Intervention de l'ingénieur général Jean-Luc Volpi

Réunion du 26 novembre 2014 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

l'ingénieur général Jean-Luc Volpi, directeur central du service des essences des armées :

Le recours à des véhicules électriques ne s'envisage pas sur les gammes tactiques des forces. Toutes les gammes tactiques, qu'il s'agisse de vecteurs d'armes ou de vecteurs logistiques terrestres, doivent en effet pouvoir fonctionner sur l'ensemble des théâtres avec une énergie qui soit facilement stockable, transportable et distribuable. Aussi, le moteur cycle à quatre temps a-t-il encore de beaux jours devant lui. Au demeurant, sur les théâtres extérieurs, ce ne sont pas les produits terrestres que l'on consomme le plus mais davantage du carburéacteur, dès que la dimension aérienne et aéromobile est déployée. Pour cette raison, le service privilégie l'emploi du carburéacteur comme carburant diesel, cette logistique monocarburant permettant de réduire l'empreinte du soutien pétrolier sur le théâtre. L'usage de véhicules électriques relève d'une volonté politique au niveau du ministère, mais elle est davantage pilotée par le secrétariat général pour l'administration et concerne la gestion des flottes dites blanches, c'est-à-dire des véhicules de la gamme commerciale.

Dans le domaine des produits verts, le service des essences des armées entretient une veille technique. Aujourd'hui, il n'y a pas de crédits dédiés au sein du ministère de la Défense, en tout cas au service des essences, pour faire de la recherche dans ce secteur. Par contre, le service essaie d'anticiper les évolutions. Par exemple, dans le cadre de l'aviation civile, le SEA anime le comité français de coordination du carburéacteur depuis 1998, comité qu'il a créé afin de réunir le monde de la logistique pétrolière française qui oeuvre dans les produits aviation. Si ces produits verts apparaissent sur le marché, le SEA sera chargé, en amont, d'appuyer la qualification de ceux-ci pour les équipements militaires. Il est exact que l'armée américaine expérimente davantage dans ce domaine et y consacre des crédits conséquents. Mais la démarche de l'État fédéral américain, qui s'appuie sur le volume de son armée, vise à créer un effet d'entraînement plus général pour l'économie du pays. En France, la Défense représente une faible portion de la consommation énergétique totale. Toutes énergies confondues (pétrole, électricité, etc…), les armées ne pèsent que 0,45 à 0,5 % du total français. Sur le marché des produits pétroliers, on atteint difficilement le 1 %. Par contre, compte tenu de la domination des carburants aviation dans nos consommations, pesant 60 à 70 % des produits pétroliers consommés dans nos armées, nous représentons 8 % de la consommation sur le marché national des produits aviation.

Nos réserves stratégiques de carburéacteur diminuent effectivement, puisque nous avons actuellement un objectif de constitution de stocks de 250 000 m3 et que nous allons le réduire de l'ordre de 57 000 m3, après observation du rythme de consommation des forces en métropole au cours des trois dernières années et en accord avec l'état-major des armées. Cette modification de nos objectifs permet la diminution du nombre de dépôts évoquée précédemment.

Pour répondre à votre question sur le soutien que nous apportons à la gendarmerie, j'observerai en préalable qu'au cours de ma longue carrière au service des essences j'ai pu observer combien l'État était conduit à s'appuyer sur les services en mesure de continuer à fonctionner lors des crises affectant l'approvisionnement en hydrocarbures. Or, avec la libéralisation progressive du secteur, il a perdu une bonne partie de ses leviers et seule demeure véritablement la Défense, et en son sein le SEA. Une meilleure connaissance de l'activité des soutes à carburant et une coordination accrue au sein d'un réseau en temps normal permettent aussi d'être mieux à même pour répondre aux besoins des services d'utilité publique en temps de crise, dans un cadre interministériel. Telle est la raison d'être de cette coordination, qui au demeurant s'effectue sans coûts supplémentaires de personnels car elle repose largement sur l'externalisation et sur des contrats d'acquisition. À la demande du service des achats de l'État, nous passons ainsi depuis 2012 des accords-cadres pour la fourniture de cartes de carburants des grands réseaux, et la gendarmerie en est bénéficiaire en passant un marché subséquent, comme d'autres administrations d'ailleurs. Si la gendarmerie avait un peu trop compté sur ces mêmes cartes et démantelé un certain nombre de ses stations-services, l'interruption de toutes les raffineries lors de la crise d'octobre 2010 l'a amenée à reconsidérer cette démarche.

S'agissant du rythme de consommation d'hydrocarbures par les armées en fin d'année, je rappelle tout d'abord que nous sommes gestionnaires du compte de commerce et qu'il appartient à chacune des armées de financer sa consommation sur son propre budget de fonctionnement. En réalité, il me semble que la situation en la matière est désormais très tendue et qu'il est souvent nécessaire d'obtenir des crédits supplémentaires par décret d'avances pour pouvoir terminer l'année.

Pour illustrer le rôle des externalisations dans le soutien aux opérations extérieures, je vais prendre l'exemple de l'opération Serval au Mali. Compte tenu des élongations sur le terrain et de l'absence d'industrie pétrolière nationale sur place, nous avons déployé 140 personnels dès le début de l'opération. Toutefois, au fur et à mesure que le tissu local s'adaptait à la demande, nous avons progressivement procédé à des externalisations des boucles amont. Il convient de relever que nous avons la chance de pouvoir nous appuyer sur le groupe Total, de dimension internationale et qui, à la différence d'opérateurs anglo-saxons, est encore très présent à l'intérieur même de l'Afrique. Nous bénéficions donc d'une connaissance très fine du tissu industriel pétrolier sur ce continent. Nous avons ainsi pu ramener à 60 le nombre de personnels du SEA projetés actuellement dans la bande sahélo-saharienne. En matière d'interopérabilité, nous y sommes davantage soutenants que soutenus. Par exemple, c'est le SEA qui assure l'approvisionnement en carburant des drones américains basés au Niger, ce qui illustre le degré de confiance de l'armée américaine dans notre organisation. Nous accueillons d'ailleurs actuellement deux de ses officiers pour une quinzaine de jours, ce qui nous permet d'entretenir nos excellentes relations avec la Defence Logistics Agency - Energy. Dans le domaine qui nous intéresse, il n'y a de fait que deux acteurs dont la voix porte vraiment au sein de l'OTAN : les Américains et nous-mêmes. Les Britanniques sont en train de reconstruire leur filière de soutien pétrolier, montrant ainsi leur capacité à revenir sur les erreurs commises antérieurement.

En ce qui concerne les avions et les pétroliers ravitailleurs, nous n'intervenons pas dans la détermination de leurs spécifications, à l'exception des lubrifiants qu'ils utilisent. Les carburants transportés par ces matériels sont achetés « sur étagères » et obéissent dans le domaine aéronautique à des spécifications internationales. Nous intervenons jusqu'à la phase d'avitaillement et procédons à des contrôles de l'état des carburants transportés lorsqu'ils ne sont pas intégralement consommés et doivent être réutilisés ultérieurement dans la chaîne d'approvisionnement. Notre mission de contrôle de bout en bout jusqu'à l'avitaillement s'exerce de la même manière en OPEX. Ainsi, lorsque nous soutenons des flottes d'hélicoptères en plein Sahara, nous déployons des pôles d'avitaillement pour garantir la qualité du produit fourni, parfois dans des conditions difficiles.

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