Intervention de Vincent Beaugrand

Réunion du 3 décembre 2014 à 9h30
Commission des affaires sociales

Vincent Beaugrand, directeur du Fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture universelle du risque maladie, Fonds CMU :

Plusieurs questions ont porté sur le résultat du Fonds CMU et le reversement de son excédent à la CNAMTS. En fait, le coût moyen de prise en charge de la CMU-C par la CNAMTS est de 440 euros par bénéficiaire, soit un montant supérieur au forfait de 400 euros que le Fonds CMU lui reverse en cours d'année. En fin d'exercice, le Fonds reverse non pas l'intégralité de son éventuel résultat positif, mais la différence entre 440 et 400 euros multipliée par le nombre de bénéficiaires. Il ne s'agit donc pas d'un reversement illicite qui viendrait combler quelque trou, mais le versement du reste à charge de la CNAMTS.

J'ai dû mal m'exprimer : je n'ai pas voulu dire que le nombre de bénéficiaires allait baisser. D'ailleurs, nous bâtissons toujours nos perspectives financières sur l'hypothèse qu'il va augmenter. L'excédent que nous enregistrons, nous le devons à la croissance dynamique de nos ressources, assises sur le chiffre d'affaires des complémentaires santé, celui-là toujours en hausse. Nous accuserons un déficit à partir de 2015. Néanmoins, grâce au report à nouveau, nous pourrons maintenir un résultat positif jusqu'en 2017. À partir de cette date, il faudrait que la croissance du nombre de bénéficiaires soit plus faible. Mais peu d'économistes peuvent dire aujourd'hui quelle sera alors la situation.

Il n'y a pas d'études permettant de savoir quelles sont les pathologies des bénéficiaires de la CMU-C – c'est, pour nous, une voie d'amélioration. La seule chose que l'on sache, c'est que 20 % d'entre eux sont en affection de longue durée (ALD), ce qui explique nos coûts un peu plus élevés.

Les raisons que j'ai cru comprendre, n'étant pas encore directeur à l'époque, à l'échec de la création d'un label ACS tiennent à un désaccord sur le niveau de précision, que l'État souhaitait très élevé alors que l'UNOCAM demandait plus de souplesse. Faute d'accord, le mode de régulation finalement choisi est le dispositif, adopté par l'Assemblée nationale l'année dernière, d'une mise en concurrence avec sélection de contrats.

Face aux craintes de voir trop peu de mutuelles retenues, le Parlement a adopté, dans le cadre de la loi de financement rectificative de la sécurité sociale de l'été dernier, la possibilité de faire de la co-assurance, c'est-à-dire que les organismes complémentaires sont autorisés à s'unir pour répondre à la mise en concurrence. Aujourd'hui, on sent un mouvement de partenariat en ce sens entre certaines mutuelles, y compris des petites.

La question de la transition fait l'objet d'une attention particulière de la part de l'État, du Fonds CMU, des caisses primaires d'assurance maladie et des organismes complémentaires. D'ores et déjà, une obligation légale est faite aux organismes complémentaires qui ne seront pas retenus d'indiquer aux bénéficiaires comment procéder. Nous travaillons aujourd'hui sur un modèle de lettre et sur les supports d'information à leur fournir. En tout état de cause, le dispositif deviendra plus lisible ; les offres plus restreintes et certifiées par l'État faciliteront le choix.

La qualité des offres sera déclinée en trois paniers de soins : le minimum, répondant principalement aux besoins des jeunes ; l'intermédiaire, ciblant un peu plus les familles ; le plus élevé, davantage destiné aux personnes un peu plus âgées qui ont besoin de plus de soins. Bien sûr, chaque bénéficiaire sera libre de choisir entre ces trois paniers. Les organismes complémentaires devront soumettre des prix pour chaque panier de soins. Le cahier des charges prévoit également des critères hors prix, comme les réseaux de santé, les réseaux de soins, les actions de prévention, la diffusion et l'accompagnement. Ces critères ne constitueront certes pas la part déterminante de la sélection, mais ils apporteront néanmoins une plus-value.

Actuellement, 47 % des bénéficiaires de l'ACS choisissent un contrat de catégorie E dans la classification DRESS, c'est-à-dire un contrat qui ne serait plus responsable aujourd'hui. La mise en concurrence va donc très largement améliorer les choses.

Pourquoi ne pas aller jusqu'à une délégation de service public en ne choisissant qu'un organisme complémentaire ? Entre un dispositif totalement régulé, c'est-à-dire une CMU-C étatisée, et un libre marché comme c'est le cas aujourd'hui, le Gouvernement a finalement retenu une position intermédiaire que je n'ai pas à commenter.

