Intervention de Fanélie Carrey-Conte

Réunion du 21 novembre 2012 à 9h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFanélie Carrey-Conte, rapporteure :

Les auditions que nous avons menées la semaine dernière – je tiens à remercier l'ensemble de mes collègues qui y ont participé et ont nourri notre réflexion sur ce sujet passionnant – nous ont permis de constater que cette proposition de loi suscitait des débats et des interrogations, chez les professionnels comme chez les patients. Ces débats ne sont pas nouveaux. Ils ne sont pas terminés, puisque nous serons amenés à reposer l'année prochaine la question de la place des complémentaires santé dans la vie de nos concitoyens. J'espère en tout état de cause que nous pourrons aujourd'hui répondre aux interrogations de chacun.

Je commencerai par rappeler l'objet exact de cette proposition de loi. Depuis des années, les mutuelles, comme ces autres acteurs de la protection sociale complémentaire que sont les sociétés d'assurance et les institutions de prévoyance, passent avec les offreurs de soins – majoritairement les dentistes et les opticiens, mais aussi certains établissements de santé – des conventionnements sur des critères de prix et de qualité, et proposent des prestations bonifiées à ceux de leurs assurés qui se rendent chez ces professionnels de santé.

Si la proposition de loi porte d'abord sur les réseaux de soins développés par les mutuelles, organismes à but non lucratif protégeant aujourd'hui 38 millions de personnes, c'est qu'un arrêt rendu par la Cour de cassation en 2010 a remis en cause le principe même de ce conventionnement mutualiste, en se fondant sur la rédaction actuelle du code de la mutualité, qui interdit à une mutuelle de moduler le niveau des prestations servies à ses adhérents selon qu'ils consultent ou non un praticien conventionné par cette mutuelle. Les mutuelles sont de ce fait sous la menace de jugements qui condamneraient leurs réseaux de soins. La proposition de loi vise donc à modifier le code de la mutualité afin de mettre fin à cette situation d'insécurité juridique et de rétablir une véritable égalité entre les organismes complémentaires.

Ce texte n'est pas inédit : une proposition de loi de 2010 cosignée par nos collègues Yves Bur et Jean-Pierre Door, puis des dispositions de la proposition de loi dite « Fourcade » poursuivaient le même objectif. Mais le Conseil constitutionnel avait censuré ces dernières dispositions au motif qu'il s'agissait d'un cavalier législatif.

En octobre dernier, le Président de la République, conformément à l'un des engagements de sa campagne, et la ministre de la santé se sont tous deux prononcés pour une modification du code de la mutualité visant à lever les menaces juridiques pesant sur les réseaux de soins des mutuelles. Ils ne sont pas les seuls, puisque le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, la Cour des comptes et l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) récemment se sont prononcés en faveur des réseaux de soins mutualistes.

Je voudrais maintenant m'arrêter sur les causes de l'existence de ces réseaux de soins et de notre intérêt pour eux. Les réseaux de soins se sont développés pour remédier à la faiblesse du niveau de prise en charge par la sécurité sociale dans certains secteurs, phénomène encore aggravé par les politiques de réduction du périmètre des solidarités nationales conduites ces dernières années. Entre 2008 et 2010, la part de la sécurité sociale dans la prise en charge des dépenses de santé est ainsi tombée de 77 % à 75,7 %. Et, selon les chiffres de la Cour des comptes, l'assurance maladie s'est désengagée de la prise en charge de ces dépenses à hauteur de 3,3 milliards d'euros de 2004 à 2008.

L'optique est l'un des domaines pour lesquels la prise en charge par l'assurance maladie est aujourd'hui réduite à la portion congrue, puisqu'un équipement est pris en charge à hauteur de 4 % en moyenne par la sécurité sociale. On citera également le dentaire ou les audioprothèses. Dans ces secteurs peu régulés où les tarifs sont libres, les écarts de prix peuvent être considérables et sont difficilement compréhensibles par les patients. Ainsi le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie a-t-il relevé des écarts de prix de 20 % pour les implants dentaires, selon les régions. Cette situation, qui est de fait celle d'un système de santé à plusieurs vitesses, est responsable du maintien, voire du creusement des inégalités dans l'accès aux soins, et génère des comportements de renoncement à certains soins pour des raisons financières.

C'est dans ces secteurs – optique, dentaire, audioprothèses –, où les complémentaires interviennent majoritairement, que les réseaux existent essentiellement aujourd'hui. Ces réseaux sont un outil dont il ne faut pas priver les complémentaires car ils permettent, par le biais du conventionnement, de réduire les restes à charge, donc de favoriser l'accès aux soins. À titre d'exemple, sur un équipement optique, les tarifs pratiqués par les réseaux peuvent être jusqu'à 30 % moins élevés que la moyenne.

