Intervention de Delphine Batho

Séance en hémicycle du 21 novembre 2012 à 15h00
Principe de participation du public défini à l'article 7 de la charte de l'environnement — Présentation

Delphine Batho, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie :

Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, le projet de loi que j'ai l'honneur de présenter à l'Assemblée nationale en cette fin d'après-midi vise à donner toute sa portée à l'article 7 de la Charte de l'environnement qui figure dans notre Constitution et qui stipule que toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions ayant une incidence sur l'environnement.

Chacun connaît le contexte particulier de cette discussion. Le Conseil constitutionnel, dans quatre décisions prises en application de la procédure de question prioritaire de constitutionnalité, entre le 14 octobre 2011 et le 27 juillet dernier, a déclaré non conformes à la Constitution diverses dispositions du code de l'environnement et a donné deux délais au Gouvernement pour rectifier les dispositions censurées : le premier expire le 1er janvier 2013 et le second le 1er septembre 2013.

Ce projet de loi est donc marqué par l'urgence car le Gouvernement doit assurer la sécurité juridique des actes pris en application du code de l'environnement. Mais cette urgence offre aussi l'opportunité d'élaborer un dispositif exemplaire, en votant une loi qui va résolument de l'avant et prolonge les principes que nous avons inscrits dans la Constitution en leur donnant toute leur portée concrète. Ce chemin prolonge aussi la ratification par la France, le 8 juin 2002, de ce grand texte qu'est la Convention d'Aarhus.

Ces quatre censures du Conseil constitutionnel ont révélé, dans notre droit actuel, des insuffisances dans la mise en oeuvre législative du principe de participation du public à l'élaboration des décisions publiques ayant un impact sur l'environnement. Ce principe, la France s'honore de l'avoir élevé au rang de principe constitutionnel en permettant au public, c'est-à-dire au citoyen, d'être non pas un observateur passif des décisions prises au-dessus de lui et sans lui, mais d'être placé au coeur du processus de décision.

L'article 7 de la Charte de l'environnement a posé la base d'une démocratie environnementale. Il a fait de la transparence l'une des valeurs essentielles de l'action publique à laquelle nous sommes très attachés.

Par ce projet de loi, je vous propose donc, au nom du Gouvernement, de tirer toutes les conséquences du droit de participation. La Constitution nous l'impose et le Conseil constitutionnel devrait, très bientôt, statuer sur une nouvelle QPC portant sur l'article L. 120-1 du code de l'environnement que nous réécrivons dans ce projet de loi.

Nous devons relever le défi de la participation de façon concrète, efficace et innovante et je voudrais vous présenter de façon succincte mais précise les principales avancées que comporte ce projet de loi. Je veux d'abord saluer le président de la commission du développement durable, Jean-Paul Chanteguet, et la rapporteure Sandrine Buis pour la façon dont nous avons échangé sur ce texte, notamment en commission. Je rappelle que ce projet de loi a été adopté à l'unanimité par le Sénat.

Avec ce projet de loi nous affirmons très clairement, en reprenant les termes de l'article 7 de la Charte de l'environnement, que la participation est l'un des principes fondamentaux du droit de l'environnent. C'est l'objet de l'article 1er A nouveau du projet issu d'une rédaction proposée par votre commission du développement durable qui reprend, en la déplaçant dans les tout premiers articles du code de l'environnement, une rédaction proposée par le Sénat et adoptée avec l'accord du Gouvernement.

Avec ce projet de loi, nous modifions en profondeur l'article L. 120-1 du code de l'environnement. C'est l'objet de l'article 1er qui devient le pivot de la procédure. Cette procédure électronique s'applique quand aucune disposition particulière n'est prévue pour assurer la participation du public. Elle joue actuellement un rôle supplétif dans le code et n'est mise en oeuvre que pour des actes réglementaires.

