Intervention de Gérard Bapt

Réunion du 21 novembre 2012 à 17h15
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGérard Bapt, rapporteur :

Nous examinons en deuxième lecture la proposition de loi visant à suspendre la commercialisation de tout conditionnement alimentaire comportant du bisphénol A. Adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale le 12 octobre 2011, elle a été examinée par le Sénat lors de sa séance du 9 octobre 2012.

Faut-il rappeler que le bisphénol A est plus que suspecté d'être responsable de perturbations endocriniennes et de troubles de la reproduction chez l'homme ? Il existe aujourd'hui des preuves scientifiques suffisantes pour que la suppression du bisphénol A dans notre alimentation constitue une priorité. Je signale à cet égard une étude américaine récente parue dans le Journal of the american medical association, une des revues médicales à comité de lecture les plus importantes, menée par le Dr Leonardo Trasande sur une cohorte de 2 800 jeunes âgés de 6 à 19 ans suivie par le service de pédiatrie de l'université de New York : il ressort de cette étude que les jeunes ayant le taux de bisphénol A dans le sang le plus élevé ont deux fois plus de risques d'être en surpoids que leurs camarades qui ont le taux de bisphénol A le plus bas.

Cette réalité n'est d'ailleurs aujourd'hui plus niée par les industriels, ce qui constitue une évolution notable. Il y a encore trois ans, ces derniers affirmaient, en s'appuyant sur les travaux des agences sanitaires, que le bisphénol A ne présentait aucun danger. La ministre de la santé de l'époque, Mme Roselyne Bachelot, répondait d'ailleurs de même aux questions posées par les parlementaires.

Les professionnels sont désormais engagés dans la recherche de substituts : il s'agit là d'un enjeu très important car le bisphénol A est largement utilisé, et pas seulement dans la fabrication des pare-chocs ou des boucliers des compagnies républicaines de sécurité (CRS), mais aussi dans les contenants alimentaires, que ceux-ci soient en plastique ou en métal.

En ce qui concerne les contenants de denrées alimentaires, les auditions que j'ai conduites ont montré qu'il existe d'ores et déjà des solutions alternatives. Les résultats de l'appel à contribution de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) publiés le 28 juin 2012 donnent une liste de 73 substituts disponibles, pour des usages différents. La plus grosse difficulté réside dans la recherche de substitut aux résines couvrant l'intérieur des boîtes métalliques destinées à contenir des aliments acides, mais une entreprise suédoise commercialise déjà des conserves, notamment de sauce tomate, réputée pour être acide, dans des contenants à base de carton. Ainsi, si ces solutions alternatives ne sont pas encore toutes opérationnelles, la fixation d'un délai contraignant pour la disparition du bisphénol A doit permettre de mobiliser les industriels. Certaines entreprises, pas forcément françaises, mais certaines sont françaises, ont pris de l'avance sur le sujet, il s'agit de ne pas manquer ce tournant.

S'il faut faire attention à ne pas pénaliser notre industrie par des contraintes trop fortes, il faut en même temps l'inciter à se moderniser. La pression du consommateur ainsi que des militants et des lanceurs d'alertes en réaction au rôle joué par les perturbateurs endocriniens dans le développement de certaines pathologies (cancers, obésité) a déjà porté ses fruits et il convient maintenant que les industriels se mobilisent pour être compétitifs dans la production d'emballages alimentaires garantis « sans bisphénol A ». Cela ne leur servirait à rien en effet de continuer à produire des emballages dont le consommateur ne voudrait bientôt plus.

Il s'agira aussi de convaincre nos partenaires européens, comme nous avons réussi à le faire à propos des biberons. À la suite de la notification par la France à la Commission européenne de la loi du 30 juin 2010, cette dernière a non seulement autorisé la mesure de sauvegarde mais l'a étendue à l'ensemble des États membres depuis le 1er mars 2011 en présentant une directive interdisant la commercialisation de biberons contenant du bisphénol A, alors même que l'agence sanitaire européenne, l'agence européenne de sécurité sanitaire des aliments (EFSA), ne recommandait pas une telle interdiction. Cette dernière est malheureusement très en retard et sujette à critiques en raison du nombre de conflits d'intérêts non traités en son sein, comme en témoigne la démission récente de la présidente de son conseil d'administration.

Trois pays européens ont d'ores et déjà décidé d'interdire la commercialisation des contenants de produits alimentaires comportant du bisphénol A et destinés à la petite enfance : le Danemark en 2010, la Belgique et la Suède en 2012. En France, 95 % des contenants des produits destinés à la petite enfance ne comportent déjà plus de bisphénol A.

La principale modification apportée par le Sénat concernant le bisphénol A est le report de dix-huit mois de l'entrée en vigueur de la suspension de la commercialisation de conditionnements alimentaires contenant du bisphénol A, soit du 1er janvier 2014 au 1er juillet 2015. Je vous propose de laisser cette date, dans la mesure où un an s'est écoulé depuis la première lecture, et où il faut permettre aux industriels de tester la fiabilité de leurs nouveaux produits. Il convient néanmoins d'insister sur le fait que le mouvement est lancé et qu'il est irrémédiable.

Je propose aussi qu'un rapport soit remis par le Gouvernement au Parlement un an avant cette date, afin de s'assurer qu'il existe des substituts fiables pour l'ensemble des applications du bisphénol A en matière de conditionnement alimentaire. En effet, tout l'enjeu est de trouver des substituts évalués, ayant fait la preuve de leur innocuité. Il ne s'agit pas de remplacer une substance toxique par une autre ayant les mêmes inconvénients.

Par ailleurs, le Sénat a étendu le champ de cette proposition de loi aux dispositifs médicaux au regard de la présence de phtalates et d'autres substances suspectées de toxicité dans les matériaux les composant.

Un amendement de Mme Chantal Jouanno a prévu l'interdiction de tous les dispositifs médicaux comportant des perturbateurs endocriniens ou des substances CMR (cancérogène, mutagène, reprotoxique), soit environ 400 substances. Ces dispositions à la portée beaucoup trop large me semblent inapplicables. Je vous propose donc de supprimer les alinéas 8 à 11 de l'article premier.

En revanche, le Sénat a adopté un amendement de M. Gilbert Barbier qui me semble plus réaliste : il s'agit d'interdire trois phtalates des dispositifs médicaux destinés aux services de maternité, de néonatalogie et de pédiatrie. J'ai rencontré les représentants du secteur : il existe des substituts à un de ces trois phtalates, qui est à la fois le plus utilisé et le plus décrié par les scientifiques, le di (2-éthylhexyl) phtalate (DEHP). Je propose donc de limiter l'article 3 au seul DEHP.

En ce qui concerne les deux autres phtalates, je propose que le rapport prévu par le Sénat à l'article 4 étudie la recherche de substituts et pousse l'expertise plus avant, car ces trois phtalates sont déjà interdits au niveau européen dans la composition des jouets et des objets de puériculture.

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