Intervention de André Chassaigne

Séance en hémicycle du 16 décembre 2014 à 15h00
Programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAndré Chassaigne :

Toutefois, l’élargissement du dispositif ne peut se faire à fonds constants, à moins de faire des perdants, ce que nous ne souhaitons absolument pas.

Autre mesure phare de ce PLFR : celle qui fait de la France un paradis fiscal de l’organisation d’événements sportifs internationaux. Il est absolument scandaleux que notre pays s’asseye sur ses recettes fiscales pour obtenir l’organisation de tels événements. Un précédent est ici créé. Conforme aux exigences de l’Union européenne des associations de football – UEFA – et du Comité international olympique – CIO –, avec la possible candidature de Paris pour les JO de 2024, cette mesure est inacceptable.

Mes chers collègues, la situation est grave, en France et en Europe. Au-delà d’être urgente, la réorientation de l’Union européenne est nécessaire. Les résultats des dernières élections européennes ont sonné comme un avertissement dans bon nombre de pays : les mouvements populistes europhobes n’ont jamais été aussi forts, tout comme le rejet, plus général, de la classe politique dirigeante.

Servir la potion amère de l’austérité à tous les peuples ne peut constituer un programme politique fédérateur pour l’Europe. Soyons francs, mes chers collègues, l’Union européenne ne fait plus rêver. Elle oppose les peuples plutôt qu’elle ne les rassemble. Elle fait le jeu des grandes entreprises et du capital et favorise le moins-disant social et fiscal.

L’homme qui a pris les fonctions de président de la Commission européenne représente assez bien l’Union européenne d’aujourd’hui. Alors que plusieurs banquiers ont accédé à des fonctions gouvernementales clés en Italie, en Grèce, en Espagne, et désormais en France, on retrouve désormais à la tête de l’exécutif européen le roi des voleurs, le magicien de l’optimisation fiscale, la cheville ouvrière d’un système qui a tari massivement les recettes fiscales de nos États, celui qui se rend coupable d’ingérence grossière dans les affaires internes des Grecs en leur demandant d’élire aux prochaines élections des « visages connus comprenant la nécessité des processus européens ». La légitimité de M. Juncker, déjà faible, est aujourd’hui proche du néant. Cet homme doit démissionner.

Mes chers collègues, soyons toutefois précis au moment d’identifier les responsabilités de chacun dans le marasme actuel. Il paraît évident que les gouvernements jouent un rôle clé dans le détournement de l’Europe qui la mène vers sa destruction progressive. L’actualité nous montre d’ailleurs parfaitement le rôle obscur que joue le gouvernement français à Bruxelles et le double discours qu’il peut tenir en matière de régulation financière.

Loin de défendre l’intérêt général européen, il est désormais clair que notre gouvernement agit à Bruxelles en tant que porte-parole des intérêts du capital financier français, en contribuant à torpiller coup sur coup, à quelques jours d’intervalle, et le projet de séparation bancaire, et la taxation européenne des transactions financières.

Prônant, en interne, d’ambitieux projets de réforme, notre gouvernement est donc bel et bien celui qui, aux côtés des Britanniques, défend les intérêts de sa place financière et fait la promotion d’une régulation a minima du secteur financier.

Les réformes proposées par Michel Barnier lorsqu’il exerçait les fonctions de commissaire européen, bien que n’allant pas assez loin à nos yeux, avaient au moins le mérite d’aller dans la bonne direction. Le travail de celui-ci restera probablement inachevé. Il a été remplacé par un Britannique, Jonathan Hill, directement catapulté à Bruxelles par la City londonienne. Nul doute que celui-ci agira en fidèle serviteur de ceux qui portent la responsabilité de la crise actuelle.

Les leçons de la crise financière n’ont manifestement pas été retenues : sans réformes ambitieuses, la bombe à retardement que constitue la spéculation financière nous menace d’un nouveau cataclysme, qui aggraverait une situation déjà bien délicate.

Les chantiers ne manquent donc pas si nous voulons éviter la catastrophe : séparation effective des activités bancaires, régulation du trading à haute fréquence, des hedge funds et des produits dérivés, lutte contre les paradis fiscaux, la spéculation et la constitution de nouvelles bulles, taxation de l’ensemble des transactions financières, autant de chantiers sur lesquels l’Europe politique doit montrer sa force au lieu de céder à la défense de l’intérêt particulier de la finance.

Sans la crise de 2008 et le gouffre financier qu’elle a ouvert dans les pays occidentaux, nous n’aurions certainement pas le même débat sur les finances publiques aujourd’hui.

Après s’être imposé une cure drastique d’austérité, voilà que les États européens semblent s’étonner de la menace imminente de la déflation, que nous avons pourtant toujours dénoncée.

Les chiffres publiés la semaine dernière, conjugués à la baisse importante du prix du baril, montrent en effet que l’économie européenne flirte de plus en plus avec la déflation. Les signaux sont au rouge, monsieur le secrétaire d’État. Les orientations budgétaires telles que vous nous les proposez dans ce PLFR, ainsi que dans le projet de loi de finances pour 2015, ne changent absolument pas la donne et alimentent une crise qui nous mène tout droit vers une situation que le Japon a connue au cours des années 90, et dont il se remet bien difficilement. À force d’opérer des coupes drastiques, l’Europe s’oriente vers une décennie perdue, avec une spirale déflationniste qui pourrait faire très mal – vraiment très mal – socialement.

Une impulsion budgétaire doit être donnée si nous voulons redémarrer le moteur de notre économie. Les économistes s’accordent à le dire ; mais avec le Traité de stabilité, l’Europe s’est enfermée dans un carcan mortifère qui la condamne, à terme, à jouer les seconds rôles. Le Plan d’investissements Juncker n’est à ce titre qu’un vaste écran de fumée : faible montant, mesures budgétaires qui existent déjà, rien de nouveau en définitive. Selon l’OFCE, c’est une impulsion budgétaire de l’ordre de 200 milliards d’euros, représentant 2% du PIB européen, qui est aujourd’hui nécessaire – un montant bien supérieur au plan Juncker.

Par ailleurs, sur le plan monétaire, la BCE nage aujourd’hui à contre-courant. Les liquidités qu’elle met à disposition des banques ne servent pas l’économie réelle. Elles alimentent plutôt des bulles financières qui pourraient exploser et aggraver la situation actuelle.

Dans les prochaines semaines, conjointement avec nos homologues du groupe Die Linke au Bundestag, nous proposerons un projet de résolution visant à réorienter l’action de la BCE vers le financement de l’économie réelle.

C’est dans cet esprit, mais, disons-le tout net, avec peu d’espoir d’une réorientation budgétaire, que nous abordons la nouvelle lecture de ce texte. Peut-être vous ai-je convaincus, monsieur le secrétaire d’État et madame la rapporteure générale !

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