Intervention de Jean-Christophe Lagarde

Séance en hémicycle du 27 novembre 2014 à 15h00
Financement de la recherche oncologique pédiatrique — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Christophe Lagarde, rapporteur de la commission des affaires sociales :

Avant que le débat ne s’achève, puisque telle semble être la volonté du groupe socialiste qui propose, dans son amendement no 1 , de rejeter tout le dispositif, contrairement à ce que souhaite Gilles Lurton du groupe UMP, permettez-moi quelques observations. J’ai entendu beaucoup d’argumentations qui reposaient plus sur l’exposé des motifs que sur le principe même du texte. Or, on ne vote pas dans l’hémicycle un exposé des motifs, d’autant que celui-ci date d’il y a deux ans. En effet, l’on ne peut inscrire dans les niches parlementaires que des textes existant déjà. Or, le troisième Plan cancer est intervenu depuis. Cela dit, des progrès ont certes été accomplis, mais je ne pense pas pour autant, contrairement à d’autres, que tous les progrès qui pourraient être faits l’ont été.

Madame la secrétaire d’État, comme Mme Pinville vous avez déclaré que des progrès formidables avaient été réalisés depuis quarante ans en oncologie pédiatrique. Certes, il y en a eu, mais dans de nombreux secteurs, c’est fini. Les progrès les plus spectaculaires concernent les leucémies. Pour une soixantaine d’autres cancers, les progrès sont inexistants – je pense au rhabdomyosarcome, qui est une tumeur maligne des tissus mous chez l’enfant ; aux gliomes malins infiltrants du tronc cérébral ou à certaines formes très rares de leucémies. S’il y a effectivement un progrès dans la statistique globale, c’est essentiellement grâce aux taux de survie des leucémies qui sont de 80 à 90 % – heureusement ! Les progrès ont été réalisés par des essais cliniques, grâce à des molécules recherchées sur l’adulte, puis dosées et testées pour les enfants. Tant mieux pour ces familles ! Reste, toutefois, madame la secrétaire d’État, comme vous l’avez dit vous-même, que nous déplorons environ 500 décès annuels.

Ce que je veux dire par là, c’est qu’il ne devrait pas y avoir de types de cancers pédiatriques sur lesquels aucune recherche ne soit menée. Vous m’avez répondu que soixante ou soixante-dix essais cliniques étaient en cours. De fait, mais leur objet n’est pas la recherche de nouvelles molécules ; il s’agit de tester des molécules existantes pour voir si elles peuvent fonctionner sur l’enfant. Je ne dis pas qu’il n’y pas d’essais ; je dis simplement que la recherche est déficiente.

Comme beaucoup d’entre vous l’ont noté, le principe général de la recherche médicale française, parce qu’il faut qu’une molécule trouvée puisse ensuite être mise à disposition par l’industrie pharmaceutique, c’est que ce soit l’industrie privée qui recherche. Or, celle-ci recherche naturellement dans les domaines qui peuvent être rentables et dont les coûts peuvent être amortis, mais beaucoup moins dans les domaines qui ne le sont pas. Voilà pourquoi nous proposons l’intervention de la puissance publique.

Vous avez dit, madame Pinville, qu’il y avait eu des progrès, notamment grâce à l’accès aux CLIPP. Je les ai également soulignés, mais il n’en reste pas moins que nous avons encore des champs à explorer.

Madame la secrétaire d’État, vous nous dites qu’il s’agit d’un objectif partagé, mais alors le Gouvernement et les députés des autres groupes devraient pouvoir amender le dispositif, le transformer ou le moduler.

J’ai entendu avec surprise que la taxe prévue risquait de ne pas être incitative pour les laboratoires pharmaceutiques, voire qu’elle pourrait avoir pour effet de dédouaner ces derniers, si ce n’est de les désengager. Je ne suis pas membre de la commission des affaires sociales et je n’aurai donc pas souvent l’occasion d’intervenir sur ce genre de sujets dans vos travaux. J’espère que ceux-ci se poursuivront et que nous avancerons sur la question des secteurs inexplorés de l’oncologie pédiatrique. Mais j’ai du mal à entendre que les industries pharmaceutiques risquent de se désengager alors qu’il n’y a pas, aujourd’hui, de recherche de molécules en oncologie pédiatrique.

Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de recherche sur les molécules pour les adultes, mais on se contente d’espérer que les enfants en bénéficieront. Si c’est suffisant pour vous, madame la secrétaire d’État, ce ne l’est pas pour nous.

