Intervention de Général Jean-François Parlanti

Réunion du 3 décembre 2014 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général Jean-François Parlanti, directeur du centre interarmées de concepts, de doctrines et d'expérimentations :

Je voudrais en tout premier lieu vous remercier de me donner l'occasion de m'exprimer devant vous ce matin, moi qui suis donc en charge de l'élaboration de la doctrine d'emploi des forces au niveau interarmées après l'avoir été au niveau terrestre. Cela d'autant plus que l'audition d'un général pour aborder ce sujet précis n'est pas courante.

Je mesure donc tout l'intérêt de cet échange direct avec la représentation nationale sur ce thème de la doctrine, souvent austère, reconnaissons-le, et sur celui, il est vrai plus attractif, du retour d'expérience dans nos armées – en ce jour où est aussi organisé cet après-midi, rue de l'université, le séminaire de doctrine de l'armée de terre au cours duquel s'exprimeront notamment la sous-chefferie opérations de l'état-major des armées (EMA) et le chef d'état-major de l'armée de terre (CEMAT).

Mon intervention de ce matin s'effectue aussi au moment où notre doctrine d'emploi des forces est appliquée réellement sur l'ensemble des théâtres d'opération, où nos forces ne sont pas seulement, comme on dit, « engagées », mais où elles engagent elles-mêmes le combat face à des adversaires déterminés qui apprennent et s'adaptent vite.

Deux remarques liminaires sur les conséquences de ces engagements. D'une part, ils exigent de nous la maîtrise collective de savoir-faire précis et multiples, dont la doctrine constitue une base indispensable. D'autre part, ils confèrent aux armées le bénéfice d'une expérience opérationnelle exceptionnelle et tangible « face au feu » et au milieu de populations qui sont aujourd'hui les véritables enjeux des conflits armés.

Avant de me soumettre à vos questions, j'aborderai le plus clairement possible, dans un premier temps, la fonction doctrinale et notre manière de la mettre en oeuvre en « collant » aux opérations, puis l'exploitation de notre précieux et envié retour d'expérience opérationnelle. Je conclurai en disant quelques mots sur le processus de prospective opérationnelle.

Le CICDE, qui aura dix ans en 2015, avec environ trente-cinq personnes au sein de l'école militaire, situe son action au niveau interarmées, celui du chef d'état-major des armées (CEMA). C'est, en effet, le niveau où se joue la performance opérationnelle grâce à la cohérence globale de toutes les composantes et fonctions opérationnelles au sein des différents champs d'affrontements, terrestre, aérien, maritime et aujourd'hui spatial et informationnel. C'est donc aussi le niveau où s'exerce en corollaire la complexité avec l'intégration et la combinaison d'acteurs, tout aussi importants les uns que les autres, mais qui seraient globalement inefficaces les uns sans les autres. On parle ici d'interopérabilité, véritable clé de la performance de nos armées.

Cette interopérabilité, ou plutôt ces interopérabilités – interarmées, interalliées, interministérielles ou avec les acteurs de l'approche globale – sont au coeur de la démarche doctrinale.

Le CICDE élabore sa doctrine au niveau interarmées en lien direct avec l'EMA et, plus particulièrement, sa sous-chefferie opérations, mais aussi avec les armées, dont l'expertise « métier » reste précieuse, et bien sûr avec l'OTAN, dont la doctrine a été instituée comme la référence de notre corpus doctrinal.

Permettez-moi ici d'ouvrir une parenthèse pour préciser ce qu'est ou ce que n'est pas la doctrine.

Il s'agit, en effet, de dépasser certains préjugés qui pourraient encore exister dans l'esprit de nombre d'observateurs lorsqu'on en parle : abri confortable ou carcan de la pensée pour les uns, dogmatisme, conceptualisation éloignée des réalités du terrain ou atténuateur de l'intuition, voire rempart de l'intelligence, pour les autres. Dès lors, le temps consacré à son appropriation en école imposerait des efforts pour le moins fastidieux au regard des bénéfices attendus. Pire, son application, excluant tout discernement par ses utilisateurs, serait synonyme de pesanteur inutile en termes de planification comme de dispositifs déployés.

Or, à l'analyse, il convient de comprendre que la doctrine n'est pas une finalité en soi, qu'elle ne constitue pas la solution opérationnelle – celle du livre – applicable quelles que soient les circonstances et en fonction d'une typologie prédéfinie de missions, et que c'est souvent lorsqu'on l'a considérée comme telle, ou aussi parce qu'on l'a dédaignée, que l'échec des armes fut patent. Ce fut le cas à de nombreux moments de notre histoire, depuis 1870 avec une absence de réflexion doctrinale, et notamment en 1914 et 1939 avec une doctrine perfectible et souvent mal assimilée.