S'agissant d'autres critères de sélection qui pourraient être retenus, ATD Quart Monde se bat beaucoup pour une garantie obsèques. Ce critère n'a pas été intégré dans le panier de soins, car il ne fait pas partie du domaine de l'assurance maladie tel que défini légalement ; ce n'est pas un soin.

Le refus de soins, qui consiste à ne pas accepter un patient au motif qu'il est allocataire de la CMU-C ou de l'ACS, a été soulevé par plusieurs d'entre vous. Ce sujet, qui en recouvre d'autres, est très compliqué à traiter avec les professionnels de santé. Le refus de soins existe bien, mais pas dans tous les territoires ni dans tous les secteurs – il est surtout observé en secteur 2 et soins dentaires –, ainsi que l'ont montré des tests en situation effectués par le Fonds CMU en 2006 et 2008 et, plus récemment, par le Défenseur des droits. Des voies de recours et de conciliation existent au niveau des caisses primaires d'assurance maladie, les différents ordres, tel l'Ordre des médecins, étant chargés des mesures disciplinaires. Cela dit, quand on est victime d'un refus de soins, la priorité n'est pas de le signaler mais de se faire soigner. Finalement, peu de de signalements sont faits par voie judiciaire.

Le refus de soins est non seulement très stigmatisant, mais il induit un renoncement aux soins. Celui qui en a été victime aura beaucoup de mal à s'adresser de nouveau à un professionnel de santé. L'intérêt de la CMU-C, c'est qu'elle n'implique pas une sous-offre de soins ; elle permet aux plus pauvres d'accéder, comme n'importe quel autre Français, à l'ensemble du système de soins. C'est sa force par rapport aux systèmes d'autres pays. Pour autant, l'existence du refus de soins a beau être avérée, celui-ci n'est pas caractérisé. Le projet de loi relatif à la santé prévoit de confier aux ordres la mise en place d'un observatoire du refus des soins aux fins de le caractériser. À cet égard, je vous engage à lire la thèse qui a été soutenue à Marseille sur ce sujet. En fait, les professionnels sont très peu conscients de ce que peut être le refus de soins. Nombreux sont les jeunes internes qui pensent pouvoir refuser des soins à un bénéficiaire de la CMU-C à ce seul titre, et pouvoir lui appliquer des dépassements d'honoraires. Or ce n'est ni déontologique ni légal. Il est donc nécessaire de faire un peu de pédagogie, car les internes et les professionnels de santé connaissent mal ces dispositifs sociaux. Des circulaires ont bien été rédigées, mais elles n'ont pas de valeur législative ni réglementaire. À terme, une clarification législative sera nécessaire, une fois connus les résultats du travail qui aura été réalisé dans les observatoires.

Le taux de recours est notre principale préoccupation. Il est plus faible sur l'ACS, à 40 %, que sur la CMU-C, qui est de 70 à 80 %. Cette faiblesse de l'ACS est due à une difficulté du dispositif, que nous sommes en train d'améliorer. Par ailleurs, l'animation des réseaux est importante et pertinente, et beaucoup d'actions sont en cours. Ainsi, des échanges entre les systèmes d'information des caisses d'allocations familiales et des caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) permettent à ces dernières d'envoyer automatiquement, en fonction du niveau de ressources des personnes, un courrier aux potentiels bénéficiaires de l'ACS. Les conventions d'objectifs et de gestion (COG) de la CNAMTS et de la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF) comportent des objectifs d'amélioration des taux de non-recours. Celle de la CNAF prévoit ainsi 100 000 rendez-vous des droits, tandis que celle de la CNAMTS définit comme objectif prioritaire d'améliorer le taux de non-recours à l'ACS. Les réseaux sont donc mobilisés.

Autres exemples : une convention entre la CNAMTS et l'Union nationale des centres communaux d'action sociale (UNCCAS) vise à mieux informer les CCAS, à les rapprocher des caisses primaires d'assurance maladie, et à faire en sorte que les dossiers soient traités avec plus d'efficacité et d'efficience ; au sein du Fonds CMU, un comité avec les associations se réunit deux à trois fois par an pour échanger et mobiliser les réseaux ; les CAF pré-instruisent les dossiers CMU au moment de la constitution du dossier de RSA, les bénéficiaires du RSA socle étant au-dessous du seuil de la CMU-C ; le renouvellement automatique du droit à l'ACS pour les bénéficiaires de l'ASPA est inscrit dans la loi relative à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées : si ce texte est adopté ils n'auront plus à faire cette demande tous les ans, on évitera ainsi les pertes en ligne. C'est grâce à de telles actions, complémentaires de la réforme centrale de l'ACS, que l'on augmentera le taux de recours.