Je propose de faire passer la taxe que je propose de 0,15 % à 0,05 % parce qu’il y a eu une évolution entre la date du dépôt de cette proposition de loi et celle de son examen en séance. À l’époque, il me semblait nécessaire de dégager une somme de 30 millions pour financer deux volets : 20 millions consacrés au séquençage des tumeurs et 10 millions pour ouvrir d’autres pistes – dont je n’ai pas entendu parler dans les réponses qui m’ont été faites. Il s’agissait de la piste de l’épidémiologie, aujourd’hui inexistante, et de celle de la recherche translationnelle, sur laquelle n’existe pas d’appel à projet. Mais comme, même si ce n’est pas encore officiel, tout le monde semble s’accorder sur le fait que 20 millions d’euros vont pouvoir être dégagés sur des fonds européens pour le séquençage, il ne resterait que 10 millions à trouver. C’est pourquoi je propose de ramener cette taxe à un niveau plus modeste.

En outre, je ne conteste pas l’objectif de la mise à disposition de molécules – cela existe déjà aux États-Unis et le groupe UDI peut y adhérer – mais il devrait être possible de faire des recherches spécifiques à l’oncologie pédiatrique et de ne pas se limiter au recours à l’industrie pharmaceutique pour mener des recherches en oncologie adulte et accélérer la mise sur le marché de la molécule lorsqu’elle a pu être testée sur des enfants.

M. Favennec a déclaré que pour notre groupe, il était fondamental de garantir un accès équitable à des soins de qualité et à l’innovation thérapeutique. Or, aujourd’hui, il n’y a pas d’accès équitable à l’innovation thérapeutique. Un certain nombre de chercheurs et de médecins le vivent évidemment plus que nous. Et, encore une fois, si vous n’êtes pas d’accord avec la solution proposée, amendez le texte ! Nous ne revendiquons aucune paternité en la matière. Si nos idées doivent être reprises autrement et sous peu, pourquoi pas ? Mais nous voulons avancer car si le troisième Plan cancer est un progrès, l’oncologie pédiatrique y est encore insuffisamment abordée.

Je vous sais gré, monsieur Carpentier, d’avoir rappelé que la recherche en la matière était négligée par les industriels, car la proposition de loi vise justement à inciter ces derniers à s’engager plus ou à se substituer à eux si nécessaire. Et si je n’ai pas fait une telle proposition dans le cadre du PLFSS, c’est parce que le président de la commission des finances m’a opposé l’article 40 de la Constitution, estimant que je proposais là une charge nouvelle. Présenter cette proposition de loi était donc la seule manière d’avoir un tel débat dans l’hémicycle, et je remercie le président Vigier de m’avoir permis de le faire.

Vous nous demandez aussi, monsieur Carpentier, de soutenir des textes qui viennent de l’autre bord s’ils nous paraissent bons. Nous l’avons déjà fait : souvenez-vous, par exemple, des emplois d’avenir. Nous voulons être une opposition constructive. On peut proposer, approuver, et aussi tout de même contester quand on est dans l’opposition, vous en conviendrez.

Madame Delaunay, vous avez rappelé les progrès accomplis depuis quarante ans, mais je vous ferai la même réponse qu’à Mme la secrétaire d’État : il n’y a pas eu de nouvelle molécule pour l’oncologie pédiatrique en quarante ans, ni de recherche spécifique. Vous me reprochez d’avoir déclaré que c’était honteux pour notre pays, mais il n’est pas tenable pour une société d’expliquer que l’on n’a pas recherché sur des cancers qui ont encore aujourd’hui 100 % de létalité. Vous m’avez parlé en commission de traitements par rayons, mais pourquoi n’y a-t-il aucun appel à projet de recherche sur ces cancers, quand bien même ils touchent très peu d’enfants ? Une société qui n’est pas capable de répondre à ces enfants et à leurs parents autre chose qu’ « on n’a pas cherché parce que ce n’est pas rentable pour l’industrie pharmaceutique et qu’on n’est pas capable de dégager des moyens publics », nous paraît inacceptable.

Et puis vous me reprochez une deuxième fois, après l’avoir fait en commission, de dresser une frontière entre les cancers des adultes et ceux des enfants. Mais cette frontière existe : rencontrez les chercheurs comme je l’ai fait en préparant mon rapport, et vous verrez qu’ils regrettent de ne pas pouvoir répondre à des appels à projet financés dans le domaine de l’oncologie pédiatrique et que leurs équipes ne puissent pas y projeter une carrière. Ils se tournent donc vers ce qui permet de développer des projets de recherche de long terme, soit pour l’essentiel dans le domaine de l’oncologie adulte.

Enfin, j’ai été assez surpris, madame Delaunay, de vous entendre dire que vous ne pouviez me suivre sur le principe d’une telle taxe. Pourtant, vous comprenez bien celui d’une taxe à 1,6 % qui va rapporter 320 millions, puisque vous venez de la voter il y a quelques semaines, alors que le principe d’une taxe à 0,05 %, qui rapporterait 10 millions, vous choque.

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