Intervention de Jean-Christophe Lagarde

Séance en hémicycle du 27 novembre 2014 à 9h30
Financement de la recherche oncologique pédiatrique — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Christophe Lagarde, rapporteur de la commission des affaires sociales :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier les membres de la commission pour leur accueil et pour l’intérêt qu’ils ont porté à cette proposition de loi, examinée le 19 novembre dernier. Les débats suscités par son examen ont été particulièrement riches et je me réjouis de constater que ses objectifs sont partagés sur l’ensemble des bancs de notre assemblée. Cependant, l’analyse détaillée de ses dispositions n’a pas eu lieu, chacun de ses articles ayant fait l’objet d’amendements de suppression adoptés par la majorité en commission.

C’est pourquoi je crois nécessaire de rappeler aujourd’hui ce qui a motivé la rédaction de cette proposition de loi, d’en rappeler le contenu et de rassurer en répondant point par point aux réticences exprimées en commission. Peut-être parviendrai-je à vous convaincre d’adopter un texte en phase avec des objectifs que chacun partage.

Premier rappel : pourquoi cette proposition de loi ? Ce texte est né du constat que les cancers pédiatriques présentent des caractéristiques très spécifiques. La plupart ont des taux de guérison souvent proches de zéro et une épidémiologie très faible, faisant de la plupart d’entre eux des maladies orphelines. Partant, il est logique que l’industrie soit peu intéressée par la perspective de rechercher des molécules dont elle ne pourrait amortir le coût. Seuls les financements publics peuvent donc pourvoir à la recherche dans ce segment spécifique : c’est l’objet de cette proposition de loi que de les susciter.

Deuxième rappel : que propose-t-elle ? À l’article 1er, je me suis inspiré des dispositifs en vigueur mettant à contribution les profits de l’industrie pharmaceutique pour opérer un prélèvement minime, de 0,15 %, que je vous propose en outre, par voie d’amendement, de ramener à 0,05 %. Il s’agit de récolter 10 millions d’euros au profit de l’Institut national du cancer, afin de financer des mesures de recherche spécifiques de recherche oncologique pédiatrique.

À l’article 2, je propose de généraliser la personnalisation des protocoles proposés aux jeunes, enfants et adolescents, atteints de cancer. Cette disposition est en parfaite cohérence avec celles de l’article 1er, mais également avec le plan cancer en cours, comme je vais l’illustrer.

Faute, en effet, d’un examen de chaque alinéa de ce texte, les informations ont peut-être manqué sur l’organisation de ce dispositif. Revenir point par point sur les hésitations qui ont conduit à l’adoption d’amendements de suppression en commission me permettra précisément de l’éclairer en détail. De fait, j’ai constaté l’intérêt de principe de tous les commissaires pour ce texte. Sur tous les bancs, nombreux étaient les collègues qui semblaient prêts à adopter la logique d’une recherche spécifique pour les cancers pédiatriques.

La première objection soulevée est que le troisième plan cancer couvre largement l’objet de la proposition de loi. J’ai souligné à plusieurs reprises la qualité de ce plan, dont les objectifs convergent avec ceux de la proposition de loi : personnalisation, attention particulière à la situation des enfants, analyse génomique de tumeurs, dont trois pédiatriques. Toutefois, je relève qu’en dehors de ce dernier programme bien précis de séquençage génomique, peu de dispositions portent sur la recherche et de tels programmes ont besoin de financements européens.

D’où ma conclusion, que bon nombre d’entre vous partagent certainement, qu’il faut financer des dispositifs de recherche spécifiques, non pas contre le plan cancer, mais en complément de celui-ci. Il reviendrait bien entendu à l’INCA d’allouer ces ressources pour pouvoir les rendre efficaces.

Pour répondre à l’argument selon lequel le plan cancer couvre l’ensemble des besoins, mes travaux de rapporteur m’ont tout de même conduit à relever les besoins suivants, qui ne sont actuellement pas couverts.

Il faut d’abord financer des appels d’offres attractifs sur ce segment de l’oncologie, en encourageant notamment les recherches en immunothérapie : les chercheurs doivent être encouragés à entreprendre des travaux intéressant ces cancers très rares et disposer de perspectives de carrière suffisamment stimulantes. Il est paradoxal de constater aujourd’hui qu’il existe des appels à projets, notamment en immunologie, lorsqu’il s’agit de cancers chez les adultes, mais pas pour les cancers des enfants.

Il faut également systématiser la personnalisation des traitements en développant les moyens de recherche translationnelle, c’est-à-dire les tests in vivo des traitements possibles à un cancer avant administration sur le patient. Dans ce domaine non plus, il n’existe pas d’appels à projets.

Il faut aussi créer un lieu unique de collecte des prélèvements de tumeurs pédiatriques rares. Les chercheurs ont en effet des difficultés pour se fournir auprès des différents centres en matière biologique qui permettrait d’étendre leurs recherches.

Il faut encore financer des études épidémiologiques plus systématiques auprès des familles.

Il faut enfin équiper plus largement les chercheurs, par exemple en technologies de séquençage à haut débit.

