles auxquelles leurs filles mineures nées en France seraient exposées en cas de renvoi dans leur pays d'origine rend compte de cette crainte d'un afflux des demandes comme des hésitations des juges quant à la protection à accorder. Finalement, le Conseil d'État a tranché et reconnu la qualité de réfugié aux femmes mineures au vu de leurs craintes fondées sur leur appartenance au groupe social rassemblant les femmes non mutilées dans un pays où la mutilation est la norme sociale. En revanche, il juge que les parents (la mère) ne relèvent pas d'un groupe social et refuse la qualité de réfugié mais aussi la protection subsidiaire (Conseil d'État, 21 décembre 2012, Mme F.).

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