Il va de soi que nous avons la responsabilité d'améliorer la prise en charge par l'assurance maladie et la qualité de tous les soins. Avec le Gouvernement et la majorité, nous y travaillons. Mais ne pas utiliser cet outil reviendrait dans les faits à accepter les difficultés de nombre de nos concitoyens à aller chez le dentiste, à s'équiper de lunettes ou d'audioprothèses à moindre coût, avec une meilleure qualité de prestations.

Je voudrais ici apaiser certaines inquiétudes sur le fonctionnement des réseaux qui sont apparues lors de nos auditions. Les réseaux de soins ne constituent pas une privatisation du système de soins, dès lors que l'enjeu demeure l'amélioration de la prise en charge par la sécurité sociale et l'assurance maladie obligatoire. Ils ne constituent pas non plus une remise en cause du libre choix du patient puisque le remboursement demeure assuré en cas de recours à un professionnel ne relevant pas du réseau. Ils ne sont pas non plus un facteur d'aggravation des déserts médicaux, sujet qui excède largement notre débat d'aujourd'hui, et phénomène face auquel nous sommes tous mobilisés. Je tiens à insister sur le fait que les réseaux fermés concernent des professionnels de santé dont la démographie ne pose pas de problème, comme les opticiens. Dans la plupart des cas, les organismes complémentaires s'efforcent de veiller à ce qu'un professionnel conventionné ne soit pas à plus de vingt-cinq kilomètres du lieu d'habitation ou de travail de leurs adhérents.

Enfin, comme l'a clairement établi l'Autorité de la concurrence dans un avis rendu en 2009, les réseaux de soins ne sont pas contraires au principe de la concurrence.

Cependant, nos auditions et l'ensemble de nos travaux nous ont convaincus de l'utilité de préciser le cadre juridique des réseaux de soins déjà créés par les trois types de complémentaires. Tel est l'objet de notre amendement portant article additionnel visant à poser les principes que tout conventionnement entre un organisme complémentaire et un professionnel ou un service de santé devra respecter. Il s'agira notamment de réaffirmer que le réseau ne peut pas porter atteinte au libre choix du patient, ou encore que la sélection des professionnels doit s'opérer selon des critères objectifs, transparents et non discriminatoires. L'amendement précise que les organismes complémentaires doivent garantir à leurs adhérents une information claire et complète, tant sur les caractéristiques des réseaux de soins mis en place par les complémentaires que sur l'impact de ceux-ci en termes de garanties souscrites.

Par ailleurs, afin de favoriser une meilleure connaissance des réseaux de soins et de leur impact, nous vous présenterons, en accord avec la présidente, un amendement visant à obtenir au plus vite du Gouvernement un rapport d'évaluation sur ce sujet.

Je voudrais en conclusion rappeler que cette proposition de loi s'inscrit au coeur d'enjeux beaucoup plus larges. Les réseaux de soins ne constituent pas un outil exhaustif en matière d'accès aux soins. Ce texte n'épuise pas non plus toutes les questions que pose l'accès aux soins ; il soulève au contraire des interrogations de fond sur le fonctionnement d'ensemble de notre système de santé. Cette proposition de loi doit donc être la première étape d'une réflexion en profondeur sur l'organisation de ce système, les relations entre assurance maladie obligatoire et complémentaire, l'accès de tous les citoyens à une complémentaire santé, une meilleure définition des contrats responsables et une réflexion sur la fiscalité des contrats complémentaires, les déserts médicaux, le panier de soins et sur la nécessité d'améliorer la prise en charge obligatoire et la qualité des soins.

Ces questions doivent à l'évidence être posées. Vous aurez compris que ce texte n'a pas vocation à y répondre entièrement, mais il annonce les enjeux auxquels nous serons demain confrontés. Ce que nous voulons aujourd'hui par ce texte, c'est mettre fin à une inégalité entre les organismes complémentaires et améliorer concrètement l'accès aux soins, dans un contexte que nous ne pouvons ignorer : celui du creusement d'inégalités parmi les plus intolérables – je veux parler de celles qui se manifestent en matière de santé.

Nous voulons également pouvoir demain réfléchir ensemble – pouvoirs publics, complémentaires, professionnels de santé et citoyens –, en dehors de toute polémique inutile, aux moyens de réinventer notre système de santé.

J'espère que la qualité de nos débats sera à la hauteur des enjeux et que nous adopterons ensemble un texte équilibré non seulement pour les pouvoirs publics et les professionnels de santé, mais surtout pour nos concitoyens et leur accès aux soins.

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