Ce sont là autant de mesures propres à donner un contenu concret, accessible rapidement, à l’objectif du plan et de cette proposition de loi, et de personnaliser le plus possible les protocoles proposés aux patients. Pour ces objectifs, de nouvelles ressources sont nécessaires. Elles représenteront un progrès considérable pour les enfants et adolescents, mais les adultes en bénéficieront aussi grâce aux découvertes qu’elles permettront et aux effets d’apprentissage.

Deuxième point : le mode de financement de ces mesures. Il s’agit d’un dispositif d’équilibre, qui porte, si vous adoptez l’amendement que je propose, sur 0,05 % des profits français de l’industrie pharmaceutique et s’inspire des dispositifs en vigueur sur cette assiette, avec un taux de 0,17 % pour la contribution de base et, depuis cette année, de 1,6 % pour la contribution additionnelle.

Le dispositif que je propose prélève une ressource sur les activités pharmaceutiques rentables pour financer de la recherche oncologique jugée non rentable par le secteur privé. Cela semble logique, et d’autant plus qu’une partie des contributions mises en place par la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2014 et que j’ai évoquées finance pour 17 millions d’euros l’organisme de gestion du développement professionnel continu : je vous propose de prélever 10 millions d’euros seulement, destinés à financer non des formations, mais la recherche.

Je reste par ailleurs ouvert à la mise en place d’un financement alternatif si, compte tenu de la modicité des sommes en jeu, le Gouvernement en prenait l’initiative, l’essentiel étant, au-delà des différences politiques, de parvenir à nos objectifs sur le plan de la recherche et d’élargir le compas dans lequel sont aujourd’hui enfermés nombre de chercheurs.

Troisième point : il faut affecter ces ressources à la recherche oncologique pédiatrique. Cette démarche repose sur le fait que les cancers pédiatriques constituent un ensemble de pathologies très spécifiques : très grande rareté des cas, faiblesse de l’effort de recherche privé, paysage génétique particulier au regard de celui des adultes, qui se transforme fortement avec les années.

Il est donc cohérent de diriger des ressources spécifiques vers des cancers spécifiques ; c’est ce que vous propose le groupe UDI.

Certains collègues se sont inquiétés du fléchage d’une ressource vers la recherche sur une pathologie spécifique, mais ce mécanisme est déjà couramment employé. Je crois d’ailleurs que, tous ici, nous soutenons le Président de la République, qui se bat pour maintenir le principe d’une taxe sur les billets d’avion dont le produit finance la recherche sur le SIDA.

Quatrième point : financer la recherche pédiatrique aurait pour effet d’opposer les publics – c’est-à-dire les adultes aux enfants ou adolescents. Or, il n’en a jamais été question et je n’ai reçu nulle remarque d’associations ou de chercheurs à sujet : chacun comprend l’impératif thérapeutique et social qu’il y a à se préoccuper spécifiquement des cancers pédiatriques. Au contraire, le plan cancer fait de l’accompagnement des enfants et mineurs une priorité : la financer à crédits constants consisterait précisément à lui affecter de la ressource théoriquement dévolue à la recherche en faveur des adultes. Or, la ressource que je propose permettra précisément de financer une priorité du plan cancer sans priver du moindre euro les autres publics.

En outre, les progrès que nous réaliserons chez les mineurs bénéficieront in fine à tous : mettre en oeuvre le maximum de ce qui est scientifiquement possible pour l’individualisation des traitements – comme la systématisation des tests précliniques in vivo – permettra de généraliser rapidement ces possibilités en faveur des adultes. Nous aurons alors suscité des moyens et de nouvelles pratiques.

J’espère, mes chers collègues, que ces éléments sont de nature à vous convaincre d’adopter ce texte. Je le répète, le dispositif porte sur un montant très modeste – 10 millions d’euros –, il accompagne et complète les mesures du plan cancer et permettra de financer des besoins spécifiques non couverts aujourd’hui, mais clairement identifiés par la communauté scientifique. Sa mise en oeuvre serait en outre suivie chaque année par le Parlement.

Malgré des divergences, les débats en commission ont montré l’intérêt de tous pour la perspective d’ouvrir davantage de capacités de recherche dans le domaine du cancer pédiatrique. Je vous invite donc à examiner son contenu en détail et à l’amender si vous le souhaitez. Chacun peut se l’approprier et l’enrichir. Pour un montant somme toute limité, il nous offre une occasion rare d’accélérer les progrès dans la guerre que nous menons tous ensemble contre le cancer.

Un sujet devrait nous rassembler : la carence de recherche en cancérologie pédiatrique est une honte pour notre pays, car on ne peut pas dire aux parents concernés par une soixantaine de cancers qui touchent chaque année 400 à 450 enfants environ qu’il n’y a pas de protocole efficace ni de recherche dans le domaine qui les concerne, pour la seule raison que ce n’était pas rentable pour l’industrie thérapeutique. C’est la raison pour laquelle je vous propose que la puissance publique puisse intervenir et dise que, si on ne trouve pas toujours, on n’a pas le droit de ne pas chercher et de laisser ces familles dans une impasse, victimes parfois de charlatans et de marchands d’espoir.

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