Intervention de Françoise Dumas

Réunion du 20 novembre 2014 à 9h00
Commission d'enquête chargée d'étudier les difficultés du monde associatif dans la période de crise actuelle, de proposeer des réponses concrètes et d'avenir pour que les associations puissent assurer leurs missions, maintenir et développer les emplois liés à leurs activités, rayonner dans la vie locale et citoyenne et conforter le

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançoise Dumas, rapporteure :

Mes chers collègues, je tiens tout d'abord à remercier les membres de la commission pour leur implication dans ces travaux. Vos questions et vos interventions ont considérablement enrichi nos auditions. Je me réjouis aussi de l'excellent état d'esprit dans lequel chacun d'entre nous a abordé cette commission pendant les six mois qui viennent de s'écouler : cela nous a permis de travailler de façon très efficace.

Quelques mots, tout d'abord, pour rappeler les grands principes qui ont guidé les choix que le président et moi-même avons faits.

Il fallait, bien sûr, accorder une place déterminante à la parole des associations elles-mêmes. Cela a été le sens des nombreuses tables rondes sectorielles : « Culture », « Sport », « Associations caritatives », « Éducation populaire », « Associations de consommateurs », etc. Leurs contenus se sont très souvent recoupés, signe que les difficultés des associations sont largement partagées, même si ces difficultés ont été éclairées à chaque fois en fonction des spécificités du secteur concerné. Tout cela nous a permis d'avoir un panorama très vivant et très concret du monde des associations.

Il fallait aussi tenir compte de la diversité du monde associatif. Cela aurait été une erreur de faire comme si seules les grandes associations nationales existaient, ou comme si seules les « têtes de réseau » avaient un message à faire passer. Évidemment, il était difficile d'échapper à ces interlocuteurs dans le cadre des auditions plénières à l'Assemblée. Mais je me suis efforcée de diversifier les points de vue, en veillant à ce que les « petites » associations ne soient pas oubliées dans le rapport. Notre déplacement dans le Gard avait justement cet objectif. Et les contacts que vous avez eus, dans vos circonscriptions, contribuent également à ce que notre vision ne soit pas marquée par un « biais parisien ».

Nous avons voulu, en outre, rester en cohérence avec d'autres travaux d'origine parlementaire. Je pense, par exemple, au rapport de notre collègue Yves Blein sur la simplification administrative au profit des associations, remis au Premier ministre il y a trois semaines, et au rapport sur l'impact du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) sur la fiscalité du secteur privé non lucratif, remis par nos collègues Yves Blein, Laurent Grandguillaume, Jérôme Guedj et Régis Juanico au Premier ministre en décembre 2013. Je crois pouvoir dire que nous nous rejoignons très largement dans les domaines où nos travaux se recoupaient.

S'agissant du rapport, que vous avez pu consulter depuis mardi après-midi, il s'efforce de répondre le plus exactement possible au mandat de la commission d'enquête, à savoir faire un constat très objectif et le plus précis possible des difficultés que connaît le monde associatif, et proposer des réponses qui ne soient pas des voeux pieux.

Je ne m'étendrai pas sur le premier chapitre, qui dresse un portrait du monde associatif, dont les grands traits sont bien connus : plus de 70 000 créations d'associations chaque année depuis 2002-2003, près de 1,3 million d'associations en activité, même si l'on a du mal à connaître précisément le nombre de celles qui sont « mises en sommeil ». Le poids économique du secteur est important – peut-être en a-t-il surpris plus d'un –, puisque le budget annuel total des associations atteint 85 milliards d'euros, soit 3,2 % du PIB.

Il est fréquemment avancé que le monde associatif est mal connu, mais ce n'est pas vraiment le cas. Les sources d'information sont nombreuses, mais il est très étonnant que les administrations publiques ne soient pas de « bons » producteurs d'informations : l'essentiel de la connaissance vient de quelques universitaires ou de chercheurs regroupés en association. Il est pourtant important de bien connaître le tissu associatif car cela permettrait, par exemple, de développer des indicateurs locaux de la vitalité associative, qui pourraient être valorisés au titre de l'attractivité des territoires ou guider tel ou tel exercice de contractualisation entre l'État et les collectivités territoriales. Une recommandation a été formulée en ce sens.

Les deux chapitres suivants du rapport nous font entrer dans le « coeur » du sujet.

Le chapitre II, consacré aux perspectives financières, fait état de l'inquiétude qui commence à saisir de nombreux acteurs. Il ne faut pas se voiler la face : la situation financière des associations est de plus en plus tendue et les situations de cessation de paiement se font plus nombreuses. La menace est particulièrement forte pour les associations « moyennes », c'est-à-dire celles qui ont des salariés et un budget de quelques dizaines de milliers d'euros.

Quelles sont les tendances lourdes ?

En matière de financements publics, d'abord.

L'effort de l'État se transforme : les dépenses ne progressent plus, mais l'effort fiscal augmente sensiblement – avec 2,4 milliards d'euros prévus pour 2015. Certaines questions ont été soulevées de façon récurrente.