En fait, son rôle premier est celui d'être une clé de compréhension des principes qui prévalent à l'intégration des différents acteurs contribuant à la réalisation de la mission.

La doctrine est donc un outil indispensable d'aide à la décision du chef militaire, permettant la cohérence initiale de l'action d'ensemble et le lien entre les acteurs, ainsi que contribuant à l'analyse des moyens dont il faudra disposer compte tenu des effets que l'on souhaite obtenir.

Elle ne définit pas la manoeuvre que doit conduire le chef militaire car ce dernier a reçu une mission spécifique et les circonstances, les contingences de l'exécution de sa mission sont toujours nouvelles, particulières, sachant que l'affrontement est toujours celui de deux volontés.

C'est ce que le commandant de Gaulle signifiait dans Le Fil de l'épée, en parlant de « reconnaître à l'action de guerre le caractère essentiellement empirique qu'elle doit revêtir » tout en regrettant, mais c'était à l'époque, la répugnance de « l'esprit militaire français » à faire ainsi.

En revanche, c'est bien grâce à la connaissance de la performance potentielle collective, à la maîtrise des méthodes de raisonnement des problématiques opérationnelles et à la prise en compte des principes de l'action que le chef militaire est à même de concevoir le mode d'action le plus adapté. Il le fera sans omettre la part indispensable d'audace et d'adaptation. Car il s'agit toujours de prendre un risque, ce dernier étant inhérent à l'action militaire, de prendre l'ascendant sur un adversaire qui, aujourd'hui, comme le souligne le général Castres, n'est pas toujours caractérisé par la norme.

Dès lors, il convient d'apporter un soin particulier à l'élaboration de la doctrine, à sa diffusion et à son appropriation par les chefs militaires, notamment dans nos écoles pendant ces temps précieux de formation. Les enseignements de son application sur le terrain en opérations nous renforcent dans cette démarche.

La doctrine n'est donc pas dogmatique, pas plus qu'elle n'a vocation d'ailleurs à posséder un caractère normatif au sens juridique du terme. Elle n'est pas un ordre, ni une consigne.

En résumé, elle est une condition nécessaire mais non suffisante au succès opérationnel et constitue, plus que la connaissance de l'adversaire, toujours quelque peu aléatoire, un repère solide et fiable dans le « brouillard de la guerre ». Le cap à suivre reste le choix responsable du chef militaire, aidé en cela par son état-major. Les mots du Maréchal Foch restent donc pertinents concernant la doctrine : « un ensemble de principes fixes, à appliquer de façon variable, suivant les circonstances ».

Enfin, il est important de noter que la réflexion doctrinale sert aussi à penser la guerre, aux manières de la faire, nous préservant de la défaite intellectuelle qui a toujours été synonyme de surprise et de conséquences fâcheuses.

Cela dit, la doctrine d'emploi des forces armées françaises se construit par rapport au référentiel otanien.

Ce choix est, en effet, en cohérence avec notre retour plein et entier au sein de l'Alliance, où l'interopérabilité entre pays membres est un objectif permanent. Celle-ci permet de bénéficier d'un référentiel immédiat commun pour la défense collective – dans le cadre de l'article 5 –, mais aussi dans les opérations de gestion de crise : ce fut le cas en Afghanistan, en Libye, contre la piraterie au large de la corne de l'Afrique ou pour l'intégration de moyens de pays majeurs de l'OTAN, comme lors de l'opération Serval effectuée dans un autre cadre. Cette interopérabilité de l'Alliance est d'ailleurs aussi celle, en grande partie, des armées européennes.

Le principe est le suivant : quand le corpus doctrinal de l'OTAN existe, il est analysé et repris comme tel au niveau national pour tout ce qui nous apparaît correspondre à notre pensée. Il convient de noter que nous participons pleinement à son élaboration au sein d'une architecture importante constituée de différents groupes de travail où nos équipes s'efforcent, autant que faire se peut, d'influer sur les résultats souhaitables, en fonction de notre vision ou de l'avance dans nos réflexions.

Ainsi, lorsque des divergences ou des insuffisances apparaissent, lorsque des spécificités françaises existent – en termes d'organisation, de responsabilité, de souveraineté nationale ou de droit – et parce que nous sommes souvent engagés dans d'autres cadres, il est nécessaire d'élaborer des compléments français, voire un corpus français à part entière, ce qui est notamment le cas au niveau tactique pour l'armée de terre.