Cette procédure aura vocation à s'appliquer à toutes les décisions de l'État, de ses établissements publics et des autorités administratives, qu'elles soient réglementaires comme les décrets et les arrêtés, d'espèce comme les décisions ni réglementaires ni individuelles qui s'appliquent à une zone ou une réglementation donnée, ou individuelles.

Ce champ très large est la conséquence que nous tirons des censures du Conseil constitutionnel qui atteignent l'ensemble des décisions publiques, quelle que soit leur nature et surtout quelle que soit l'autorité qui les prend, dès lors qu'elles ont un impact sur l'environnement.

Si aucune censure n'a frappé de décision rendue par une collectivité territoriale, il ne fait aucun doute juridiquement qu'une telle décision relèverait du champ de l'article 7 de la Charte de l'environnement. Une QPC est d'ailleurs actuellement pendante en matière de publicité contre une décision d'un maire.

Toutefois, et j'aurai l'occasion d'y revenir à la fin de ma présentation, ce projet de loi nous donnera le temps d'élaborer des procédures adaptées aux décisions individuelles de l'État et aux décisions des collectivités locales.

La procédure définie à l'article 1er du projet devrait à l'avenir constituer le socle commun de la participation du public. Cette procédure ne définit que les dispositions minimales à appliquer : il est toujours possible de faire plus et de proportionner la participation à l'ampleur des projets et à leur impact.

Parmi les avancées de ce texte, citons la disparition de la formule actuelle de l'article L. 120-1 du code mentionnant « les décisions publiques ayant une incidence directe et significative sur l'environnement. » N'est plus mentionnée que l'incidence sur l'environnement, ce qui est une avancée importante.

Cette participation constitue un droit pour tous puisque la possibilité de transmettre des observations par voie postale a été introduite à l'initiative du Sénat avec l'accord du Gouvernement. Nous devons prendre en compte la fracture numérique pour permettre un exercice effectif de ce droit de participation par tous les citoyens. Je sais que c'est aussi un souci de l'Assemblée nationale.

Autre avancée : le public sera désormais informé trois mois à l'avance des décisions qui seront mises en consultation et pourra donc s'y préparer dans de bonnes conditions. De plus, les délais minimaux de mise à disposition du projet de décision ont été allongés, passant de quinze jours dans le projet initial à vingt et un jours dans sa version actuelle.

L'élaboration d'une synthèse écrite de ces observations est désormais imposée à l'autorité compétente afin que le public s'assure que ses observations ont été analysées et prises en considération. Une notice explicative est aussi ajoutée pour que le public comprenne le contenu et la portée des décisions. Par souci de transparence, cette synthèse est rendue publique, de même que les observations. Obligation est également faite de mentionner dans cette synthèse les observations dont il a été tenu compte.

À l'initiative du Sénat, le Gouvernement a aussi proposé en commission un dispositif d'expérimentation pour organiser des consultations sous forme d'un forum interactif où chacun peut avoir accès en ligne aux observations des autres et y répondre. Il s'agit d'une proposition innovante de la sénatrice Laurence Rossignol et qui fait l'objet de l'article 1er bis A nouveau du projet. Il me paraît effectivement raisonnable de prévoir une expérimentation de cette notion de forum pour en assurer la meilleure mise en oeuvre opérationnelle possible.

Je passe sur les autres articles qui feront l'objet de discussions tout à l'heure pour aller directement à l'article 7 du projet qui habilite le Gouvernement à prendre, par une ordonnance prise sur le fondement de l'article 38 de la Constitution, les dispositions nécessaires pour rendre conformes à l'article 7 de la Charte de l'environnement les décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement qui ne sont pas mentionnées à l'article L. 120-1 du code de l'environnement dans la nouvelle rédaction. Autrement dit, cela concernera les décisions individuelles de l'État et de ses établissements publics et toutes les décisions réglementaires, d'espèce et individuelles des collectivités locales.