L'exclusion des associations du bénéfice du CICE, d'abord, qui nous empêche de dynamiser le formidable réservoir d'emplois qu'est le monde associatif. Cette situation crée en outre un désavantage concurrentiel, surtout dans les domaines où le secteur privé lucratif s'est positionné. Il faudra prendre les décisions nécessaires pour revenir à l'équilibre antérieur.

Une seconde question a concerné la modification récente du régime du versement transport, qui a fait naître chez de nombreuses associations la crainte d'un prochain assujettissement. Le Gouvernement rendra bientôt un rapport sur cette question, qui devra être réglée dans le collectif de fin d'année.

Une autre question a porté sur la disponibilité des financements confiés à la BPI. Un montant de 500 millions d'euros a été annoncé. Le ministre Patrick Kanner a indiqué que les dispositifs seraient mis en place d'ici à la fin de l'année.

Quant aux collectivités territoriales, elles sont devenues les principaux financeurs publics des associations. À cet égard, la réforme territoriale, dont nous débattons actuellement, suscite l'inquiétude. Le thème des « financements croisés » est revenu à maintes reprises dans les débats : d'un côté, ces financements engendrent une complexité pour les associations, mais, de l'autre, ils assurent une certaine indépendance qui n'existerait pas si l'association était financée par un seul niveau de collectivité. La suppression de la clause de compétence générale inquiète les acteurs, car les départements et les régions financent souvent des associations qui ne sont pas directement dans leur champ de compétence « naturel ». Qu'en sera-t-il demain ? De plus, certains domaines, comme l'éducation populaire, pourraient échapper complètement à un soutien local. Plusieurs options ont été avancées, comme faire de la « vie associative » une compétence partagée ou étendre la liste des compétences que le projet de loi indique d'ores et déjà comme partagées. Le débat parlementaire devra veiller à ce que la diversité du monde associatif soit confortée.

S'agissant des fonds européens, notamment le Fonds social européen (FSE), nous n'avons entendu qu'un seul discours : celui d'une complexité et d'un contrôle excessifs, ce qui amène de plus en plus souvent les associations à ne plus solliciter de financements européens. C'est tout de même paradoxal, et il faudra que les régions s'attellent à simplifier tout cela !

Le rapport évoque enfin les difficultés de trésorerie, de plus en plus menaçantes. Les subventions sont versées trop tardivement et les financeurs publics ont l'habitude de « raboter » leurs concours lorsque les associations font apparaître un excédent. Il faut renverser ces logiques, en permettant notamment aux associations de dégager des « excédents raisonnables » qui leur permettront de renforcer leurs fonds propres.

En matière de financements privés, ensuite.

Nous devons tout d'abord entendre l'appel à la stabilité des dispositifs fiscaux qui confortent la générosité des particuliers et le mécénat des entreprises ; celui-ci devrait être facilité pour les PME, qui pourront ainsi plus aisément contribuer au développement associatif local. La mise en oeuvre de techniques innovantes pour faire appel à la générosité publique, par exemple pour les dons par SMS, se heurte à certains freins, qu'il faudra lever. Au chapitre de l'innovation, certains fondent de grands espoirs sur le financement participatif, d'autres y voient une sorte de miroir aux alouettes. Le développement de la finance participative paraît être une tendance de fond, mais elle devra prendre en compte la spécificité associative.

De nombreuses personnes auditionnées ont regretté l'épée de Damoclès fiscale qui pèse sur le développement des ressources propres, en particulier les ventes aux usagers, puisque au-delà de 60 000 euros de ventes, les associations se voient assujetties aux impôts commerciaux. Les règles fiscales devraient être assouplies pour apporter un ballon d'oxygène aux associations qui souhaitent développer leurs ressources propres : la question du relèvement du seuil de lucrativité est ainsi posée.

Le chapitre III, consacré aux ressources humaines, évoque la situation des dirigeants bénévoles, des éventuels salariés et des bénévoles de terrain. Les auditions ont révélé que chacun des acteurs de l'association souffre en réalité des mêmes évolutions : la complexité administrative de la gestion associative les détourne de leur projet initial ; il leur est difficile, voire impossible, de se former et de se professionnaliser, faute de fonds ; et la crise économique crée des incertitudes, ce qui limite les recrutements et freine l'engagement.

Dans un tel contexte, les dirigeants associatifs bénévoles peinent à trouver des successeurs disponibles, volontaires et compétents, et sont parfois obligés de rester de longues années à la tête de leur association. Je crois que nous sommes tous d'accord pour dire que la création d'un véritable congé pour la prise de responsabilités associatives peut encourager les actifs à faire un premier pas dans la gestion associative et, à terme, à prendre de réelles responsabilités au sein de l'association. Dans le même ordre d'idées, il me semble aujourd'hui nécessaire d'ouvrir les associations aux jeunes, pour qu'ils soient en mesure de prendre la relève.