Cette année, nous avons également répondu aux besoins ponctuels de l'ONU pour participer activement à la rédaction de doctrines concernant les opérations spéciales, le génie et l'aéromobilité. Ceci devrait nous permettre une réelle interopérabilité avec les forces onusiennes qui seraient dès lors mieux susceptibles de nous relever dans ces domaines sensibles.

Ainsi, vous comprenez que, pour les travaux effectués au sein de l'OTAN, ponctuellement au sein de l'ONU ou dans un cadre bilatéral – c'est le cas par exemple avec les Britanniques dans la force expéditionnaire conjointe (CJEF) –, comme pour les compléments nécessaires à nos propres besoins, il soit indispensable de conserver une capacité nationale d'élaboration de la doctrine, en fonction des niveaux traités – interarmées ou armées. C'est la raison d'être des centres ou des réseaux de doctrine existant dans nos armées.

En termes de rayonnement, cette capacité française d'élaboration de la doctrine, complétée par celle de son enseignement, nos écoles de formation et nos détachements de coopération, constituent un véritable atout en termes d'effet d'entraînement et de développement des interopérabilités régionales ou locales. Cela est de nature à faciliter la prévention des crises, à envisager l'accompagnement de nos actions militaires – comme on l'a vu avec les Tchadiens au début de l'opération Serval –, permettant le partage de l'effort et renforçant la légitimité et la visibilité politique, comme à accélérer la sortie de crise pour nos forces. La doctrine joue ainsi pleinement un rôle de vecteur d'influence et de canal d'échange avec nos principaux partenaires actuels ou à venir.

Parallèlement, le CICDE a l'occasion de recevoir de nombreuses délégations étrangères intéressées à la fois par notre organisation doctrinale, mais aussi bien sûr par notre doctrine elle-même, cela d'autant plus que cette dernière est régulièrement « combat proven ». Certains textes font l'objet d'une traduction en anglais et l'ensemble du corpus doctrinal de la France est disponible sur les sites inter et intranet du CICDE, formant un ensemble cohérent de documents OTAN, Union européenne, multinationaux – en particulier dans le cadre des relations franco-britanniques – et nationaux, complémentaires et indissociables, constituant le référentiel unique pour le niveau interarmées, avec des liens directs avec les doctrines d'armée au niveau tactique.

Enfin, la doctrine doit rester « vivante » pour pouvoir répondre aux besoins, parfois imprévus – dans l'opération Serval, par exemple, le besoin d'une doctrine sur la façon d'intervenir dans les milieux désertiques fut rapidement comblé, tout comme le fut celui concernant la mise en oeuvre des hélicoptères de l'armée de terre à partir des BPC « Mistral » de la marine dans l'opération Harmattan – ainsi que pour réagir suite au retour d'expérience, que je me propose d'aborder maintenant et qui, là aussi, fait l'objet de toutes les attentions de nos partenaires et visiteurs étrangers.

S'agissant de ce qu'on appelle le Retex : depuis cet été, le CICDE s'est vu confier la mission de l'élaborer – toujours au niveau interarmées –, renforçant ainsi la cohérence de son action en regroupant trois fonctions complémentaires, consubstantielles, que sont l'élaboration de la doctrine, la mise en évidence des enseignements issus du retour d'expérience et la prospective opérationnelle, cette dernière étant partagée avec d'autres acteurs en lien avec la stratégie militaire et la prospective de défense.

Il s'agit donc de bénéficier de la richesse de notre expérience opérationnelle et de capitaliser en en tirant les enseignements précieux afin de renforcer la cohérence et d'améliorer la performance pour les opérations futures, ou en cours lorsque celles-ci se prolongent. Ce retour d'expérience concerne les engagements mais aussi nos exercices, qui complètent l'éventail de notre contrat opérationnel, les opérations en cours ne constituant pas la seule finalité de l'outil de défense.

Diffuser les bonnes pratiques opérationnelles constatées pour les maintenir et analyser les facteurs d'échec ou de fragilité afin de corriger les défauts identifiés sont les deux objectifs principaux poursuivis par le processus Retex.

Ces corrections couvrent bien sûr tous les aspects constitutifs d'une force armée : la pertinence de sa doctrine, mais aussi celle de son organisation, la constitution de ses ressources humaines, la qualité de ses équipements, la fiabilité de son soutien et la justesse de son entraînement. Je citerai, pour ce dernier, l'application du principe de différenciation des mises en condition avant projection directement tiré des enseignements de notre action en Afghanistan.