Je voudrais m'arrêter un instant sur ce choix de l'ordonnance dont nous avons discuté en commission. Le projet de loi présenté aujourd'hui est en quelque sorte le premier temps de ce principe de participation. Avec cette ordonnance, il y aura un deuxième temps.

Ce choix d'une ordonnance répond à un double souci.

Le premier tient au fait que, pour être mises en conformité, les décisions individuelles de l'État, de ses établissements publics et des autorités indépendantes devront être recensées et examinées une par une. Il y en a des dizaines et des dizaines dans le code de l'environnement à être concernées. Nous voulons prendre le temps de cet examen exhaustif pour trouver la formule de participation la plus adaptée. Le Conseil constitutionnel nous y a autorisés de fait, en donnant un délai au 1er septembre 2013.

Le second concerne les collectivités territoriales. Nous avons fait le choix de prendre le temps de la réflexion, de la concertation préalable avec elles et de ne pas présenter dispositifs dans ce projet de loi qui auraient figé les mécanismes de participation adaptés dont nous devons discuter notamment avec les associations d'élus, compte tenu de l'importance et de l'incidence que cela va avoir dans la vie de ces collectivités.

C'est pourquoi j'ai pris l'engagement solennel devant le Sénat puis devant votre commission du développement durable d'associer non seulement les collectivités territoriales mais aussi les parlementaires à l'élaboration du projet d'ordonnance.

En commission, je m'étais personnellement engagée à vous présenter un calendrier de discussion et je veux le faire dès à présent. Notre calendrier pourrait être le suivant : phase de concertation jusqu'en mars 2013 ; consultation du public en avril 2013 ; consultation du Conseil d'État en juin 2013. Le projet de loi de ratification pourrait être inscrit immédiatement après à l'ordre du jour du Parlement.

La concertation pourrait s'organiser de la façon suivante. À la mi-décembre 2012, une première table ronde de lancement pourrait réunir les présidents des commissions du développement durable des deux assemblées et les membres des commissions qu'ils désigneront, les présidents des associations représentatives des collectivités territoriales ainsi que des représentants des associations de protection de la nature et de l'environnement, d'autres usagers de la nature ou d'organisations professionnelles. Lors de cette table ronde, les grandes lignes du projet d'ordonnance pourraient être présentées.

De janvier à mars 2013, devraient se mettre en place des groupes de travail en fonction des différents chapitres, pilotés par le ministère de l'écologie mais qui auront évidemment une dimension interministérielle, en associant les différentes parties prenantes évoquées.

En avril 2013, la concertation pourrait se clore par une table ronde.

J'aimerais également évoquer devant vous le sens de la démarche que nous voulons mettre en oeuvre avec ce projet de loi qui s'intègre dans une ambition plus globale : développer et encourager avec force et vigueur la participation citoyenne au droit de l'environnement tout en modernisant le droit de l'environnement. Nous devons avoir un haut niveau d'exigence en matière de droit de l'environnement mais être aussi capables de simplifier et moderniser certaines procédures, afin de remédier à l'empilement administratif dont se plaignent notamment les élus locaux.

Dans le cadre de la conférence environnementale, nous allons organiser au printemps prochain des États généraux de la modernisation du droit de l'environnement, mobilisant de nombreux juristes spécialisés mais aussi tous ceux que ces questions concernent : les services de l'État, les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement qui sont confrontées à toutes ces procédures et qui en ont la meilleure expertise, les associations et les acteurs économiques. Il y a là un grand chantier que je veux résolument engager.

Je terminerai en rappelant que la démocratie a un coût, que nous devons assumer, et représente également une charge de travail pour l'administration. Pour ne prendre qu'un exemple, le projet d'arrêté fixant la liste des espèces nuisibles a recueilli 14 129 observations ! Il faudra le garder à l'esprit lorsque nous discuterons ce soir de la nécessité de faire une synthèse des observations et de les analyser… Mais il faut assumer ce surcroît de travail pour les services de l'État, la participation effective des citoyens aux décisions ayant un impact sur l'environnement est à ce prix. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

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