Pour ce qui est des salariés, il existe des dispositifs, comme le « dispositif local d'accompagnement » (DLA), qui fonctionnent bien et qui doivent être développés. D'autres dispositifs existent, afin de faciliter la vie des associations employeurs, comme le chèque emploi associatif ou les groupements d'employeurs : il faut les faire mieux connaître, car ils sont aujourd'hui clairement sous-utilisés.

Quant au bénévolat, dans lequel réside la valeur ajoutée des associations, des mesures doivent être prises très rapidement. À l'intention des jeunes, d'abord. Jean-Pierre Allossery sera d'accord avec moi : c'est dès l'enfance qu'il faut agir et promouvoir l'engagement associatif. À destination des actifs, ensuite : il faut créer un congé d'engagement associatif, mais aussi développer le mécénat de compétences, qui profite aux entreprises, aux associations et aux salariés bénévoles. Les demandeurs d'emploi et les inactifs ne doivent pas être oubliés : chaque pan de la population doit être incité, par des moyens spécifiques, à s'engager dans l'action associative. Il faut aussi consolider la place des bénévoles déjà actifs, en les formant et en leur permettant d'accéder plus facilement à la validation des acquis de l'expérience (VAE).

Le dernier chapitre du rapport s'intéresse à « l'économie politique » du monde associatif. Dans un premier temps, il explore le terrain des relations entre la puissance publique et les associations. Trois idées forces se dégagent.

Les associations doivent obtenir une meilleure reconnaissance. Cela concerne, bien sûr, les modes officiels que sont la reconnaissance d'utilité publique et les agréments ministériels. En particulier, il faudrait recentrer la première sur sa vocation réelle : être un label de qualité de l'action associative. La reconnaissance passe, surtout, par un autre regard sur le monde associatif. Les administrations connaissent mal ce secteur, ses objectifs et ses contraintes ; les fonctionnaires devraient donc être formés aux réalités associatives. Le monde associatif devrait aussi bénéficier d'une meilleure visibilité dans les médias et d'une plus forte présence à l'école pour ouvrir nos enfants au fait associatif dès leur plus jeune âge.

Sur la simplification, il était difficile d'aller plus loin que notre collègue Yves Blein. Le discours de nos interlocuteurs était de toute façon suffisamment éclairant sur la nécessité d'avancer rapidement dans quelques directions : réduire la complexité des dossiers de financement, aller vers une plus grande dématérialisation, conçue avec les futurs utilisateurs, alléger les contrôles et évaluer l'action associative en accordant une plus large place aux critères qualitatifs, etc. Les recommandations reflètent ces éléments exprimés de façon assez unanime, et il faut s'orienter peu à peu vers le « dossier unique ».

La commission a également été spectatrice du procès de la commande publique. Les arguments ont été répétés à l'envi : les associations deviennent de simples prestataires, elles se trouvent dans une situation de concurrence généralisée, avec le secteur privé lucratif mais aussi entre associations, elles perdent leur capacité d'innovation, elles voient leurs budgets fragilisés car la commande publique ne finance pas les frais de structure, etc. Le rapport veut faire passer le message que la subvention a toute sa place dans la gamme des financements publics et qu'elle n'est pas plus risquée au plan juridique que la commande publique – loin de là… On est ici confronté à un problème de pratiques inadéquates plutôt qu'à un problème de droit inadapté. Il faut donc clarifier le droit existant, en actualisant la circulaire du Premier ministre du 18 janvier 2010, et assortir celle-ci de guides et de documents types, car les petites associations doivent aussi y trouver leur compte.

Le dernier chapitre du rapport évoque, dans un second temps, les mutations en cours du monde associatif. La puissance publique doit s'y associer, mais c'est clairement le secteur associatif qui « a la main ». Il doit veiller à ce que les associations qui veulent entrer en économie, ou qui y sont contraintes par la concurrence croissante du secteur lucratif, ne perdent pas de vue le projet associatif.

Dans ce processus de rénovation interne, l'État ne peut jouer que le rôle de facilitateur vis-à-vis des têtes de réseau, pour conforter la construction du tissu associatif local.

Pour conclure, il me paraît nécessaire d'insister sur deux outils très importants dont nous disposons. D'une part, la loi sur l'économie sociale et solidaire (ESS), évoquée à plusieurs reprises dans le rapport, même si elle ne concerne pas le seul secteur associatif. Les pouvoirs publics doivent appliquer rapidement cette loi dans son intégralité, et je retiens du déplacement à Nîmes que les acteurs associatifs eux-mêmes affirment qu'ils doivent s'en saisir pour changer leur pratique. D'autre part, la Charte d'engagements réciproques entre l'État, le Mouvement associatif et les collectivités territoriales. Il s'agit d'un bel outil qui mérite d'être mieux connu – peu de personnes l'ont spontanément évoqué devant la commission – et, surtout, d'être décliné par le plus grand nombre de collectivités. En traduisant toutes les attentes des associations, mais aussi celles de l'État et des collectivités territoriales, ce texte est un levier politique qu'il nous faut actionner sans tarder.

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