Le processus s'appuie notamment sur les comptes rendus de fin de mission des commandants d'opération, mais aussi, afin d'être réactif, sur les informations régulières provenant des théâtres.

Le Retex est donc une analyse des actions récentes conduite avec recul qui permet, avec l'analyse de l'évolution des menaces, de nourrir les réflexions en matière d'évolution de nos modes d'action enrichissant la prospective opérationnelle.

Toutefois, le Retex peut être « accéléré » pour coller avec la situation du terrain, amenant à des changements ponctuels plus urgents. Ainsi, en termes d'équipement, d'articulation des dispositifs, ou de soutien, il est naturel de pouvoir proposer et décider des ajustements.

Bien sûr, nous sommes également attentifs à ce qui se passe à l'étranger, notamment chez nos alliés, pour compléter notre expérience. Inutile de vous dire que ces mêmes armées étrangères sont très intéressées par notre Retex, d'autant plus que nous menons des actions très diversifiées depuis plusieurs années dans différents cadres avec des moyens maîtrisés et l'obtention de résultats militaires probants, conférant à la France une position militaire encore plus solide, notamment au sein de l'Alliance.

À ce titre, le degré de diffusion de notre expérience doit faire l'objet d'une attention particulière car il ne s'agit pas non plus de faciliter la tâche de nos adversaires en leur révélant nos vulnérabilités.

Les enseignements principaux de nos engagements en opérations extérieures de ces cinq à dix dernières années font l'objet de présentations régulières. Ces engagements constituent pour chacun d'entre eux, comme le souligne régulièrement le général Castres, « un véritable exercice de vérité pour nos armées, loin des indicateurs d'un contrôle de gestion ». Ils font apparaître la pertinence du choix d'un modèle d'armée complet capable de couvrir tout l'éventail des engagements, la justesse de ce modèle, au sens de juste suffisance, la qualité de l'adversaire asymétrique, « pauvre en technologie militaire » mais riche en concept, et se fondant dans un environnement connu de lui.

Ces enseignements soulignent aussi des paradoxes à surmonter et des impératifs à maîtriser pour garantir le succès.

Parmi les paradoxes, je pourrais citer : l'attente politique d'un résultat militaire rapide là où la résolution de la crise nécessite souvent globalité et durée ; les limites de nos interventions en termes quantitatifs avec la nécessité de continuité, de distribution et de profondeur de nos actions, sur des zones d'intervention très étendues – actuellement, nos déploiements tous confondus sont de 8 000 à 9 000 hommes en opérations extérieures sur une étendue que l'on pourrait comparer à celle de l'Australie, alors qu'au Kosovo, sur une superficie comparable à celle de la Gironde, il y avait 50 000 hommes – ; les nécessaires mesures de protection de nos soldats et dispositifs de soutien logistique de nos déploiements avec l'exigence absolue de mobilité voire d'ubiquité sans lesquelles nos actions ne seraient pas décisives ; enfin, l'utilisation de la force là où les perceptions sont en jeu, dans un contexte normatif asymétrique exigeant la discrimination des cibles pour éviter les dommages collatéraux.

Encore une fois, les enseignements nous amènent plus que jamais, face à nos adversaires, à compléter, voire à repenser certains schémas, avec des impératifs à prendre en compte afin de surprendre en frappant fort là – et juste là – où il faut, puis de conserver l'initiative – imposer l'incertitude –, tout en étant en mesure de nous adapter à l'imprévu.

Parmi ces impératifs, je peux mentionner : la connaissance des milieux pour notre personnel, sa culture expéditionnaire, sa préparation opérationnelle adaptée et rigoureuse et la qualité de son leadership ; la réactivité grâce à des dispositifs d'urgence et au pré-positionnement ; l'intégration interarmées jusqu'à un niveau extrêmement bas ; la maîtrise de l'empreinte au sol, notamment logistique, avec le principe de réversibilité ; la polyvalence et la robustesse de nos équipements ; notre capacité à reconfigurer rapidement une force en cours d'opération en fonction des missions données ; la connectivité avec les partenaires ; l'interopérabilité, en particulier en matière de commandement ; la mobilité et la distribution des effets ; l'intervention dans la profondeur et le ciblage, mêlant les actions dynamiques à celles sur les perceptions, car il s'agit en effet de rechercher et frapper les vulnérabilités critiques de l'ennemi pour détruire ses centres de gravité ; la permanence du renseignement et son exploitation la plus rapide ; sans oublier la rapidité du processus décisionnel français, qui est un atout important.