Une étude sur le recours des étudiants aux complémentaires santé est consultable sur notre site. Le Gouvernement a pris une mesure permettant à 3 000 étudiants isolés en situation d'urgence de bénéficier de la CMU-C. L'acceptation de leur dossier tient compte de leur situation familiale : ils doivent être non pas rattachés au foyer de leurs parents mais vraiment autonomes.

Vous vous demandez si les différences départementales en matière de recours aux dispositifs sont liées à l'action des caisses et des associations sur le terrain. C'est possible, mais à la marge. Ce qui détermine le nombre de bénéficiaires, c'est plutôt la pauvreté ou la richesse des territoires. La réalité difficile outre-mer se traduit dans les chiffres, et les caisses des DOM sont plutôt actives. Quand, dans un département, le taux d'allocataires est faible, cela ne veut pas dire que les caisses primaires d'assurance maladie ou les CAF ne font rien, c'est seulement la traduction de la richesse du département.

Le taux de renoncement aux soins que j'ai indiqué, de 20 %, est d'ordre général. Nous disposons aujourd'hui de chiffres par type de soins. D'autres facteurs de renoncement aux soins que financier sont identifiés. En la matière, je vous renvoie à deux études très approfondies réalisées par l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES), l'une sur les causes socio-anthropologiques, l'autre sur les causes financières du renoncement aux soins.

Parmi celles-ci, on l'a dit, se trouve le reste à charge. Même si la réforme en cours de l'ACS devrait lever grandement les barrières financières, il y aura encore des restes à charge, soit au moment de l'achat du contrat, soit sur les prestations. Toutefois, la mise en place du tiers payant pour les bénéficiaires de l'ACS et la suppression des franchises et des participations forfaitaires permettront d'améliorer très nettement les choses. Des restes à charge subsistent également avec la CMU-C, notamment sur certains soins dentaires reconnus comme des alternatives thérapeutiques et qui peuvent donner lieu à des dépassements du panier de soins. Néanmoins, c'est principalement le non-recours à la CMU-C qui explique le renoncement aux soins.

Une littérature abondante traite des causes socio-anthropologiques du renoncement aux soins. En la matière, l'indice de précarité a une très forte influence. Les personnes les plus précaires renoncent quinze fois plus aux soins que les moins précaires, à ceci près que, pour ces derniers, renoncer aux soins c'est ne pas se rendre chez l'ostéopathe, ce qui est différent de renoncer à consulter un dentiste. L'origine sociale est un autre facteur : le renoncement aux soins est trois fois plus élevé chez les catégories situées plutôt en bas de l'échelle. Le niveau d'études est, lui aussi, déterminant.

Les fraudes sont le fait de personnes qui déclarent des ressources mensuelles inférieures à 720 euros, alors que leurs revenus sont supérieurs. En 2012, 841 fraudes à la CMU-C ont été détectées. La somme de 600 000 euros représente le montant des soins qui ont été payés indûment dans la mesure où ces gens n'avaient pas droit à cette prise en charge.

Nous vous remercions d'avoir voté la dématérialisation de la taxe de solidarité additionnelle et de la taxe sur les conventions d'assurances : cela va grandement simplifier les choses et pour les déclarants et pour nous, puisque nous avions à traiter 600 déclarations par trimestre. Ce gain d'efficience administrative nous permettra de consacrer plus de temps à l'observation et aux contrôles que nous effectuons chaque année sur les organismes complémentaires, autrement dit à notre coeur de métier.

Le bilan que l'on peut dresser de notre action, c'est qu'il faut encore affiner la connaissance de l'état de santé des bénéficiaires. Pour ce qui est de la prévention, c'est bien, mais il faut savoir qu'elle accroît plutôt les inégalités de santé : les plus aptes à comprendre les messages de prévention, de type Plan national nutrition santé, appartiennent plutôt aux couches supérieures de la société ; on a du mal à sensibiliser les personnes qui sont le plus en situation de pauvreté. Il faut encore travailler à l'organisation de l'offre de soins, notamment par le rapprochement avec les offreurs de soins primaires, de manière à insérer les bénéficiaires dans un système qui les prenne bien en charge. Des études ont été lancées en la matière. Enfin, nous devons affiner notre connaissance de la part complémentaire des dépenses hospitalières, dont le coût moyen baisse. Nous devons comprendre pourquoi.

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