Intervention de Monique Orphé

Séance en hémicycle du 27 novembre 2014 à 9h30
Délai de prescription de l'action publique des agressions sexuelles — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMonique Orphé :

Je m’exprime aussi en tant que parlementaire d’un département où ce problème est encore trop prégnant, comme partout en outre-mer, même si on observe actuellement une dynamique de lutte contre ce que je qualifierais de cancer pour la société réunionnaise.

Ce texte me donne également l’occasion de rappeler que les violences conjugales qui s’expriment de diverses façons, verbales, psychologiques, physiques, sexuelles, sont une grave atteinte au droit fondamental des personnes à vivre en sécurité, une atteinte à la dignité, et qu’elles doivent faire l’objet d’un combat sans concession.

Les chiffres sont là, des chiffres effrayants, qui montrent que c’est encore un combat d’avant-garde et qui nous obligent à la plus grande vigilance : en 2011, 2,2 millions de personnes de 18 à 75 ans ont subi des violences physiques ou sexuelles. Parmi ces victimes, 383 000 ont subi des viols, des tentatives de viol ou des attouchements sexuels. Les victimes atteintes par ce fléau sont à 80 % des femmes, et même à 95 % dans le cas des violences conjugales.

Si elles donnent lieu à de plus en plus de dénonciations, ces violences se heurtent encore trop souvent à la loi du silence, notamment s’agissant des violences sexuelles.

Nous faisons ici face à « un fléau de l’ombre », pour reprendre les termes du docteur Muriel Salmona, spécialisée dans la prise en charge des victimes de violences.

Le droit pénal français punit sévèrement la délinquance sexuelle. Avec la Grande-Bretagne, la France est non seulement le pays dans lequel les condamnations sans sursis total sont les plus prononcées, mais également celui où les peines privatives de liberté prononcées sont les plus lourdes, condamnations qui ne répondent cependant pas au grand nombre d’actes recensés.

Néanmoins, si la loi punit sévèrement ce phénomène, il existe des délais de prescription qui éteignent l’action publique de la victime. Cette prescription varie entre trois et vingt ans en fonction de l’infraction – vous l’avez dit, madame la ministre – et ce sont là des délais qui, au regard de cette proposition de loi, paraissent inadaptés lorsque la victime souffre d’amnésie traumatique.

L’amnésie traumatique est la conséquence d’une souffrance trop forte, d’un choc émotionnel qui conduit parfois la victime à refouler l’événement subi, voire à le nier. La prise de conscience peut en effet intervenir très tardivement, après le délai de prescription, et les victimes qui souhaitent porter plainte se heurtent malheureusement à cette barrière.

Je le disais au début de mon propos : la violence, d’où qu’elle vienne, est à condamner et à sanctionner fermement. Notre responsabilité de législateur est de protéger la victime, et nous le faisons de mieux en mieux.

Néanmoins, si, sur le fond, cette proposition de loi soulève un vrai problème – il ne s’agit pas de le nier, car j’ai été destinataire à la Réunion de courriers en ce sens, encore très récemment –, elle risque de se heurter à un vrai problème d’inconstitutionnalité, que Mme la ministre et ma collègue Colette Capdevielle ont largement évoqué : un risque au regard du principe de légalité des délits et des peines découlant de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen d’abord, et un risque au regard du principe d’égalité des victimes devant l’action en justice ensuite, qui pourrait même causer une régression pour certaines victimes âgées de moins de 38 ans, en les obligeant à apporter la preuve du jour où elles ont pris conscience des faits, alors qu’elles ont aujourd’hui la possibilité de porter plainte sans avoir à justifier du caractère tardif de leur démarche. C’est bien de faire des lois ; encore faut-il qu’elles soient justes et ne créent pas d’autres inégalités.

D’autre part, je ne suis pas convaincue que cette proposition soit la réponse la mieux adaptée aux victimes souffrant d’une amnésie traumatique. La prise en charge de ce type de violence ne saurait en effet se résumer à cette seule proposition. Si l’on permet à la victime d’ester en justice plus longtemps, en augmentant ce délai et en créant un droit imprescriptible, on augmente aussi les difficultés à rassembler les preuves et les témoignages. Dès lors, ne risque-t-on pas d’exposer cette victime à un jugement encore plus pénalisant pour elle, surtout si l’auteur reste impuni en raison des difficultés mentionnées plus haut ?

La victime ne risque-t-elle pas d’être exposée à un deuxième traumatisme faute de réparation ? Non, madame la députée, je ne suis pas certaine que l’échec d’une procédure soit moins douloureux !

Cette loi mérite d’être plus globale, pour prendre en compte les différents aspects des violences sexuelles – viol, mais aussi inceste –, et surtout pour envisager des solutions plus adaptées et plus efficaces pour aider les victimes à sortir le plus rapidement possible de ce type de traumatismes et leur permettre de se reconstruire. Elle doit permettre de répondre au souhait du docteur Salmona, que je partage et que je vous rapporte en ces termes : « Je souhaite que nous arrivions à lutter contre le déni, la minimisation, la loi du silence…

1 commentaire :

Le 28/11/2014 à 01:04, Myrtille a dit :

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Vous citez Muriel Salmona mais vous êtes contre la loi ! Vous faites fort !

Pitié : cessez de parler et de penser à notre place ! Vous n'avez rien compris.

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

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