Mais ces impératifs à respecter ne sont partie prenante que de la réponse militaire au règlement de la crise. Or l'effet militaire, obtenu en termes de « sécurisation », n'est la plupart du temps que le préalable nécessaire à ce règlement. Il consiste à recréer les conditions de reprise possible du progrès dans les autres domaines que sont notamment le retour d'un État de droit et d'une forme de développement. Ces domaines exigent aussi des actions coordonnées et complémentaires afin que les populations retrouvent une espérance de vivre ensemble dans la paix. C'est donc bien l'approche globale dans la gestion de la crise qui en permet le règlement, ce dernier ne pouvant être que d'ordre politique, économique et social.

À ce titre, les actions d'assistance militaire opérationnelle et de coopération dans un cadre préventif ou lors des opérations contribuent à la stabilité du pays concerné, à la légitimité, voire à l'efficacité de notre action. Cette assistance constitue aussi un atout majeur pour le transfert de responsabilité au plus tôt conduisant à la sortie de crise pour nos forces.

Concernant enfin le territoire national et la naturelle contribution des forces armées à sa sécurité, nous prenons en compte les enseignements des opérations conduites par les armées, permanentes ou non – posture permanente de sûreté des espaces aériens, Vigipirate, action de l'État en mer, missions de circonstance d'aide à la population dans le cadre notamment de catastrophes naturelles en métropole et outremer –, ainsi que des différents exercices menés conjointement avec les forces de sécurité et autres services interministériels. Dans ce domaine aussi les interopérabilités sont indispensables.

Les leçons apprises de nos engagements, de nos exercices tout comme le regard porté sur les actions d'autres nations sont de fait précieuses aussi pour apporter une appréciation sur la pertinence des choix de défense, définis notamment dans la loi de programmation militaire (LPM), et pour conduire la réflexion visant à préparer ceux de demain : « comment faire mieux, et certainement autrement, demain ? » – mieux parce que l'adversaire évolue, autrement parce que les partenariats peuvent aussi évoluer et que les contraintes seront sans doute toujours prégnantes. C'est là que s'exerce naturellement le rôle d'expertise incontournable de nos armées, notamment dans les réponses à apporter aux questions suivantes : « Demain, contre quelle forme d'engagement de nos adversaires ? Par quelle forme d'engagement pour nos forces ? Avec quels partenaires répondant aux meilleurs critères opérationnels ? ».

Le lien avec la prospective opérationnelle est donc manifeste.

Il s'agit de préserver dans l'avenir la liberté d'action du CEMA – qui doit avoir la capacité d'apporter des options militaires toujours crédibles au Président de la République – et des commandants d'opération pour assurer le succès militaire des crises, qui est un prérequis de leur règlement global.

En ce sens, nourris notamment du Retex, nous nous efforçons de mesurer et d'anticiper les conséquences prévisibles de l'évolution de la menace, de la technologie, du cadre juridique, et de définir des recommandations opérationnelles en termes de modes d'action pour nos armées.

Cette prospective prend en compte une période large, entre un besoin de court terme, d'ici deux à cinq ans, et celui d'éclairer les choix de moyen et long terme. Elle fait donc l'objet d'études sur des points particuliers de réflexion en matière doctrinale, voire d'expérimentations en termes de simulation de capacités ou de scénarios. Ces actions sont entreprises en partenariat avec les milieux nationaux, institutionnels ou non, et internationaux parfois, qui réfléchissent sur ces sujets ou détiennent une compétence complémentaire. Parmi ceux-ci, je peux citer la direction du renseignement militaire (DRM), la direction aux affaires stratégiques (DAS), les think tanks ou le milieu universitaire.

Notre attention est tournée notamment sur ce que nous considérons comme étant les défis à relever pour le succès futur des opérations. Ceux-ci sont décrits dans le concept d'emploi des forces qui est la déclinaison militaire des orientations du Livre blanc sur la défense et sécurité nationale. Ces défis sont la maîtrise du tempo opérationnel, la capacité à distribuer les effets simultanément, celle à agir sur les perceptions, l'efficacité de l'action face à l'asymétrie - notamment normative -, les interopérabilités et l'innovation.

Le sens et l'esprit de l'action du CICDE en termes de doctrine, de retour d'expérience et de prospective résident dans l'emploi opérationnel des forces, aujourd'hui et demain. Ils prennent leur source principalement dans les missions et les objectifs opérationnels fixés à nos armées, mais aussi dans les enjeux que constituent pour elles la performance opérationnelle collective, son efficience – la satisfaction du besoin au moindre coût – et sa capacité à préparer l'avenir pour rester pertinent, performant et efficient – ce qui correspond d'ailleurs aussi aux attributions naturelles du CEMA.

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