Intervention de Meyer Habib

Séance en hémicycle du 4 décembre 2014 à 15h00
Déchéance de nationalité pour les atteintes aux forces armées et de police — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMeyer Habib :

Comme je l’ai demandé à M. le ministre de l’intérieur le 29 octobre dernier dans le cadre de la commission des affaires étrangères, combien de Français partis pour le djihad ne sont pas encore répertoriés ? De combien de Mohammed Merah potentiels parlons-nous exactement ? Ces compatriotes n’hésitent pas à prendre les armes pour combattre aux côtés des terroristes contre nos forces, en Afghanistan ou au Mali par exemple, tel ce Français arrêté par les forces françaises au Mali le 30 avril 2013, converti à l’islam en 1985 et parti rejoindre en 2012 avec sa famille les troupes d’Al-Qaeda au Maghreb islamique pour combattre contre l’armée française engagée dans ce pays dans le cadre de l’opération « Serval » ! La menace pour notre pays et pour les forces françaises est donc bien réelle ! Elle est d’autant plus inquiétante que la plupart de ces citoyens français ont pour objectif de revenir en Europe et en France afin de s’y transformer en véritables machines à tuer, passant de l’endoctrinement idéologique et de la formation militaire aux attaques barbares isolées contre nos civils !

Ce sont précisément ces citoyens que vise la proposition de loi. Dois-je vous rappeler, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, que le djihadisme a tué chez nous il y a deux ans, à Toulouse, dans une école de la République, à bout portant, trois enfants de quatre, cinq et sept ans ainsi que leur papa, et la veille des militaires, nos propres soldats ? Il ne s’agit pas là d’un simple cauchemar mais d’une triste réalité ! Je crains hélas qu’un tel danger prenne forme à tout instant à Paris ou n’importe où sur notre territoire. Dois-je rappeler que Mehdi Nemmouche, djihadiste français, a commis un quadruple assassinat au Musée juif de Bruxelles le 24 mai dernier ? Le texte que nous examinons aujourd’hui vise à déchoir de sa nationalité tout Français arrêté, surpris ou identifié luttant contre les forces françaises ou leurs alliés les armes à la main ou par fourniture de moyens à l’occasion d’une intervention de l’armée française ou des forces de police, sauf si la déchéance a pour résultat de le rendre apatride.

Dès le mois de septembre, Jean-Christophe Lagarde a également proposé de déchoir de leur nationalité les Français ayant pris les armes au profit de groupes terroristes. J’ai moi-même proposé à deux reprises une telle disposition lors du débat dans l’hémicycle du projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme, en première puis en deuxième lecture. La déchéance de nationalité doit demeurer l’exception, nous en sommes tous d’accord. En vertu des principes de la République, la naturalisation ne saurait être assimilée à une admission provisoire et révocable dans la communauté nationale. L’acquisition de la nationalité doit demeurer un acte fort et symbolique constituant l’aboutissement d’un parcours d’intégration réussi et irréprochable. Il ne s’agit en aucun cas de remettre en cause ces valeurs fondamentales.

Pour autant, est-il acceptable que des Français luttant contre leur propre pays, contre nos propres forces, continuent de jouir des bienfaits et des droits attachés à leur qualité de citoyen français ? Des individus qui vomissent la France et s’affichent ouvertement comme ennemis de la France peuvent-ils encore revendiquer la nationalité française ? Laisser la nationalité française à ceux qui bafouent les devoirs les plus élémentaires dus à notre République, n’est-ce pas une aberration ? Outre la portée symbolique que l’on a bien voulu lui prêter, une telle disposition serait avant tout une mesure de prévention et de protection que doit la République à l’armée française et à nos forces de police mais aussi à l’ensemble de nos concitoyens. Oublions donc nos clivages politiques, chers collègues, et soutenons ensemble une telle mesure ! La lutte contre le terrorisme n’est ni de droite, ni de gauche, mais bien une cause nationale !

Notre droit actuel permet de déchoir de leur nationalité les individus s’étant livrés au profit d’un État étranger à des actes incompatibles avec la qualité de Français et préjudiciables aux intérêts de la France, mais il ne prévoit pas explicitement le cas de ceux qui portent les armes contre nos soldats ou nos forces de police. La proposition de loi pallierait cette carence en traitant un phénomène nouveau qui menace les bases et la sécurité de notre société. À ce titre, rappelons que le Conseil constitutionnel a considéré dans sa décision du 16 juillet 1996 qu’en raison de l’objectif de renforcement de la lutte contre le terrorisme, la différence de traitement résultant de la déchéance peut être prévue sans contrevenir au principe d’égalité. Enfin, la proposition de loi présente aussi l’avantage de ne pas appliquer aux individus visés par le texte la condition selon laquelle les faits reprochés à l’intéressé doivent avoir été commis antérieurement à l’acquisition de la nationalité française ou dans un délai de dix ans à compter de la date de son acquisition, ce qui évitera d’aboutir à des situations absurdes dans lesquelles un citoyen français naturalisé depuis onze ans engagé dans un mouvement terroriste échappe à une procédure de déchéance de nationalité.

Si je salue la proposition de loi, je m’interroge aussi sur ses limites. En effet, elle ne vise pas tous les individus engagés dans les filières djihadistes et ne traite pas le cas des détenteurs de la seule nationalité française. Pourquoi être timoré dans une démarche ambitieuse et s’abstenir de dépasser les obstacles constitutionnels afin de s’assurer qu’aucun individu, binational ou non, ne puisse revenir en France et faire usage de ses droits pour tuer ? Pouvons-nous vraiment courir le risque qu’un « Toulouse II » se matérialise ? L’exercice est délicat, je le concède, car contrairement aux terroristes, nous avons, nous, des considérations de respect de l’autre et de la vie humaine qui limitent notre capacité d’action. Nous sommes fiers des principes énoncés dans notre Déclaration des Droits de l’Homme et notre Constitution. La France accorde une importance inégalée au respect juridique et moral de l’individu. Nous sommes heureusement des humanistes. C’est pourquoi la France hésite souvent à prendre des mesures radicales rappelant les régimes totalitaires que nous réprouvons évidemment.

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